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Le bison au secours des prairies

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Le bison au secours des prairies

Par Laurence Taschereau Photographies : Cory Herperger et Rob Kruk

Publié le 19 octobre 2023

La survie des prairies, l'un des écosystèmes les plus menacés au monde, dépend de la présence d'une espèce en particulier : le bison. Sans cet imposant mammifère, tout s'effondre. La famille Wigness a bien compris ce rôle indispensable que jouent les quelques rares troupeaux de bisons des plaines au Canada, et leur ranch détonne comme un îlot de verdure dans l’océan doré des terres agricoles où règne le canola.

Moi, ce que je voulais, c'est m'asseoir sur ma terrasse et voir les bisons au loin. Pour Kurt Wigness, les bisons, c'est une histoire d’amour. Il y a près de 30 ans, l’éleveur saskatchewanais a dit au revoir à ses vaches pour introduire le massif bovidé sur ses terres, et il ne l’a jamais regretté.

Au ranch qu’il partage avec son fils Merek, c’est comme si le temps s’était arrêté. Alors que partout autour l’agriculture s'intensifie et que la machinerie grossit, leur terre familiale est quasi identique aux prairies qui s’étendaient ici avant l'arrivée des premiers Européens au 17e siècle.

Le bison au secours des prairies Photo : Radio-Canada / Rob Kruk

Cette parcelle distinctive au cœur d’Admiral, petit village quasi abandonné, est l’un des rares endroits au sud de la Saskatchewan où l'on peut encore retrouver l’écosystème des prairies. Aussi connu sous le nom de prairies indigènes, il est constitué d’un amalgame d’herbes mi-longues, de fleurs, de lichens et d’arbustes de sauge.

C’est sur environ 13 kilomètres carrés de prairies épargnées que broutent les bisons des Wigness. Dans ce paysage aride, sous les sabots des bêtes et le sol dur et sec ponctué de petits cactus, se cache une capacité de stockage de carbone impressionnante.

Toutefois, ces prairies, comme les bisons autrefois, pourraient disparaître s’il n’y a pas davantage de mesures prises pour leur sauvegarde.

Sortir des sentiers battus Photo : Radio-Canada / Cory Herperger

Sortir des sentiers battus
Sortir des sentiers battus

La passion de Kurt pour les bisons saute aux yeux. En entrant dans la maison familiale, une gigantesque tête naturalisée de cet animal est la première chose qui accroche le regard.

Un mâle dominant ; il ne laissait pas sa place, celui-là, laisse échapper l’homme au regard rieur.

C’est le premier bison qu’a récupéré Kurt Wigness du parc national des Prairies, après leur réintroduction par Parcs Canada, en 2005.

Mais l’imposante décoration est loin d’être la seule. Des figurines sont disposées un peu partout. Ma petite fille en a compté 50 la dernière fois qu'elle est venue. Des cadeaux de membres de la famille et d’amis qui savent à quel point les bisons sont bien plus qu’un gagne-pain pour les Wigness.

C’est la fascination pour ce ruminant qui a conduit le sexagénaire à commencer l’élevage en 1995.

À l'époque, il était le seul à avoir des bisons dans la région. Les gens autour me trouvaient un peu fou au début, dit Kurt, sourire en coin.

Maintenant, les voisins se sont habitués à la présence des géants. C’est arrivé deux ou trois fois qu’ils nous appellent pour nous signaler qu’une bête s’était échappée, raconte nonchalamment celui que les résidents d’Admiral décrivent comme un homme généreux et aidant.

Kurt et son fils ne sont pas des éleveurs comme les autres. Ils ne vendent que très peu de viande. C’est surtout mes collègues scientifiques qui nous en achètent, précise Merek Wigness qui travaille à temps plein comme biologiste moléculaire pour Agriculture Canada, à Saskatoon.

Le fils parcourt en moyenne une fois par mois les deux heures de route qui le séparent du ranch familial où il a grandi. Pas vraiment besoin de venir plus souvent, car les bisons ont tout ce qu’il leur faut dans les prairies indigènes. 

La principale tâche qui demande à Merek d’être physiquement présent consiste à entretenir les kilomètres de clôtures qui séparent leur ranch de la ferme céréalière des voisins.  Photo : Radio-Canada / Cory Herperger

Une transmission de père en fils

Moi je suis de ceux qui pensent que ce n’est pas parce que les choses ont toujours été faites d’une manière qu’il faut continuer. Il faut laisser la place aux plus jeunes générations, croit Kurt. C’est pourquoi il est heureux de voir son unique fils s’investir dans le ranch, même s’il n’y vient que sporadiquement.

Merek est un homme discret, mais on sent qu’il est fier du ranch familial.

Bien que leur terre ait probablement une valeur de plusieurs millions de dollars, leur élevage de bisons n’est pas à proprement parler motivé par l’argent. Ils ont tout de même une source de revenus : la vente de femelles à d’autres éleveurs. Bien sûr, ça prend beaucoup de cœur, mais un peu d’argent quand même aussi, lance Kurt à la blague.

Il fait une pause, puis reprend, d’un ton plus sérieux. C’est pas toujours facile ce qu’on fait, surtout dans les dernières années, avec les sauterelles qui mangent tout et la sécheresse.

Lors d’une année record de sécheresse, en 2017, les Wigness ont dû se départir de la moitié du troupeau, soit 200 bêtes. Les bisons auraient eu besoin de plus d’herbe à brouter que ce qui était disponible, et l’écosystème fragile ne s’en serait pas remis.

« J’ai compris à quel point un écosystème est extrêmement complexe et fragile. »

— Une citation de   Merek Wigness

Si c’est le cœur qui a poussé le père à introduire des bisons sur ses terres, c’est surtout la raison qui amène le fils à poursuivre l’aventure familiale.

Avec son bagage en science, Merek a su voir l’importance du rôle que les bisons jouent dans l’écosystème des prairies. Lui qui approche de la cinquantaine a été sensibilisé tôt à la fragilité de chaque écosystème en s'intéressant à l’évolution lors de ses études universitaires.

Des bisons dans un champ

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La pierre angulaire des prairies Photo : Radio-Canada

La pierre angulaire des prairies
La pierre angulaire des prairies

En direction de l’un des troupeaux, on a peine à croire que la suspension du véhicule tiendra tellement le trajet est cahoteux. Ce n’est pas un terrain fait pour les voitures, c’est le territoire des bisons.

Quand on dit que [le bison] est "la pierre angulaire’’ des prairies, c’est parce que sans lui, c’est tout l’écosystème qui tombe, explique Merek au volant de sa camionnette. 

Cette expression, il la tient du gardien de parc Wes Olson. L’homme, maintenant retraité, a travaillé sur des projets de conservations pendant 30 ans pour Parcs Canada. Dans le monde des bisons, son nom revient souvent comme étant LA sommité.

L’Albertain a passé quatre décennies à observer le comportement des bisons, à les dessiner, à les photographier. Il est auteur de trois livres sur le sujet et a participé à plusieurs projets de réintroduction de bisons, dont celui dans le parc national des Prairies en Saskatchewan.

Wes Olson n’a aucun doute sur le rôle que joue ce mammifère, les bisons sont absolument essentiels pour que les prairies puissent maintenir un équilibre.

Le retraité explique comment de petites choses qui pourraient paraître anodines ont en fait une grande importance. Par exemple, le fait que l’animal se roule au sol permet à plusieurs espèces de survivre dans ce milieu aride. 

Environ 2000 livres de chair et de fourrure qui se roulent dans l’herbe, ça déplace de la poussière à un point difficile à imaginer. Ça crée des sortes de cavités qui permettent d’accumuler de l’eau lors des rares pluies, dit Wes Olson, de sa voix posée, le chant des oiseaux en trame de fond.

Ces petites réserves d’eau créent un environnement propice aux reptiles et aux amphibiens qui ont surprenamment adopté ce quasi-désert comme maison.

Lors d’une visite de routine cet été, les Wigness ont même aperçu une petite tortue sur leur terre.

Une cohabitation bien rodée

Mon père et moi ne sommes pas particulièrement spirituels, mais en présence [des bisons], on sent clairement quelque chose. On comprend pourquoi c'est un animal aussi important pour les Premières Nations, lance Merek en regardant la centaine de bisons au loin.

Il ouvre la barrière, roule encore quelques centaines de mètres et arrête sa camionnette de laquelle il sort un baril d'avoine.

Comme on va rarement les voir, c’est comme ça qu’on les attire à nous si on a besoin de les approcher pour une raison quelconque, précise-t-il. Sans cela, fait-il comprendre, les bovidés ne s'approchent pas d’eux.

Merek pointe au loin l’un des mâles : Tu vois la fourrure qui tombe de celui-là? Ça, quand ça va toucher le sol, ça ne restera pas là longtemps.

De la fourrure de bison
Un bison mature va perdre en moyenne 1,3 kilogramme de fourrure par année, selon Wes Olson, ce qui représente une quantité importante d’isolant pour les nids des oiseaux et petits mammifères avec qui il cohabite. Photo : Radio-Canada / Rob Kruk

Aussitôt tombée, la fourrure, extrêmement isolante, est ramassée par les oiseaux et les rongeurs pour construire leur nid. On n’en voit jamais un seul morceau au sol, ajoute l’éleveur, étonné d’en avoir trouvé.

Il ne faut que quelques pas dans les prairies pour que les graines des herbes s'accrochent aux bas de pantalons. À l’époque où les bisons pouvaient parcourir de grande distance – parfois plus de 30 kilomètres par jour – leurs pattes servaient d’ensemenceurs naturels. Le bas des pattes, c'est comme du Velcro, fait remarquer Merek.

Tout en parlant, il réalise que les immenses bovidés s’approchent de l’avoine déposée au sol. Il recule vers son véhicule pour maintenir une distance sécuritaire, et il observe, en silence.

Il sait que sans les bisons, le paysage qu’il a devant lui ne serait pas le même.

Et les grands silos de grains qui pointent à l'horizon sont un rappel de l’importance de leur ranch, à l’ère où règne l’agriculture industrielle.

Un dernier rempart naturel contre les changements climatiques Photo : Radio-Canada / Rob Kruk

Un dernier rempart naturel contre les changements climatiques
Un dernier rempart naturel contre les changements climatiques

De retour à la maison familiale, Kurt Wigness prépare le souper : des burgers de bison. Des deux hommes, c’est le plus volubile. Il aime raconter des histoires, et pourrait parler pendant des heures des artéfacts qu’il retrouve sur ses terres.

Comme cette grosse pierre d'un mètre de diamètre avec une cavité en son centre. J'appelle ça ma Maytag (marque de laveuse) indestructible, lâche Kurt à la blague. Cet été, un archéologue en visite lui a appris qu’il pourrait s’agir d’un outil ayant servi aux premiers peuples sédentaires à laver leurs vêtements.

Ou encore cette roche complètement polie par les bisons, ça montre qu’ils étaient là bien avant nous, depuis des millénaires. 

Une grosse roche
On estime qu’entre 30 et 60 millions de bisons auraient galopé sur les plaines avant «Le grand massacre» des années 1700.  Photo : Radio-Canada / CORY HERPERGER

C’est avec cette volonté de recréer un environnement similaire à celui d’autrefois que le parc national des Prairies, situé une heure au sud, a réintroduit les bisons.

Outre le ciel nocturne, qui offre un spectacle à couper le souffle, c’est le bison qui est l'attraction la plus populaire du parc. Or, ceux qui peuvent en apercevoir sont chanceux, car les géants disposent de plus de 900 kilomètres carrés de terrain de jeu.

Un territoire qui peut paraître immense pour les visiteurs, mais qui est petit pour le responsable de la conservation du parc, Dan Rafla.

C’est pourquoi c’est très important d’avoir d'autres gens qui partagent nos valeurs de conservation, révèle Dan Rafla en faisant référence aux éleveurs de bétail comme les Wigness. Ils sont extrêmement importants pour la conservation [de l’écosystème].

Le responsable de la conservation de ce parc en Saskatchewan arrête sa voiture en haut d'une colline pour expliquer l'importance des prairies. Même si on ne voit pas grand-chose à la surface, [la végétation des prairies] peut capturer énormément de carbone.

Si Dan Rafla convient que cette information demeure peu répandue dans la population générale, elle fait consensus au sein de la communauté scientifique. C'est quelque chose qui devient de plus en plus connu et, de nos jours, c’est une des motivations pour protéger cet écosystème.

Établi en Saskatchewan depuis seulement un an, Dan Rafla est impressionné par la richesse du paysage. C’est une beauté plus calme et nuancée, mais regardez juste derrière nous, tous ces arbustes de sauge sauvage, c'est incroyable, et c’est l’habitat de plein d’espèces en danger.

Si vous n'avez pas grandi en Alberta, en Saskatchewan ou au Manitoba, peut-être que vous ne verrez que des étendues plates, mais il y a en fait beaucoup de richesse et de biodiversité… en dessous de vos pieds, indique Jensen Edwards, porte-parole de l’organisme environnemental Conservation de la nature Canada. Pour lui, les prairies sont un peu des héroïnes méconnues.

Car c’est dans ses racines que cet écosystème, qui se retrouve non seulement en Amérique du Nord, mais aussi en Russie et ailleurs sur la planète, emprisonne un tiers du carbone mondial. Ce qui en fait un allié crucial dans la lutte aux changements climatiques, indique Cecelia Parsons d’Environnement et Changement climatique Canada en citant des études effectuées par son ministère.

Elle explique que puisqu’il est sous terre, le carbone emprisonné par les prairies est protégé des incendies, contrairement au carbone emmagasiné par les forêts.

Illustration d'un réseau de racine
Environ 90 % de la biomasse des prairies tempérées se trouve sous terre. Les racines peuvent atteindre près de quatre mètres.  Photo : Radio-Canada

Selon un recensement des données sur les terres agricoles canadiennes relayé par Conservation de la nature Canada, le pays a déjà perdu 80 % de ses prairies indigènes. Et l’organisme environnemental craint que ce chiffre continue d’augmenter avec la croissance urbaine et l’expansion de l’agriculture.

« Nous sommes rendus au point où nos prairies sont très menacées… Nous perdons, au Canada, l’équivalent de 100 000 terrains de football de prairies sauvages chaque année. »

— Une citation de   Jensen Edwards, porte-parole, Conservation de la nature Canada

Ce sentiment d’urgence est partagé par Merek Wigness. Cet été, des milliers de kilomètres de forêt ont été détruits par les flammes dans l’est et l’ouest du pays. La fumée qui a traversé la Saskatchewan a été, pour lui, un dur rappel de l’importance de la conservation de cet écosystème sous-estimé.

Une antilope au galop dans un champ Photo : Radio-Canada / Rob Kruk

Point de non-retour
Point de non-retour

On pourrait croire que le silence règne dans les prairies, mais pour les oreilles aguerries, c’est une trame sonore presque orchestrale. Le chant des oiseaux se marie aux ronflements des bisons. Aléatoirement, les gaufres (gophers), de petits rongeurs qui ressemblent aux chiens de prairie, émettent de petits cris sourds, et les sauterelles font claquer leurs ailes.

Ce sifflement que tu entends, c’est le bruit que fait le bruant à ventre noir en plongeant vers le sol, fait remarquer Merek. Le père de deux jeunes enfants aime s’accorder des moments de pause pour écouter les espèces qui survolent sa terre.

Après plusieurs secondes, il reprend en expliquant qu’il s’agit d’une espèce en voie de disparition qui a été observée sur le ranch par des biologistes d'Oiseaux Canada, un organisme national de conservation de la nature.

Ce recensement, c’est une preuve supplémentaire pour Merek que la terre familiale est un lieu exceptionnel et rare.

un homme tient un livre sur les oiseaux
Cinq espèces d’oiseaux en voie de disparition ont pu être observées par les deux biologistes d’Oiseaux Canada à l’été 2022 sur le ranch familial, dont 68 bruants à ventre noir.  Photo : Radio-Canada / Cory Herperger

En effet, en plus d’être l'écosystème le plus menacé en Amérique du nord, les prairies indigènes sont très peu protégées, déplore Andrea Olive, professeure agrégée aux Départements de sciences politiques et de géographie, géomatique et environnement à l'Université de Toronto Mississauga.

Originaire de la Saskatchewan, elle connaît autant les politiques environnementales de la province que les paysages des Prairies canadiennes.

Selon Andrea Olive, la seule façon de protéger les prairies sur le plan juridique, c'est en utilisant les lois fédérales et provinciales déjà existantes pour les espèces menacées. Une manière détournée de protéger un endroit en montrant qu’il est l'habitat d'une espèce menacée.

Or, la Saskatchewan ne fait pas bonne figure en matière de protection des espèces en péril, remarque la professeure. La province a bel et bien une loi sur la faune qui répertorie certaines espèces menacées, mais cette liste n’a pas été mise à jour depuis sa création… en 1998.

Le portrait n’est pas plus reluisant au niveau fédéral. Il y a la Loi sur les espèces en péril (LEP), toutefois le gouvernement fédéral a très peu de compétences parce qu'il ne contrôle que les terres fédérales, ajoute Andrea Olive. 

La professeure de sciences politiques et de géographie, de retour dans sa province natale pour l’été, ne cache pas son enthousiasme d’être interrogée sur le sujet. Je prendrai toujours le temps de parler des prairies.

Elle s'embarque dans un récit chronologique des initiatives mises en place, puis s’arrête. Si la question c’est : Pourquoi il ne reste presque plus de prairies à l’état sauvage? La réponse n’est pas compliquée, c’est l’agriculture.

Andrea Olive n’est pas du genre à mâcher ses mots : Si quelqu’un achète une parcelle de prairie indigène et veut la transformer en terre agricole, rien ne l'en empêche.

Et peu de gens vont se lever pour défendre les prairies, poursuit-elle, car ce n’est pas un paysage spectaculaire.

« Les récifs de corail c'est vivant, les forêts c'est imposant… quand vous regardez des prairies indigènes intactes, si vous n'êtes pas d'ici, c'est un paysage difficile à aimer. »

— Une citation de   Andrea Olive, professeure de sciences politiques et de géographie, géomatique et environnement, Université de Toronto Mississauga

Même si elle reconnaît que les bisons, qui tapent, remuent, broutent le sol des prairies sauvages sont essentiels, Andrea Olive est également d’avis qu’une poignée de bisons ne fait pas le poids contre une industrie agricole en pleine expansion. C’est l’industrie la plus puissante de la province, affirme la professeure qui étudie la disparition des prairies depuis des années. Après tout, on dit de la Saskatchewan que c’est le grenier du monde, n’est-ce pas?

Cette expression est bien connue partout en province, même à Admiral.

Évidemment, on a besoin de fermes, et les fermiers d’ici font un bon travail pour nourrir le monde , admet Merek en dessinant des guillemets avec ses doigts, mais je pense vraiment qu’on a besoin de porter plus d’attention à la conservation des écosystèmes comme celui-ci.

point de non retour Photo : Radio-Canada / Cory Herperger

Inspirer par l'exemple

Kurt! Oui, je le connais! C'est en quelque sorte mon inspiration ; c’est lui qui m’a introduit au bison. Assis à la table de cuisine, l’éleveur francophone raconte son quotidien, bien différent de celui de son mentor. 

Guy Roberge élève sa harde de 75 bisons sur un peu moins de deux kilomètres carrés et rend visite fréquemment à ses bêtes. J’y vais pour vérifier que tout est beau une fois par jour, puis l’hiver je les nourris au foin, raconte-t-il. Son troupeau n’est pas autosuffisant, car il n’a pas la chance d’avoir accès à de vastes étendues de prairies indigènes.

Guy Roberge qui envoi la main
Un an après que Kurt Wigness a commencé l’élevage de bisons, Guy a eu vent de son projet, un peu farfelu à l’époque. « Ça a piqué ma curiosité, je lui ai demandé de me mettre en contact avec des gens aux États-Unis qui pourraient me vendre des bisons.» C’est donc en 1996, avec l’aide de Kurt, que Guy Roberge a introduit ses premiers bisons sur sa ferme.  Photo : Radio-Canada / Cory Herperger

Et d’ailleurs, il en reste très peu, des îlots de verdure indigènes, selon Andrea Olive. C’est difficile de donner un chiffre exact… Mais peut-être que c’est précisément le problème : très peu de prairies sont conservées et personne n’a de chiffre précis.

Le manque d’attention portée aux prairies n’échappe pas à Kurt Wigness. Mais contrairement à la professeure en sciences politiques et environnement, il préférerait que d’autres éleveurs s'inspirent de ses pratiques plutôt que de se voir imposer de nouvelles réglementations. 

À 69 ans, il est conscient qu’il ne sera pas toujours là pour veiller sur ce qu’il a bâti. Je ne pense pas à la retraite, mais quand je ne serai plus là… Il regarde Merek qui complète la phrase de son père : Le scénario idéal serait que je puisse faire plus de télétravail pour revenir dans la région plus souvent.

Interrogé sur les raisons qui le poussent à continuer le legs familial, Merek réfléchit un instant, puis répond : On ne voudrait jamais qu’une parcelle de prairie indigène soit transformée pour en cultiver la terre. Ce serait un sacrilège.

Puis, l'éleveur referme la barrière sur l’oasis qu’il protège, laissant le champ libre au bison qui veille sur les prairies, son écosystème méconnu et parfois mal aimé. 

point de non retour Photo : Radio-Canada / Cory Herperger

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