À
bord de sa voiture, André Dupuis, psychiatre, croit qu'avec
un peu de bonne volonté, tous peuvent devenir riches. « Mon
expérience m'a fait voir qu'une personne qui veut faire des
sous [peut y arriver]. On a un besoin énorme de gens qui
n'ont pas de métier, alors un jeune peut trouver un emploi.
Il n'y a pas de sot métier. On peut devenir très riche
à faire du travail domestique. »
Seulement
voilà, même en travaillant très dur, tout le
monde ne devient pas riche aux États-Unis. Parmi ces immigrants
qui rêvaient d'une vie meilleure, beaucoup ont simplement
réussi à vivre un peu mieux que leurs parents, et
à espérer que leurs enfants feraient de même.
C'est le cas de M. Tribuzio, propriétaire d'une boucherie
italienne de Brooklyn. « L'Amérique a beaucoup
changée. Ce n'est plus l'Amérique que j'ai connue.
Aujourd'hui, il vous faut être très spécialisé.
Si vous n'êtes pas spécialisé, c'est très
dur car la vie est très chère. Ce n'est plus l'Amérique
de ceux qui ne venaient qu'avec leurs bras. »
Le
développement de la classe moyenne américaine s'est
appuyé à la fois sur les réformes sociales
et le syndicalisme issus de la crise des années 30, ainsi
que sur la prospérité économique de l'après-guerre,
un monde où l'écart entre riches et pauvres avait
tendance à décroître. Un monde aujourd'hui disparu.
Depuis
25 ans, une partie de la classe moyenne américaine a dû
lutter pour maintenir son revenu. Bill Savage ne pense pas autrement,
ce fils de policier d'origine irlandaise est chargé de cours
dans une université, mais ne gagne pas assez d'argent pour
s'acheter une maison. « La croissance aux États-Unis,
au 19e et début du 20e siècle, était une croissance
industrielle. Ça suppose qu'on faisait travailler les gens.
Et lorsque ces gens se sont syndiqués, il a fallu bien les
payer. Les gens travaillaient de leurs mains et produisaient de
la valeur; ils gagnaient assez d'argent pour s'acheter une maison,
une résidence secondaire, un bateau, une voiture. Ils n'avaient
aucune raison de faire la révolution. Tout allait bien. Mais
comme il n'y a pas eu de syndicats dans le sud, avec la mondialisation
ensuite, ce genre de croissance a disparu. Aujourd'hui, c'est un
autre genre de croissance. Si vous avez de l'argent, vous pouvez
faire de l'argent. Si vous avez les moyens d'investir dans les bons
titres, au bon moment, vous pouvez devenir outrageusement riche.
Mais si vous travaillez de vos mains, vous vous faites avoir. »
Richard
Longworth, journaliste du Chicago Tribune, blâme l'instabilité
de la vie d'aujourd'hui. « La classe moyenne est fondée
sur la stabilité : on a un emploi, on achète une maison,
on vit dans une ville donnée, on envoie ses enfants dans
une école donnée, on planifie sa retraite. Pas très
passionnant, mais stable, régulier, prévisible
C'est cette prévisibilité et cette stabilité
qui sont en train de disparaître. L'autre caractéristique
de la classe moyenne, c'est que si vous travaillez fort, si vous
acquittez vos droits, si vous respectez la loi et si vous faites
tout comme il faut, vous allez progresser dans la vie. C'est un
peu comme un escalier roulant qui monte. Vous embarquez sur la première
marche, vous faites tout ce qu'on attend de vous et vous arrivez
en haut, la vie est meilleure. Ce n'est plus vrai aujourd'hui, cet
escalier roulant n'existe plus. Aujourd'hui nous avons une échelle,
et il y a encore des gens qui peuvent y grimper, mais il ne suffit
plus de faire tout comme il faut pour voir sa paye augmenter, son
niveau de vie s'améliorer. »
La
communauté noire américaine connaît bien cette
fragilité de la classe moyenne. Le revenu d'une famille afro-américaine
moyenne est, encore aujourd'hui, inférieur à celui
des Blancs. Alors, on ne se fait pas trop d'illusions sur le « pays
des opportunités », même si l'on a fait
de bonnes études. « Il faut savoir qu'il y
a des facteurs dans notre société qui touchent tout
le monde. Mais lorsqu'on est Noir, ça nous touche deux fois
plus. Lorsque Jane Doe perd son emploi, elle attend six mois avant
d'en retrouver un autre, pour un Noir, ces six mois peuvent devenir
des années », explique un des membres d'une
église presbytérienne de Cincinnati.
Mais
tous ne sont pas aussi fatalistes. Certains vont jusqu'à
défendre les riches, non sans cacher un certain espoir d'arriver
au même niveau un jour. Il y a deux ans, un sondage commandé
par CNN et Time Magazine montrait que 19 % des Américains
pensaient être assez riches pour bénéficier
des coupures d'impôt de George W. Bush, et qu'un autre 20 %
croyaient qu'ils le seraient un jour. Un optimisme de masse encouragé
aussi par certains instituts privés de recherche économique,
favorables aux réductions d'impôt. (voir la citation
ci-contre)
Mais
ces optimistes restent minoritaires. La plupart doutent de l'avenir
de la classe moyenne aux États-Unis. Certains prédisent
carrément sa disparition progressive, comme si elle n'avait
été qu'un accident dans l'histoire d'un pays habitué
à de forts contrastes entre richesse et pauvreté.
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Il
existe des optimistes
« Ce
sont les gens à revenus élevés, les gens riches,
qui sont en fait les moteurs de notre croissance économique
et de notre prospérité, des entrepreneurs qui finissent
par être très riches personnellement, qui procurent
ces possibilités et ces emplois intéressants pour
les autres. Il y a du vrai là-dedans.
D'un
autre côté, on a tendance à considérer
que ces gens sont des grippe-sous, des avares qui accumulent la
richesse et la gardent pour eux. Ce n'est pas vrai, au contraire :
les entrepreneurs ne s'enrichissent pas dans le vide, ils s'enrichissent
parce qu'ils produisent pour nous des biens précieux, dont
nous profitons tous. Prenez Bill Gates, par exemple, après
des débuts plutôt modestes, il est devenu riche parce
qu'il nous a donné quelque chose dont nous voulions tous.
Il nous a rendus plus riches, pas plus pauvres.
C'est
la bonne vieille économie du "ruissellement". C'est
Galbraith, je crois, qui disait qu'il faudrait plutôt parler
d'économie du cheval et du moineau, qui dit que si vous donnez
suffisamment d'avoine au cheval, il en tombera forcément
assez sur la route pour nourrir le moineau. Prenez les gens riches
d'aujourd'hui, où seront-ils dans 10, 20 ans ? Beaucoup
d'entre eux ne seront plus riche. Il y a un groupe de gens riches,
mais c'est un groupe qui se renouvelle. »
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