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Adaptation pour Internet : DANIELLE BEAUDOIN

Émission du 28 novembre 2003

LA DÉNATALITÉ AU QUÉBEC

On devait connaître la société des loisirs; pourtant, depuis dix ans, la semaine de travail est passée de 41 à 43 heures. Pour vivre une vie de famille décente, certains parents renoncent à une promotion ou encore réduisent leurs heures de travail. Mais la plupart des jeunes couples peuvent-ils se le permettre? Pour encourager la natalité, faudra-t-il revoir les lois du travail?

Journaliste : Pierre Duchesne
Réalisatrice : 
Christine Gautrin

 

Un rythme étourdissant

Chaque dimanche soir, c'est le même manège chez les Ménard-Savoie. Les deux jeunes cadres, Anne Ménard et Nicolas Savoie, doivent confronter leurs agendas de la semaine afin de trouver du temps pour s'occuper de leur bébé. En raison du travail qui prend toute la place, vivre en famille est devenu terriblement complexe.

Une jeune femme raconte le rythme effréné d'une journée : « Je me lève vers 4 h 30, on part vers 6 h 45 prendre l'autobus. Alors à 6 h 35, on est dehors. La petite déjeune à la garderie. Heureusement, parce je n'aurais pas le temps de la faire déjeuner à la maison. Ensuite, je file au travail pour 8 h 00. Le soir, je reviens la chercher. On reprend l'autobus. C'est comme ça tous les jours. »

Partout au Québec, cette quête effrénée pour gagner du temps se répète inlassablement, soir et matin. Le temps moyen que les parents accordent à leurs enfants est passé de 16 heures par semaine en 1991 à 11 heures en 2001.

François Lanthier, directeur du centre de la petite enfance Jardin Bleu, à Québec : « C'est étourdissant. Je vois certaines familles qui vivent à un rythme spectaculaire. Des gens qui ont l'impression de survivre plutôt que de vivre. […] Les familles sont épuisées. C'est ce qui explique qu'on ait moins d'enfants, entre autres. »

La semaine de quatre jours

En plus d'être papa, Nicolas Savoie est aussi le président de la Jeune chambre de commerce de Montréal. Depuis un an, il réclame que les patrons tiennent enfin compte de la réalité familiale de leurs employés. Il demande l'intervention de l'État sur cette question. Il rappelle que le Québec a l'un des plus faibles taux de natalité des pays de l'OCDE - avec 1,44 enfant par couple - et que le Québec a une population qui vieillit rapidement.

Pour contrer la dénatalité, la Jeune chambre de commerce revendique la semaine de quatre jours pour les jeunes familles, ou au moins des horaires plus flexibles. La Jeune chambre demande aussi que les parents de jeunes enfants aient la priorité dans le choix des vacances.

Les opposants à de telles idées ont été légion et le demeurent. Pourtant, ces propositions ont tellement frappé l'imaginaire qu'elles ont été reprises lors de la dernière campagne électorale. Les Libéraux avaient alors proposé de réduire les impôts pour faciliter la conciliation travail-famille. Pour Nicolas Savoie, « la conciliation travail-famille, c'est surtout une question de temps et de d'organisation du travail ».

Des garderies débordées

Le milieu de travail étant mal adapté à la réalité des familles, les garderies sont débordées. On leur confie des bébés de plus en plus jeunes, parfois de moins de trois mois. Retour des mères au travail oblige. Dans les écoles, les services de garde ouvrent de plus en plus tôt, dès 6 h 30. Certaines garderies, quant à elles, sont ouvertes sept jours sur sept. François Lanthier : « C'est certain que nous aussi, dans les services de garde, on pourrait tout prendre sur nos épaules, la responsabilité de la conciliation famille/travail. On pourrait avoir des heures d'ouverture encore plus flexibles. Mais à un certain moment, il faut que la société se prenne en main. Il n'y a pas que les services de garde qui doivent faire des efforts. »

Une question d'ordre personnel?

De leur côté, malgré les lourdes pressions exercées actuellement sur les travailleurs, la plupart des entreprises considèrent toujours que la conciliation famille-travail est une question d'ordre personnel.

Mélanie Kau dirige la compagnie Mobilia, qui compte 15 magasins et plus de 200 employés. Entrepreneure performante, le chiffre d'affaires de son entreprise a presque triplé sous sa direction. Pour cette mère d'un jeune enfant, le travail demeure à l'avant-plan de sa vie. Rapidement après son accouchement, elle est retournée dans son entreprise.

Au lieu de diminuer, le nombre moyen d'heures consacrées au travail augmente, contrairement à la tendance observée en Europe. Au Canada, la semaine moyenne de travail est passée de 41 heures en 1991 à 43 heures en 2001.

Si dans certains pays, comme la France, une politique familiale globale a eu pour effet de freiner la dénatalité et de revaloriser la famille, au Québec on n'en est pas là. Depuis la révolution tranquille, la famille québécoise a subi d'importantes transformations qui ont eu pour effet de faire chuter dramatiquement le nombre de naissances. Mais les choses changent peut-être. De nouvelles valeurs sont en train d'émerger, surtout chez les jeunes.

Un nouveau sondage CROP Radio-Canada-La Presse indique que les 18-34 ans valorisent encore plus la vie de famille que leurs parents ne le font. C'est le cas de Luc Joly et de Natalie Babin. Ils travaillent tous les deux mais font beaucoup d'efforts pour passer plus d'heures avec leurs deux filles. Pour ses enfants, Luc Joly a mis fin aux réunions de travail qui se tenaient à 6 h 45 le matin. Il a même refusé une promotion afin de maintenir l'équilibre qu'il s'est donné entre le travail et sa vie en famille. Luc Joly : « J'ai eu des offres, mais j'ai dit : "L'important pour moi c'est la famille, je ne refuse pas votre poste, peut-être dans quelques années." »

Pour Madeleine Gauthier, spécialiste des nouvelles tendances, ce cas est loin d'être unique. Elle souligne que de plus en plus de jeunes, tant au Québec qu'en Europe, donnent la priorité à la qualité de vie et à la famille.

Les conséquences de la dénatalité

L'alarme est déclenchée au Québec. La population en âge de travailler - celle de 15 à 64 ans - va cesser de croître d'ici sept ans. Les travailleurs vont vieillir, prendre leur retraite en masse et même une politique de forte immigration ne pourra pas résoudre le problème. On commence ici à s'inquiéter des conséquences de la dénatalité.

Par exemple, le mouvement Desjardins, premier employeur privé au Québec, doit faire face, tout comme les principales entreprises, au départ massif des baby-boomers. Dans dix ans, 40 % de son personnel prendra sa retraite. La situation est identique à Hydro-Québec. Elle est pire dans le secteur public, où plus de la moitié du personnel a plus de 45 ans.

Entre 2010 et 2040, près de 1 million d'emplois devront être comblés par les départs à la retraite.

Gilles Taillon, porte-parole du milieu patronal, reconnaît que les besoins des jeunes familles sont criants, mais pour éviter des pénuries de main-d'œuvre, il prétend qu'il faut avant tout s'occuper des baby-boomers. À Québec, on tient le même discours. Pour retenir les travailleurs de 60 ans et plus, on est prêt à bonifier leur rente tout en favorisant la semaine de quatre jours. Des jeunes craignent que tout cela ne se fasse au détriment des couples avec enfants. Et les jeunes familles, déjà sous pression, risquent de l'être encore plus avec le vieillissement de la population qui devrait faire exploser les coûts de santé.

Pour les jeunes couples, la seule issue est de redéfinir le travail, pour laisser plus de place à la famille.

Vous pouvez revoir l'émission Place publique en compagnie de l'animatrice Madeleine Roy et de Nicolas Savoie, président de la Jeune Chambre de Commerce de Montréal.



POUR VISIONNER
LE REPORTAGE

Première partie
Deuxième partie


POUR EN SAVOIR PLUS

Conférence Des enfants pour le Québec, présentée conjointement par Radio-Canada et La Presse, le 3 décembre 2003 à Montréal.

Avis du Conseil de la famille et de l'enfance : Avoir des enfants, un choix à soutenir.
Publié en avril 2003. Portrait de la démographie au Québec depuis 1960, politiques familiales actuelles et recommandations au gouvernement québécois. Format PDF.

Ministère de la famille et de l'enfance, section famille.
Lois et règlements, services de garde, politique familiale, conseils et informations diverses.

Émission Maisonneuve, à la radio de Radio-Canada, les résultats du sondage Crop réalisé pour Radio-Canada et La Presse montrant que la majorité des Québécois est peu préoccupée par la dénatalité.
(décembre 2003).

Émission Maisonneuve, à la radio de Radio-Canada, sur la hausse du nombre de naissances au Canada (août 2003).

Institut de la statistique du Québec
Statistiques officielles



L'émission Zone Libre est diffusée sur les ondes de Radio-Canada le vendredi à 21 h.

Elle sera présentée en rediffusion dans le cadre de l'émission Place publique, le jeudi à 12 h 30, et sera alors enrichie par des commentaires et des discussions en direct. En outre, on répondra à des questions des téléspectateurs soulevées par l'émission.

L'émission est aussi rediffusée intégralement sur les ondes de RDI le dimanche à 20 h et le lundi à 1 h.

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