•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

ChroniqueConjuguer notre histoire au présent

Une rangée de conifères sous la neige.

Certaines activités organisées dans le territoire traditionnel autochtone visent à créer des liens entre les peuples, entre les gens, avec les territoires, pour ne pas oublier l’histoire qui n’a pas été racontée, explique Edith Bélanger.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Depuis bon nombre d’années, ma vie bat au rythme de l’autochtonie. Les enjeux des premiers peuples d’ici et d’ailleurs constituent la trame de fond de mon parcours personnel, professionnel, familial et scolaire.

Je me trouve choyée sur plusieurs plans de faire partie de cet univers où les gens sont tissés serrés, valorisent à ce point le sens de la communauté et le rapport au sacré, et portent fièrement leur identité.

Edith Bélanger est une diplômée de philosophie de l’Université Laval et de l’ENAP en administration publique en contexte autochtone. Elle est candidate au doctorat en gouvernance traditionnelle autochtone à l’UQAT. Elle travaille à Institut Ashukan comme conseillère à la recherche et au développement et elle donne une charge de cours à la faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa. Edith est membre de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk (Malécite).

Les personnes de mon entourage qui portent les enseignements spirituels, les cérémonies et les chants sont ma médecine et celle de tant d’autres qui, comme moi, ont aussi des moments d’égarement et ont besoin d’être ramenées dans le bon chemin.

Je pense aussi aux étudiants universitaires à qui j’ai la chance, que dis-je, l’honneur d’enseigner. Toutes et tous issus de communautés autochtones, engagés, motivés, résilients, ils sont tellement inspirants et déterminés que j’apprends sans doute davantage de choses d’eux que je peux moi-même leur en donner.

Dans mon univers protégé, je suis une femme de la nation Wolastoqey, mère de quatre enfants Wolastoqiyik, je travaille dans le domaine de l’éducation aux enjeux autochtones et j’étudie également sur le sujet.

C’est ma bulle de confort.

Bien sûr, j’ai des interactions en dehors de cette sphère. Généralement, ça se passe bien. Par contre, il a des fois où je voudrais bien retourner me cacher dans un coin.

Confrontée aux préjugés

Plus tôt cette semaine, j’ai eu une drôle d’expérience avec une personne qui m’a confrontée à tous ses préjugés envers les Indiens. Dans une discussion vraiment pas très confortable, j’ai reçu en pleine face tous les clichés possibles.

Puisque c’est mon travail de préparer et de donner des formations et que j’ai l’habitude d’expliquer et de démystifier ces idées fausses, j’ai pu m’obstiner, argumenter et recadrer mon vis-à-vis sur la plupart de ces stéréotypes.

Il écoutait, mais n'entendait pas.

À un moment, à bout d’arguments il faut croire, j’ai eu droit à la question qui tue : Ouais, c’est terrible ce qui est arrivé à vos peuples, mais pourquoi vous ne passez pas à autre chose et ne faites pas comme tout le monde?

J’ai alors eu l’impression que, peu importe ce que je dirais, c’était peine perdue.

Bien sûr, j’aurais pu lui expliquer que la Loi sur les Indiens existe encore, que les traumas se transmettent d’une génération à l’autre et que nous n’avons pas seulement le droit de nous souvenir, mais surtout le devoir de ne pas oublier.

Ça aurait été pratique pour les gouvernements que les Autochtones deviennent des Canadiens comme les autres. Plusieurs politiques ont d’ailleurs été élaborées et appliquées en ce sens et ça porte un nom : l’assimilation.

Avec les mouvements de résurgence autochtones depuis les années 1970, devant la hausse des niveaux de scolarisation des étudiants autochtones et la détermination des gouvernements des Premières Nations, des Métis et des Inuit à cheminer vers l’autodétermination, certaines personnes sont inquiètes. Mon interlocuteur en était un très bon exemple.

L’insécurité que cela provoque se retrouve surtout au niveau du partage du territoire et des ressources. Il paraît que ça fait peur, les barricades et les revendications territoriales...

Et, par expérience, je le sais bien que le racisme est alimenté par deux choses : l’ignorance et la peur.

Occuper le territoire à notre façon

Alors, puisque c’est comme ça, j’ai choisi de lui parler de nos manières d’occuper le territoire à notre façon. Par exemple, cette expédition de Premières Nations à motoneige d’un parcours de 4500 km sur deux semaines à travers plusieurs territoires traditionnels.

Je lui ai aussi jasé de ces initiatives de marches en territoires qui visent à créer du lien entre les peuples, entre les gens, avec les territoires. Une de ces randonnées de plus de 60 kilomètres en raquettes se déroule actuellement et le périple doit se conclure ce vendredi à Unamen Shipu.

C’est beau ça, non? N’est-ce pas que ce n’est pas menaçant pour l’identité nationale canadienne ou l’intégrité territoriale du Québec?

Ces initiatives sont des activités que l’on fait aujourd’hui pour ne pas oublier l’histoire qui n’a pas été racontée. Elles montrent ce lien indestructible qui ne sera jamais détruit entre les peuples autochtones et leur territoire d’une manière positive et forte.

Je lui ai expliqué qu’on se souvient de l’histoire pour mieux la réécrire au quotidien et dessiner notre avenir comme on aurait dû pouvoir le faire sans les politiques coloniales. J’ai insisté pour dire que, comme c’est le cas dans une relation de couple saine, l’indépendance de l’un n’est pas forcément une menace à l’indépendance de l’autre. Il faut juste se parler, communiquer.

Pour ça, il faut apprendre à se connaître.

Au moment de quitter mon interlocuteur et de revenir dans le confort de ma bulle quelque part en Autochtonie, je n’étais pas certaine d’avoir vraiment réussi à changer quelque chose. Or, ce qui est certain, c’est que je suis plus que jamais convaincue de l’absolue nécessité de continuer de raconter nos histoires au présent.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre Espaces autochtones

Chaque semaine, suivez l’essentiel de l’actualité autochtone au Canada.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Espaces autochtones.

Espaces autochtones

Un travail journalistique sérieux, constant et curieux est le meilleur moyen de dévoiler et expliquer des réalités que beaucoup ne soupçonnent peut-être pas. Et donc de comprendre. C'est ce que nous nous proposons de faire. Découvrir, informer, comprendre, expliquer.

— Soleïman Mellali, rédacteur en chef