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Montrez-moi ce théâtre que je ne peux voir

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Montrez-moi ce théâtre que je ne peux voir

Un texte de Stéphanie Dupuis Photographies par Ariane Labrèche Illustrations : Émilie Robert

Publié le 16 novembre 2023

Chez les Noël, le théâtre est une affaire de famille. À sa retraite, Sylvain a mis sur pied une troupe amateur avec son frère, au grand plaisir de leur sœur, qui assistait à chaque représentation… jusqu’à ce qu’elle perde la vue abruptement.

C’est par la suite qu’est née la théâtrodescription, d’une motivation à rendre accessible le théâtre aux personnes qui ne peuvent voir la scène, mais peuvent maintenant la vivre grâce à cette initiative.

Une femme en robe de mariée blanche entre sur la scène du théâtre en hurlant.
Scène tirée de la pièce « Traces d’étoiles » présentée au Théâtre du Rideau Vert au printemps 2023 Photo : Gracieuseté : Théâtre du Rideau Vert - François Delagrave

19 h 30 : c’est l’heure. Au signal sonore, les retardataires dans le vestibule du théâtre du Rideau Vert, à Montréal, se précipitent dans la salle pour assister à la pièce Traces d’étoiles.

Le comédien Maxim Gaudette, qui incarne le personnage d’Henry Harry, est déjà sur scène, et Mylène Mackay, dans le rôle de Rosannah Deluce, s’apprête à faire son entrée spectaculaire par la porte en bois située côté jardin. Sortie tout droit d’un blizzard, en robe de mariée d’un blanc cassé, elle récite une montée verbeuse énergique avant de s’écrouler, épuisée, sur le lit.

Jusqu’ici, rien ne diffère des autres représentations : la salle est comble. Mais pour environ 30 personnes du public avec une limitation visuelle, la pièce se vit autrement. Écouteurs aux oreilles et téléphone intelligent en main, elles sont guidées par une voix qui décrit les faits et gestes des comédiens et des comédiennes sur scène.

Cette voix, c’est celle de la comédienne Valérie Gagnon-Laniel installée confortablement dans un cubicule intime, en régie, de l’autre côté du théâtre. Entourée de son micro, d’un ordinateur affichant son scénario, et d’un moniteur diffusant la pièce, elle reste alerte. Chaque pause entre les dialogues est l’occasion pour elle de décrire ce qui n’est pas nommé en mots et en sons par le duo d’artistes en action. 

Sans théâtrodescription
Sans théâtrodescription

Un extrait de la pièce Traces d'étoiles.

Avec théâtrodescription
Avec théâtrodescription

Un extrait de la pièce Traces d'étoiles.

Un peu plus tôt, cette journée-là, Sylvain Noël, le pionnier et pilier de la théâtrodescription au Québec, prend le temps d’accueillir chaleureusement chacune des personnes qui entrent au théâtre pour assister à une séance tactile. Si l’événement est adapté pour la communauté de personnes aveugles ou malvoyantes, c’est notamment grâce au travail qu’il mène à bout de bras bénévolement depuis 10 ans avec son organisme Connec-T.

Une vingtaine de personnes, et un chien-guide, sont au rendez-vous, installées dans les sièges les plus près de la scène.

La séance débute.

Bonjour, on s’est déjà entendu avant. Je m’appelle Alexandre Michaud, je fais la direction technique au Rideau Vert. Pour ceux qui ne me voient pas, je suis extrêmement séduisant, lance-t-il à la blague, suivi d’un rire enthousiaste en provenance de la salle.

On peut toucher pour vérifier, réplique une personne de l’auditoire, entraînant un esclaffement général.

Dans la salle, les gens avec une limitation visuelle se font présenter un à un les costumes que porteront les personnages dans la soirée. Ces combines, ça me rappelle les pantalons que portait mon père ; Ce n’est pas la même texture qu’avait la robe dans laquelle je me suis mariée, peut-on entendre.

Nicole Chéri, qui accompagne son amie Nicole Trudeau lors d’activités culturelles, dessine avec son doigt sur la main de sa compagne la configuration de la scène.

C’est exceptionnel [les visites tactiles]. Ça enrichit le public et ajoute beaucoup de naturel, raconte celle qui a rencontré son amie en touchant la fesse d’une sculpture lors d’une séance tactile dans un musée.

Les comédiens et comédiennes font parfois des apparitions à ces visites, afin de familiariser les gens à leurs voix, et les aider à les associer à leurs personnages. Maxim Gaudette et Mylène Mackay ont accepté de se prêter au jeu pour les dernières minutes de la séance tactile.

Attrapé au départ du groupe, le duo d’artistes a été particulièrement touché par cette expérience.

« Le privilège d’être assis dans une salle de théâtre et d’assister à une pièce, quand on a tous nos sens, qui fonctionnent bien, on le tient pour acquis.  »

— Une citation de   Maxim Gaudette, comédien.

Les mains posées sur son cœur, Mylène Mackay prend quelques secondes pour ressentir le lien qu’elle a créé avec ces personnes

En allant jouer ce soir, j’ai envie d’aller encore plus porter les mots. Il faut vraiment que ma diction soit bonne, insiste-t-elle.

Montrez-moi ce théâtre que je ne peux voir Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

« Ma soeur est tombée aveugle du jour au lendemain »
« Ma soeur est tombée aveugle du jour au lendemain »

Chauffeur d’autobus pendant 32 ans pour la Société des transports de Montréal (STM), Sylvain Noël a longtemps mené une double vie… sur les planches. 

En 1995, il a livré un numéro d’humour – une parodie d’un chauffeur d’autobus – dans le cadre du festival Juste pour rire. Il a eu la piqûre : J’ai adoré l’expérience. Je voulais remonter à tout prix sur scène, faire du théâtre.

Comme projet de retraite, lui et son frère, Rénald Noël, qui se plaît à fabriquer des décors, ont lancé en 2007 la troupe de théâtre amateur l’Académie théâtrale l’Envol de Laval.

Comme bien du monde, mon frère, ma sœur et moi, on se voyait dans le temps des Fêtes, et quelques fois par an, sans plus. Mais à la retraite, on s’est développé, avec le théâtre, une belle complicité, souligne Sylvain Noël, tout sourire.

Sylvain et Raynald sont assis sur le divan de cuir du salon de Sylvain. Raynald regarde la caméra en souriant, alors que Sylvain regarde son frère avec affection.
Rénald Noël (à droite) soutient fièrement son frère Sylvain Noël (à gauche) dans sa lutte pour rendre les arts vivants plus accessibles.  Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

Sans être engagée activement dans la troupe, leur sœur Sylvie Noël assistait à chacune des représentations, un loisir qui s’est arrêté brusquement en 2012, moment où elle est devenue aveugle, à l’âge de 48 ans.

À la suite d’un banal examen de la vue, Sylvie Noël s’est fait prescrire une visite chez un neurochirurgien. Diagnostic : une tumeur envahissante à l’hypophyse.

« Je me suis endormie [sur la table d’opération], je voyais tout le monde. Je me suis réveillée, je ne voyais plus rien. »

— Une citation de   Sylvie Noël

Son sens de l’humour, Sylvie Noël ne l’a pas laissé sur la table d’opération : Avec Sylvain et Rénald qui venaient de prendre leur retraite, ça m’écœurait. J’ai trouvé le moyen d’arrêter, moi aussi.

Celle qui a fait carrière comme chargée de projet a dû tout réapprendre : marcher avec une canne blanche, faire la cuisine sans se couper, naviguer sur le web avec un lecteur d’écran.

Mais l’une des plus grandes épreuves pour elle a été de ne plus pouvoir voir de ses yeux les pièces montées par sa fratrie.

« Pour moi, c’était inconcevable qu’une personne, que ma sœur, surtout, en plus de perdre la vue, perde aussi l’accès à la culture si riche du Québec. »

— Une citation de   Sylvain Noël

On s’est aperçu qu’elle ne venait plus voir nos spectacles. Elle n’avait plus d’intérêt. On trouvait ça triste, mentionne Rénald Noël, qui porte une prothèse oculaire, et voit donc d’un seul œil depuis l’âge de cinq ans.

Montrez-moi ce théâtre que je ne peux voir Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

Théâtro... quoi?
Théâtro... quoi?

C’est en cherchant une solution que les deux frères se sont aperçus de la pauvreté de l’offre culturelle accessible aux personnes aveugles au Québec. Leur constat : la théâtrodescription était inexistante.

Guidé par un sentiment fort d’injustice, Sylvain Noël s’est catapulté, avec un groupe de personnes, au milieu de la jungle, pour défricher le sol. On n’avait personne pour nous guider, explique Sylvain Noël.

Puis, le chauffeur d’autobus à la retraite, qui porte des implants cochléaires pour bien entendre, a eu la puce à l’oreille : et si on utilisait les systèmes d’aide à l’audition pour les personnes malentendantes, déjà présents dans toutes les salles de spectacles?

Après avoir fait des recherches, des essais et des erreurs, il s’est rendu compte que ces équipements sont souvent désuets. Mais il a eu de la chance : Sennheiser, une entreprise allemande, développait justement un système d’aide à l’audition parfait pour la théâtrodescription. Et voulait collaborer à son projet.

En cognant aux bonnes portes, Sylvain a réussi à rassembler le financement pour se procurer le système qui, à l’époque, coûtait 15 000 $ l’unité. Le financement, c’est ma force, admet-il fièrement.

Ça en est même devenu une affaire familiale : Sylvie Noël, alors en invalidité de longue durée, a accepté de donner un coup de main. Ça m’a donné un nouveau souffle. Je me disais enfin que je pouvais faire des choses dans la vie.

La première fois

En 2014, c'est avec la pièce La déprime que la troupe l’Envol met la technologie à l’essai.

Dès le départ, il était clair qu’il fallait une narration en direct, notamment parce que le débit des acteurs et des actrices diffère d’une représentation à l’autre, mais aussi pour être en mesure de décrire la scène si une bourde est commise, par exemple.

C’est un membre de la troupe, André Brouillette, qui a écrit et narré la première théâtrodescription. On avait demandé à nos metteurs en scène de s’ajuster afin de permettre la lecture de certains passages de la pièce, sans empiéter sur le dialogue des comédiens, explique Sylvain Noël.

La première fois que ma sœur a pu entendre une pièce de théâtre en théâtrodescription, elle capotait, se remémore Rénald Noël, le sourire jusqu’aux oreilles.

Le père de la théâtrodescription, Sylvain Noël, est monté sur les planches, et a dédié la première pièce offerte en théâtrodescription à sa sœur.  Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

Sylvie Noël s’en souvient comme si c’était hier : J’étais fébrile. C’était un mélange d’émotions, de se dire ''Wow, c’est rendu concret'', et d’avoir tout de même une petite inquiétude à savoir si ça allait fonctionner jusqu’au bout. J’ai finalement pu me laisser entraîner dans la pièce comme n’importe qui d’autre à la représentation.

« Cet accomplissement, c’était pour moi aussi important que la première fois [...] que j’ai réussi à me déplacer avec ma canne blanche en allant tout droit. »

— Une citation de   Sylvie Noël

Une fois cette étape franchie, comme toute bonne chargée de projet, Sylvie Noël s’est retirée, histoire de ne pas enlever le mérite à son frère Sylvain, mais aussi pour ne pas devenir le visage de la théâtrodescription.[Sylvie] m’a dit : ''C'était ton bébé, je t’ai aidé à le mettre au monde, là tout le reste, c’est entre tes mains.''

Même si ce premier essai a été un succès, il restait un défi de taille : faire connaître la théâtrodescription au grand public.

De succès à épuisement

Celui qui a fait carrière comme chauffeur d’autobus a dû apprendre sur le tas à devenir  entrepreneur… pour le meilleur et pour le pire. 

On essayait de faire de la publicité du mieux qu’on pouvait, mais il n’y avait que deux ou trois personnes qui venaient , dit Rénald Noël, qui ne manque pas une occasion de lancer des fleurs à son frère pour tout le travail qu’il accomplit. Et des fois, même, personne ne venait! , renchérit Sylvain Noël, qui rappelle qu’il s’agit d’un travail d’équipe.

Deux hommes tout souriants  sont dans les coulisses d'un théâtre avec des files et des appareils électroniques.
À chaque pièce de théâtre offerte en théâtrodescription, Sylvain Noël se fait aider par une poignée de bénévoles pour installer l’équipement et répondre aux questions des gens sur son système. Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

Croyant dur comme fer dans sa mission, le retraité, guidé par la passion, ne cessait de se retrousser les manches pour cogner à toutes les portes.Moi, j’y ai dit combien de fois : ''T’es courageux, le frère, ça fait longtemps que j’aurais arrêté de ramer.'' Mais non, lui, il y croyait, dit Rénald Noël, toujours prêt à donner un coup de main. 

Ce qui devait arriver arriva : il s’est essoufflé, jusqu’à l’épuisement professionnel en 2018.

« Je m'étais mis le poids de la réussite de l’entreprise sur les épaules. Je me suis dit : Si j’arrête, ça va mourir, et il ne faut pas que ça meure.  »

— Une citation de   Sylvain Noël

Mais la vie fait parfois bien les choses. C’est pendant ce creux que tout s’est finalement mis à prendre forme. Sylvain Noël a compris « en regardant beaucoup [d’émissions] Dans l’œil du dragon à Radio-Canada » que sa clientèle n’était pas les personnes aveugles, mais plutôt les théâtres.

Il a donc changé de stratégie, et le téléphone a commencé à sonner. Un premier organisme culturel, le Centre Segal des arts de la scène, a intégré le concept à leur programme, suivi de Danse-Cité, puis du Théâtre du Rideau Vert.

Ça correspond aussi au moment où la comédienne Valérie Gagnon-Laniel, qui narre en direct la théâtrodescription, est entrée en scène et a pris sur ses épaules la coordination de Connec-T, pour faire équipe avec lui, et du même coup, lui offrir un peu de répit.

En plus de son métier de comédienne, Valérie Gagnon-Laniel assure désormais la théâtrodescription de plusieurs pièces pour un public avec des handicaps visuels. Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

Raconter une histoire autrement
Raconter une histoire autrement

Valérie Gagnon-Laniel se souvient du moment où elle a eu le coup de cœur pour la mission de Connec-T. À la suite d’une représentation, Sylvain m’a dit : ''Viens! Il y a des personnes non voyantes qui veulent te parler.'' J’ai été vraiment touchée par leurs commentaires.

C’est Sylvain Noël qui l’a initiée à la théâtrodescription, en 2018. La comédienne avait déjà fait du travail de voix, mais ne s’était jamais lancée dans l’audiodescription.

C’est un véritable travail de moine : derrière chaque représentation adaptée, il y a au minimum deux semaines de travail à temps plein de la part la comédienne.

On ne voit pas tout avec la captation vidéo, comme des précisions au niveau des couleurs, des matériaux. Ces données sont majeures pour les personnes non voyantes, mentionne-t-elle.

« Pour deux minutes de spectacle, ça me demande environ deux heures de travail. »

— Une citation de   Valérie Gagnon-Laniel, comédienne.

Qu’est-ce que j’ai besoin de dire pour que l’histoire soit compréhensible si je ne la vois pas, c’est la phrase qu’elle se répète sans cesse en rédigeant les grandes lignes d’une théâtrodescription.

Par exemple, au début de la pièce Traces d’étoiles, Rosannah a le regard perdu, égaré. Elle arrache la cuillère des mains d’Henry. C’est important de le nommer. Je ne peux pas le placer quand elle le fait, donc je vais le dire avant ou après. Je dois faire un choix [sans gâcher la surprise], détaille-t-elle.

Mylène Mackay et Maxim Gaudette dans la pièce Traces d'étoiles, présentée au Théâtre du Rideau vert. Photo : François Laplante Delagrave
La théâtrodescription doit se faire en direct, notamment parce que le débit des comédiens et comédiennes n’est pas le même d’une représentation à l’autre.  Photo : Courtoisie : Théâtre du Rideau Vert / François Delagrave

L’audiodescription est par la suite mise à l’épreuve lors d’une générale, l’occasion pour la comédienne de tester son temps au chronomètre.

Dans la salle, Erika Malot, qui a fait de l’accessibilité une priorité au Théâtre du Rideau Vert, écoute attentivement la pièce, les yeux fermés, et fournit ses commentaires.

Le jour J, Valérie Gagnon-Laniel, qui a échauffé sa voix pendant deux semaines, doit avoir une écoute active imparable. On ne s’en tient pas uniquement au texte narratif. Valérie a les deux yeux rivés sur un moniteur. S’il y arrive quelque chose d‘imprévu, elle va le décrire, explique Sylvain Noël.

Le cerveau frit, j’aime ça! Ça décrit bien l’état dans lequel je suis après, dit Valérie, en éclatant de rire. J’ai les épaules comme deux blocs. Heureusement, la pièce dure seulement 1 h 30, s’esclaffe la comédienne.

Mais le travail en vaut la chandelle, non seulement pour Sylvain Noël, qui décrit sa camarade comme un vent de fraîcheur, mais aussi pour les personnes avec une cécité : Pour eux, des sorties culturelles, ce n’était juste pas possible. Et là, c’est tout un monde qui s’ouvre. Ils ont une gratitude infinie.

Montrez-moi ce théâtre que je ne peux voir Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

Une nouvelle ère d’accessibilité en culture
Une nouvelle ère d’accessibilité en culture

Sylvain Noël le répète souvent : il a ramé fort pour partir la roue de la théâtrodescription, mais il a réussi à emporter des gens dans le courant, et qui aujourd’hui embrassent la cause. Erika Malot, la coordonnatrice du développement artistique au Théâtre du Rideau Vert, en fait partie.

Elle a tout implanté d’un coup pour la saison 2022-2023 du Théâtre : des représentations en langue des signes québécoises (LSQ), du surtitrage en français et en anglais, et de la théâtrodescription. C’est comme ça que son chemin a croisé celui de Sylvain Noël pour la première fois.

Une femme dans la quarantaine souriante devant une fenêtre.
Bien que la description du poste d’Erika Malot ne mentionnait pas une seule fois le mot « accessibilité », cette mission occupe maintenant environ 40 % de son temps, selon ses estimations.  Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

À chaque jour de représentation accessible aux personnes aveugles et malvoyantes, il se rend au théâtre du Rideau Vert, pour accueillir les gens, faire connaître Connec-T et offrir son aide lors des séances tactiles organisées.

[Erika] continue de faire le travail que j’ai entamé. Je récolte les fruits de ce que j’ai semé , se réjouit-il.

Un retard à rattraper

Si plusieurs pensent que Connec-T est en avance sur les autres, selon les deux frères, Sylvain Noël reste lucide : En France, ça fait 25 ans qu’ils font des pièces adaptées. On est très en retard comparé à l’Europe.

Il reste aussi du rattrapage à faire sur le plan de la sensibilisation du public. Si Erika Malot dit recevoir lors de pièces accessibles beaucoup de commentaires positifs, même de gens qui n’avaient aucune idée de la particularité de l’événement, elle reçoit aussi des plaintes à chaque fois.

Les gens amènent leurs propres écouteurs pour la théâtrodescription. Selon le modèle, s’ils sont de moins bonne qualité, ils laissent passer le son, admet-elle.

Dans la salle, on peut aussi parfois entendre des réactions verbales fortes, souvent décalées de l’intrigue. Si bien que pendant le spectacle accessible de Traces d’étoiles, le public a dû être rappelé à l’ordre.

C’est un apprentissage constant à faire, reconnaît Sylvain Noël, qui dit avoir mis en place un système pour éviter les dérangements pendant les séances : Ils sont habitués, maintenant. Ils lèvent la main en silence [s’ils ont un problème technique], et on va les voir.

Une comédienne est avec un technicien en coulisse d'un théâtre sous un éclairage feutré.

Ces plaintes, toutefois, pèsent moins dans la balance que tout le travail qu’il a accompli pour rendre les arts vivants accessibles aux gens avec une cécité.

« À moins que la planète ne s’écroule, ça va continuer. »

— Une citation de   Sylvain Noël

L’initiative de Connec-T continue de faire son chemin. Plusieurs salles à travers la province ont suivi l’exemple du Rideau Vert, comme l’Espace libre et la salle André-Mathieu, en offrant à leur tour des représentations accessibles.

La troupe de théâtre amateur l’Envol de Laval, dans laquelle s’implique encore Sylvain Noël, se décrit aujourd’hui comme la première troupe d’accessibilité universelle au Québec et continue de tenir des événements adaptés aux personnes avec une cécité.

La troupe fonctionne à plein régime et offre la théâtrodescription une séance sur dix, environ. Et c’est l’une des seules à le faire [dans sa catégorie].

Pour Rénald Noël, il s’agit d’un héritage qu’il souhaite léguer à lui-même, mais aussi à tout le Québec. J’espère que quand j’aurai 80 ans, je vais pouvoir continuer d’aller au théâtre et entendre quelque chose, dit celui qui aimerait que la théâtrodescription devienne une norme à l’échelle du Québec.

« Ce que je retiens là-dedans, c’est que c’est une belle histoire de famille. »

— Une citation de   Sylvie Noël

Mon souhait, c’est que quand je vais mourir, j’aurai laissé mon empreinte, et que la théâtrodescription soit entrée dans les cinémas et à la Place Bell à Laval, dit Sylvain Noël, en toute humilité – un trait de personnalité familier des Noël.

Ça serait ça, ma coupe Stanley. Je pense que j’ai plus de chance que le Canadien de ce côté, lance-t-il, en riant de bon cœur.

Mais sa grande fierté, c’est d’avoir enfin réussi à redonner en quelque sorte une vision, et un accès à la culture aux personnes non voyantes.

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