•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

[Lettre ouverte] Tensions pendant un tournage : le point de vue de la réalisatrice

Sonia Bonspille Boileau devant une patinoire extérieure.

La série « Pour toi Flora » est le « plus gros projet » de la scénariste et réalisatrice de la série, Sonia Bonspille Boileau.

Photo : Radio-Canada / Marika Bellavance

J’ai réfléchi longuement avant d’écrire. En vérité, je n’avais pas tellement envie de commenter ou de répondre à l’article de CBC Indigenous (Nouvelle fenêtre) qui a ensuite été repris par Espaces autochtones. Premièrement, parce que jusqu’à plus tôt cette semaine, j’étais encore en plein tournage de notre série si précieuse, et deuxièmement, parce que je ne voulais pas laisser uniquement la peine ou la frustration parler. Car oui, après la lecture de l’article et surtout des nombreux commentaires négatifs et gratuits sur la page Facebook de CBC Indigenous, j’étais blessée.

Un texte de Sonia Bonspille Boileau, réalisatrice et scénariste de la communauté mohawk de Kanesatake. C'est elle qui signe la série télévisée Pour toi Flora, qui porte sur les pensionnats pour Autochtones et qui sera diffusée sur les ondes d'ICI Radio-Canada.

Mais je me prononce aujourd’hui, au nom de Nish Média et en nos noms personnels, Jason [NDLR : Jason Brennan, le producteur de la série Pour toi Flora] et moi, car je veux simplement rétablir certains faits. Aussi car nous sommes redevables à nos communautés respectives, qui nous soutiennent depuis tant d’années. Et parce que notre équipe le mérite. Les techniciens, la production, les comédiens, les enfants, les aînés, les familles ont tant donné au cours de cette production.

Des centaines et des centaines de personnes sont passées sur notre plateau dans les deux derniers mois et j’apprécie chacune d’entre elles. Pour nous, après 15 années de productions autochtones à mettre de l’avant nos valeurs et nos traditions, nous sommes extrêmement attentifs aux sensibilités existantes et nous avons mis tout en œuvre, dans le meilleur de notre expérience et de nos connaissances, pour que tous se sentent accueillis et traités avec respect.

D’abord, j’aimerais clarifier que l’appel de casting d’enfants pour les rôles muets et la figuration pour le bloc pensionnat spécifiait bel et bien que les garçons devaient avoir les cheveux courts. C’est pourquoi l’équipe de coiffure et maquillage a été prise au dépourvu lorsque le jeune homme en question est arrivé avec les cheveux longs. Jamais personne n’a insisté pour qu’il se fasse couper les cheveux. Nous avons simplement expliqué la situation (que nous n’avions pas les effectifs pour mettre des perruques sur les garçons de la figuration) et que l’on s’excusait pour le malentendu. Tout a été mis en œuvre rapidement pour poser un geste de réparation dès que ce malaise est survenu.

Il en est ainsi pour le malaise concernant les numéros des pensionnaires. Au-delà du fait que tous les acteurs de toutes les productions, de manière universelle, sont identifiés par un numéro, il est vrai que nos rôles au pensionnat avaient aussi des numéros de pensionnaires associés aux personnages. Ceci, évidemment, dans le but de représenter ce qui s’est malheureusement passé dans les pensionnats. Les moments où les enfants se sont fait appeler par leur numéro de pensionnaire en dehors des scènes les premiers jours sont lorsqu’on devait s’assurer qu’iels avaient le bon uniforme, qu’iels manipulaient les bons objets ou s'asseyaient au bon lit ou au bon pupitre (mesures sanitaires obligent). Dès que nous avons réalisé que ceci pouvait être source d’inconfort pour les parents, nous avons changé notre façon de faire sur le plateau.

Car c’est ça, le progrès, il vient à petits pas. Il vient avec la communication, les ajustements, les essais-erreurs. Nous traitions d’un sujet incroyablement sensible, difficile et délicat, et les blessures dans nos communautés sont encore si vives... C’est normal qu’il y ait des déclencheurs de douleurs. Les reconnaître et les partager fait partie du processus de guérison. Nous avions du soutien psychologique et émotionnel sur le plateau avec nous en tout temps, exactement pour cela. J’aimerais aussi préciser, puisqu’il y a erreur dans l’article, que le soutien émotionnel provenait d’une professionnelle (autochtone) et ne reposait pas sur les épaules de nos aînés sur le plateau. Bien que leur présence, si chaleureuse et généreuse, a été pour moi (et pour plusieurs) une grande source de réconfort. Il y a eu plusieurs moments difficiles, nous avons versé beaucoup de larmes, mais les prières, les cérémonies et le rire nous ont aidés. Ceci aussi fait partie de la guérison.

Une équipe de cinéma en train de tourner une scène sur une patinoire extérieure.

Un des plateaux de la série « Pour toi Flora ».

Photo : Radio-Canada / Marika Bellavance

Au jeune homme qui n’a pas eu la chance d’être un figurant, nous avons offert un rôle derrière la caméra. On lui a appris tout plein de trucs de réalisation et de production. Il a apprécié l’expérience au point de revenir les semaines suivantes et il est resté à nos côtés derrière le moniteur, jusqu’à la dernière scène du dernier jour de ce bloc de tournage. J’espère sincèrement qu’être parmi les techniciens lui a donné le goût de poursuivre dans notre domaine, car des techniciens autochtones, il en manque dans notre industrie ! C’était d’ailleurs un autre de mes commentaires dans mon entrevue avec CBC Indigenous. Or, seulement une très mince partie de celui-ci a été publiée. Oui, c’est vrai, une grande majorité de notre équipe de techniciens/ciennes sur le plateau est non autochtone. Mais ceci n’est pas unique à notre production, c’est malheureusement la réalité de notre industrie au Québec. C’est pourquoi Nish Media a créé pour ce projet des postes de formation rémunérés pour autochtones dans différents départements.

Il est aussi important de préciser que nous avons embauché près de 200 personnes autochtones de différentes communautés pour combler toutes sortes de postes au sein de la production (acteurs, figuration, conseillers, soutien psychologique, traducteurs, artisans, traiteur, chauffeurs, assistants, gestionnaires de lieux de tournage, sécurité, etc.). Ce fait non plus n’a malheureusement pas été relaté dans l’article de CBC Indigenous.

Aussi, même si notre équipe est majoritairement non autochtone, chaque membre de celle-ci a été choisi parce qu’iel a le cœur à la bonne place. Chaque membre voulait être porteur/porteuse de cette histoire importante et je suis si reconnaissante pour leur dévouement. Nous avions une équipe incroyablement généreuse, bienveillante et sensible. Même dans la décolonisation des écrans, il faut reconnaître nos alliés. Notre équipe en était pleine.

Nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont contactés au cours de la dernière semaine pour partager leur expérience positive ou simplement offrir leur soutien. Nous l’apprécions énormément.

À toute notre équipe, des techniciens aux parents en passant par les acteurs/trices et tous les artisans, Jason et moi aimerions vous dire niawen’kó :wa et chi migwech. Un grand merci du fond du cœur. Nous savons à quel point vous avez tout donné pour raconter cette histoire importante avec nous. Et à nos aînés qui nous ont confié leur histoire, sachez que nous la portons toujours avec autant d’amour et d’attention et nous continuerons à le faire jusqu’à la fin.

Nous sommes très fiers et très attachés à ce projet et nous avons hâte de le dévoiler au grand public.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Espaces autochtones

Chaque semaine, suivez l’essentiel de l’actualité autochtone au Canada.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Espaces autochtones.

Espaces autochtones

Un travail journalistique sérieux, constant et curieux est le meilleur moyen de dévoiler et expliquer des réalités que beaucoup ne soupçonnent peut-être pas. Et donc de comprendre. C'est ce que nous nous proposons de faire. Découvrir, informer, comprendre, expliquer.

— Soleïman Mellali, rédacteur en chef