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Adaptation pour Internet : CAROLINE PAULHUS

LA CLASSE MOYENNE AUX ÉTATS-UNIS, UN ACCIDENT DE L'HISTOIRE ?
Émission du 14 février 2003

Journaliste : ESTHER LAPOINTE
Réalisateur : LUC MARIOT

Aux États-Unis, plus que partout ailleurs, la sagesse populaire mesure souvent le succès personnel à la quantité d'argent que l'on amasse durant sa vie. Un riche, là-bas, c'est donc quelqu'un qui a su saisir des opportunités et qui a réussi. Il a gagné le droit de faire rêver les moins riches en menant une vie de riche dans des endroits sympathiques. Aux États-Unis, les 13 000 foyers les plus riches gagnent presque autant que les 20 millions de ménages les plus pauvres.

 

À bord de sa voiture, André Dupuis, psychiatre, croit qu'avec un peu de bonne volonté, tous peuvent devenir riches. « Mon expérience m'a fait voir qu'une personne qui veut faire des sous [peut y arriver]. On a un besoin énorme de gens qui n'ont pas de métier, alors un jeune peut trouver un emploi. Il n'y a pas de sot métier. On peut devenir très riche à faire du travail domestique. »

Seulement voilà, même en travaillant très dur, tout le monde ne devient pas riche aux États-Unis. Parmi ces immigrants qui rêvaient d'une vie meilleure, beaucoup ont simplement réussi à vivre un peu mieux que leurs parents, et à espérer que leurs enfants feraient de même. C'est le cas de M. Tribuzio, propriétaire d'une boucherie italienne de Brooklyn. « L'Amérique a beaucoup changée. Ce n'est plus l'Amérique que j'ai connue. Aujourd'hui, il vous faut être très spécialisé. Si vous n'êtes pas spécialisé, c'est très dur car la vie est très chère. Ce n'est plus l'Amérique de ceux qui ne venaient qu'avec leurs bras. »

Le développement de la classe moyenne américaine s'est appuyé à la fois sur les réformes sociales et le syndicalisme issus de la crise des années 30, ainsi que sur la prospérité économique de l'après-guerre, un monde où l'écart entre riches et pauvres avait tendance à décroître. Un monde aujourd'hui disparu.

Depuis 25 ans, une partie de la classe moyenne américaine a dû lutter pour maintenir son revenu. Bill Savage ne pense pas autrement, ce fils de policier d'origine irlandaise est chargé de cours dans une université, mais ne gagne pas assez d'argent pour s'acheter une maison. « La croissance aux États-Unis, au 19e et début du 20e siècle, était une croissance industrielle. Ça suppose qu'on faisait travailler les gens. Et lorsque ces gens se sont syndiqués, il a fallu bien les payer. Les gens travaillaient de leurs mains et produisaient de la valeur; ils gagnaient assez d'argent pour s'acheter une maison, une résidence secondaire, un bateau, une voiture. Ils n'avaient aucune raison de faire la révolution. Tout allait bien. Mais comme il n'y a pas eu de syndicats dans le sud, avec la mondialisation ensuite, ce genre de croissance a disparu. Aujourd'hui, c'est un autre genre de croissance. Si vous avez de l'argent, vous pouvez faire de l'argent. Si vous avez les moyens d'investir dans les bons titres, au bon moment, vous pouvez devenir outrageusement riche. Mais si vous travaillez de vos mains, vous vous faites avoir. »

Richard Longworth, journaliste du Chicago Tribune, blâme l'instabilité de la vie d'aujourd'hui. « La classe moyenne est fondée sur la stabilité : on a un emploi, on achète une maison, on vit dans une ville donnée, on envoie ses enfants dans une école donnée, on planifie sa retraite. Pas très passionnant, mais stable, régulier, prévisible… C'est cette prévisibilité et cette stabilité qui sont en train de disparaître. L'autre caractéristique de la classe moyenne, c'est que si vous travaillez fort, si vous acquittez vos droits, si vous respectez la loi et si vous faites tout comme il faut, vous allez progresser dans la vie. C'est un peu comme un escalier roulant qui monte. Vous embarquez sur la première marche, vous faites tout ce qu'on attend de vous et vous arrivez en haut, la vie est meilleure. Ce n'est plus vrai aujourd'hui, cet escalier roulant n'existe plus. Aujourd'hui nous avons une échelle, et il y a encore des gens qui peuvent y grimper, mais il ne suffit plus de faire tout comme il faut pour voir sa paye augmenter, son niveau de vie s'améliorer. »

La communauté noire américaine connaît bien cette fragilité de la classe moyenne. Le revenu d'une famille afro-américaine moyenne est, encore aujourd'hui, inférieur à celui des Blancs. Alors, on ne se fait pas trop d'illusions sur le « pays des opportunités », même si l'on a fait de bonnes études. « Il faut savoir qu'il y a des facteurs dans notre société qui touchent tout le monde. Mais lorsqu'on est Noir, ça nous touche deux fois plus. Lorsque Jane Doe perd son emploi, elle attend six mois avant d'en retrouver un autre, pour un Noir, ces six mois peuvent devenir des années », explique un des membres d'une église presbytérienne de Cincinnati.

Mais tous ne sont pas aussi fatalistes. Certains vont jusqu'à défendre les riches, non sans cacher un certain espoir d'arriver au même niveau un jour. Il y a deux ans, un sondage commandé par CNN et Time Magazine montrait que 19 % des Américains pensaient être assez riches pour bénéficier des coupures d'impôt de George W. Bush, et qu'un autre 20 % croyaient qu'ils le seraient un jour. Un optimisme de masse encouragé aussi par certains instituts privés de recherche économique, favorables aux réductions d'impôt. (voir la citation ci-contre)

Mais ces optimistes restent minoritaires. La plupart doutent de l'avenir de la classe moyenne aux États-Unis. Certains prédisent carrément sa disparition progressive, comme si elle n'avait été qu'un accident dans l'histoire d'un pays habitué à de forts contrastes entre richesse et pauvreté.

POUR VISIONNER
LE REPORTAGE

Première partie
Deuxième partie
Générique

images : PIERRE MAINVILLE
son : JOE CANCILLA
montage : DOMINIQUE LESSARD

Il existe des optimistes

« Ce sont les gens à revenus élevés, les gens riches, qui sont en fait les moteurs de notre croissance économique et de notre prospérité, des entrepreneurs qui finissent par être très riches personnellement, qui procurent ces possibilités et ces emplois intéressants pour les autres. Il y a du vrai là-dedans.

D'un autre côté, on a tendance à considérer que ces gens sont des grippe-sous, des avares qui accumulent la richesse et la gardent pour eux. Ce n'est pas vrai, au contraire : les entrepreneurs ne s'enrichissent pas dans le vide, ils s'enrichissent parce qu'ils produisent pour nous des biens précieux, dont nous profitons tous. Prenez Bill Gates, par exemple, après des débuts plutôt modestes, il est devenu riche parce qu'il nous a donné quelque chose dont nous voulions tous. Il nous a rendus plus riches, pas plus pauvres.

C'est la bonne vieille économie du "ruissellement". C'est Galbraith, je crois, qui disait qu'il faudrait plutôt parler d'économie du cheval et du moineau, qui dit que si vous donnez suffisamment d'avoine au cheval, il en tombera forcément assez sur la route pour nourrir le moineau. Prenez les gens riches d'aujourd'hui, où seront-ils dans 10, 20 ans ? Beaucoup d'entre eux ne seront plus riche. Il y a un groupe de gens riches, mais c'est un groupe qui se renouvelle. »

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