ChroniqueRecoudre les morceaux : une semaine pour rapiécer l’identité wolastoqey
Le fleuve Saint-Laurent
Photo : Radio-Canada
Cette semaine, j’embarque avec mon fils aîné à bord du voilier Ecomaris, une embarcation de 85 pieds, pour un voyage qui nous amènera à parcourir l’ensemble de la portion maritime du Wolastokuk, notre territoire ancestral.
Cette expérience, liée au programme des gardiens du territoire, offerte à des membres de tous âges de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk vise à permettre une reconnexion, tant entre les membres des différentes familles d’une nation éclatée que de ceux-ci avec le territoire que plusieurs familles ont dû quitter il y a déjà quelques générations.
Je suis de la Première Nation Wolastoqey, de la communauté Wahsipekuk. Dans notre tradition orale, l’eau occupe un espace central, au cœur de notre identité collective. D’ailleurs, quand on veut décrire la relation entre notre peuple et la rivière Wolastoq, artère principale de notre territoire, nous utilisons l’adage suivant : Wolastoq nil naka nil Wolastoq
. Ça se traduit approximativement par « Je suis la Wolastoq, et la Wolastoq, c’est moi. C’est sur ce fondement maritime que reposent présentement tous mes espoirs pour cette semaine que je m’apprête à vivre à bord du voilier Ecomaris.
Une semaine avec 10 autres membres de ma communauté que je ne connais pas.
On ne se connaît pas. C’est notre dure réalité.
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À la fin des années 1800, le clergé de concert, avec le ministère des Affaires indiennes
de l’époque, a élaboré un stratagème pour nous déloger de notre territoire traditionnel en vendant aux enchères les lots de la terre de réserve qui était le seul lieu où nous pouvions nous rassembler.
C’était l’époque où personne ne voulait voir nos ancêtres sur leurs terrains désormais privés. C’était l’époque on l’on disait Sauvage
sans le moindre brin de romantisme associé à ce concept. Les Wolastoqiyik étaient des indésirables, des parias, aux dires mêmes de monseigneur Langevin, évêque de Rimouski, des vagabonds et des vauriens
.
Malgré la résistance, l’attachement au territoire et les millénaires de mémoire dans le sang, petit à petit, les familles se sont dispersées. Il fallait bien manger, se loger, tenter tant bien que mal d’être chez soi quelque part.
Certains ont rejoint d’autres communautés et nations autochtones, d’autres sont partis vivre en ville
, ou encore, ont traversé le fleuve en quête d’une vie meilleure. Au fil des générations, les clans familiaux se sont perdus de vue. La nation d’identité Wolastoqey s’est usée, devenue synonyme de pas de chance
, un laissez-passer pour la misère.
Plus de 125 ans d’une vie hors réserve. Plus d’un siècle à courber le dos sous le poids du temps et de l’oubli, l’oubli de soi et des autres.
Heureusement, nous avons bonne mémoire. Nos ancêtres nous soufflent à l’oreille de ne jamais oublier qui nous sommes.
Mais justement, de quoi est-il fait, ce nous
? Être Wolastoqey aujourd’hui, qu’est-ce que ça veut dire? Bien sûr, il y a le conseil de bande, les bureaux administratifs, des activités qui offrent des occasions de rassemblement.
Malgré cela, je me demande si ça se répare, une communauté qui a été mise en pièces.
C’est cette question qui est la trame de fond de ce voyage sur le fleuve avec des gens que je devrais connaître. Peut-être portons-nous tous au fond de nous des morceaux de cette identité collective et qui, une fois mis en commun, pourront créer une courtepointe réconfortante…
Pour le moment, la chose la plus évidente qui nous relie est invisible et tient dans cet espoir de retrouver les fondements d’une culture que l’on a tenté d’effacer par toute la créativité des politiques coloniales d’assimilation canadiennes.
On dit que, sur un bateau, tout est amplifié, que les liens se tissent plus vite étant donné l’exiguïté de l’espace et l’absolue nécessité de collaborer aux tâches.
Ce traitement choc, on en aura bien besoin pour refaire, en une semaine, le chemin inverse de la dépossession. Sept jours pour marcher à reculons dans les pas de nos ancêtres.
Justement en parlant de ces ancêtres, ce soir, en préparant le souper tous ensemble, en écoutant résonner les rires dans le carré du voilier, j’ai l’impression d’entendre aussi leurs rires en écho.