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ChroniqueGuérir le rapport au sacré : le rapatriement des objets cérémoniels

Deux personnes en vêtements traditionnels devant le mât.

Le Musée royal de Colombie-Britannique a rendu cette semaine à la Première Nation Nuxalt un mât totémique qui lui avait été enlevé au 19e siècle.

Photo : ben nelms/cbc / Ben Nelms

Au cours des dernières années, les institutions muséales à travers le monde ont dû répondre à des demandes de plus en plus pressantes des peuples autochtones qui réclament le retour de leurs objets cérémoniels.

Parfois après des siècles d’absence et des décennies de recherche pour les localiser, des pièces sont retrouvées dans des musées, parfois exposées, parfois bien cachées dans des salles d’entreposage.

Depuis les années 1970, on voit de plus en plus fréquemment ces démarches visant à rapatrier les objets vers leurs lieux d’origine. D’ailleurs, plus tôt cette semaine, c’est un mât totémique qui a été restitué à la nation Nuxalk, en Colombie-Britannique, par le musée royal de la province.

La couverture médiatique de l’événement, comme c’est aussi le cas dans d’autres cas semblables, montre clairement la dimension émotionnelle rattachée au retour de ces objets sacrés.

Comme un enfant qui rentre à la maison, le mât totémique a été accueilli par plusieurs membres de la communauté qui ont célébré une cérémonie empreinte d’émotion pour marquer son retour.

Pour comprendre l’importance de ces restitutions d’objets, il faut se pencher sur les blessures entourant notre relation au sacré et ce qui les a causées.

Les missionnaires et l’imposition d’une vision du monde

Dès les premières années de l’aventure coloniale de la Nouvelle-France, les missionnaires ont été confrontés à des systèmes de croyances puissants et adaptés aux réalités des populations autochtones sur leurs territoires. Ces pratiques ont été ridiculisées et même diabolisées pour inciter (forcer) une conversion à la religion catholique. Même les mots utilisés dans certaines langues autochtones pour décrire le rapport aux grands mystères de la création ont été détournés de leur vraie signification.

Ainsi, le créateur est devenu un diable, la femme médecine est devenue une vilaine sorcière, et ainsi de suite. Par exemple, dans la langue wolastoqey, notre héros primordial, Kewoluscap, dont le nom signifie l’Homme-Vrai, est devenu... le menteur.

Les hommes d’Église ne manquaient pas une occasion de ridiculiser les pratiques rituelles qu’ils qualifiaient de païennes et de dangereuses pour le salut des âmes à convertir.

Une interdiction en bonne et due forme

Les membres du comité des relations extérieures des Haudenosaunee regardant les boîtes contenant les objets.

Des Haudenosaunee ont récupéré un masque et un hochet sacrés au Musée d'ethnographie de Genève. En raison de leur caractère sacré, les objets ne peuvent pas être photographiés.

Photo : Saskia Maye/MEG

Puisqu’on ne casse pas en claquant des doigts un sens du sacré qui s’est construit pendant des millénaires, les autorités coloniales ont senti le besoin d’interdire, par le biais de la Loi sur les Indiens, les pratiques cérémonielles et, par le fait même, l’usage de certains objets associés.

C’est à l’époque de cette offensive d’assimilation que plusieurs masques, pipes, tambours et régalias sont passés entre les mains de non-initiés pour la première fois. Certains items ont, par exemple, été saisis alors que leurs propriétaires étaient arrêtés pendant une cérémonie. Le don de l’objet devenait alors une manière d’échapper à l’emprisonnement.

Le sacré synonyme de danger

Ce n’est pas à nous, avec notre regard façonné par le monde d’aujourd’hui, de juger de la manière dont nos ancêtres ont réagi à l’agression coloniale contre leur culture, plus spécifiquement en ce qui concerne les interdictions des pratiques rituelles.

Certains ont embrassé la foi chrétienne, sous différentes variantes. D’autres encore, devant le mammouth de l’assimilation, ont préféré jeter aux oubliettes les cérémonies, les prières, les chants et les objets de culte. Parfois même, une forme de honte et de culpabilité s’est développée à l’endroit de ces éléments de la spiritualité traditionnelle, alimentée par le discours méprisant de la société dominante.

Pour plusieurs enfants qui ont vécu dans les pensionnats pour Autochtones, la seule forme de sacré à laquelle ils ont été exposés était celle enseignée par les religieux et les religieuses. Enlevés tôt à leurs communautés, dans un monde qui, petit à petit, se vidait de ses esprits, ils n’ont pas connu d’autre forme de rapport aux forces universelles.

C’est pourquoi il arrive encore que, dans certaines communautés, il existe des tensions, une forme de malaise, entre ceux qui ont ravivé les cérémonies et les protocoles rituels et ceux qui ne souhaitent pas revenir en arrière.

Reposer en paix?

La question se pose pour les objets rituels qui se trouvent partout à travers le monde dans les musées. Devrait-on les laisser reposer en paix? Est-ce que tous ces sacs médecine, coiffes et colliers ont le pouvoir de guérir notre relation au sacré?

Pour plusieurs, leur rapatriement est une source de revitalisation des cultures autochtones. Témoins d’un passé trouble, certes, ils constituent un lien entre le passé et le présent et ils sont sans doute essentiels pour raconter l’histoire à partir d’autres points de vue.

En ce qui me concerne, il me semble que sortir ces objets des musées et les redonner aux communautés, c’est un peu comme libérer tous ces esprits enfermés pendant des générations sous le couvert des politiques d’assimilation.

Ces objets sont encore vivants, tout comme les cultures auxquelles ils sont rattachés. Il est temps de les réveiller.

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