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Adaptation pour Internet : CAROLINE PAULHUS

FAUT-IL CRAINDRE L'EFFET DES JEUX VIDÉO ?
Émission du 24 janvier 2003

journaliste : HÉLÈNE PICHETTE
réalisateur : JEAN-LUC PAQUETTE

On les appelle les « gamers », mais chacun préfère porter fièrement son propre nom d'emprunt. Ils partagent tous la même passion : les jeux vidéo en ligne. En équipe de quatre ou cinq, ils peuvent passer des nuits complètes à jouer, jusqu'à ce que les meilleurs gagnent.

La passion des jeux vidéo — qui sont pour la plupart très sanglants et violents — inquiète certains parents et sociologues. Faut-il lier la montée en popularité de ce phénomène à la multiplication des crimes spectaculaires ? Tous ne sont pas prompts à porter ce jugement.

 

Il est 8 heures, un petit samedi matin de novembre. Quelque 273 mordus des jeux vidéo en ligne attendent avec impatience d'entrer au cégep Édouard-Montpetit de Longueuil pour une fin de semaine de tournoi. Les joueuses, elles, sont rares. On en compte trois seulement.

Tous rebaptisés d'un pseudonyme, les gamers transportent la panoplie d'accessoires qu'il faut : sur le trottoir, pêle-mêle, les ordinateurs, sacs de couchage, oreillers et victuailles. Au Québec, depuis 4 ou 5 ans, il y a des tournois de jeux en circuit fermé. Des centaines de joueurs s'affrontent dans un même endroit : on appelle cela des LAN parties, LAN pour Local Area Network, le système qui les relie. C'est un des événements favoris des joueurs. L'inscription pour le week-end coûte 45 $.

Une fois à l'intérieur, on sent la fébrilité des joueurs et des organisateurs. De 8 h à midi, c'est le branle-bas général. Chacun sait très bien où placer le fil, le câble, la souris. Il y a des kilomètres de câbles, toutes sortes d'équipements. Un vrai paradis pour amateurs de jeux vidéo. Il faut des sous pour devenir gamer. « Gamer », c'est une appellation contrôlée !

Âgé de 16 ans, Guillaume Caprini fait partie des joueurs d'élite au jeu Counter-Strike, un des jeux favoris des gamers québécois. Il joue depuis deux ans et il joue beaucoup. « [Je joue] environ huit heures par jour », confie-t-il.

Faute d'avoir ses coéquipiers habituels, Thirteenth Warrior, notre jeune Guillaume dans la vie de tous les jours, se joint à l'équipe AND 2. Les hostilités peuvent commencer. À Counter-Strike, deux équipes de cinq joueurs s'affrontent : chacune de ces équipes a défini sa stratégie de jeu. Le jeu requiert toujours beaucoup de concentration. Pendant une compétition, le niveau d'adrénaline est encore plus élevé. Mais les concurrents se sont préparés de longue date en jouant en ligne ou en fréquentant les salons de jeux.

Qu'est-ce qu'en pensent les parents ?

Caroline, sœur et tutrice de Guillaume : « [Je m'inquiète] qu'il passe la nuit, jusqu'au matin, zombie, le bras qui bouge tout seul ».

Mère d'un autre joueur : « Je veux qu'il fasse autre chose. Des fois, je lui botte le derrière pour qu'il aille jouer dehors, parce qu'il doit prendre de l'air aussi ! ».

Autre maman : « On le laisse aller un peu, parce qu'au moins, il ne boit pas, ne fume pas, ne se drogue pas. Il est à la maison, je sais où il est, c'est important ».

Violence : passer du jeu à la réalité

Dans le jeu de Counter-Strike, deux équipes s'affrontent : les terroristes et les antiterroristes, les bons et les méchants. Ces guerriers font usage de toutes sortes d'armes : mitraillette, couteau, revolver, grenade… D'autres jeux se déroulent pendant la Deuxième Guerre mondiale, où on retrouve les soldats des deux camps et leur équipement. Mais toujours il y a du sang, beaucoup de sang !
Sommes-nous en train de créer de véritables petits monstres ?

David Grossman est un militaire américain à la retraite. Il a entrepris une véritable croisade contre la violence dans les médias et les jeux vidéo. C'est aussi un spécialiste des armes, consulté par les télévisions lors d'événements comme l'arrestation des tueurs en série de Washington. Toute l'année, il fait des conférences à travers les États-Unis, la plupart du temps devant des policiers. Graphique à l'appui, il affirme que le taux de criminalité a augmenté partout dans le monde depuis trente ans, y compris aux États-Unis et au Canada. David Grossman n'hésite pas à utiliser l'exemple des massacres commis dans les écoles de Jonesboro ou de Littleton comme preuve de sa théorie sur les conséquences néfastes des jeux vidéo.

Mais tous ne sont pas du même avis. Le psychologue Jean-Pierre Rochon croit que les jeunes savent faire la différence. « Ce qui se passe avec des personnages virtuels ne ressemble pas tellement à ce qui se passe dans la vraie vie, alors je pense qu'il y a tout un monde entre les deux et qu'on n'oublie jamais que les jeux restent virtuels. »

Jean-François William est très populaire auprès des gamers. Il a mis sur pied un programme d'études pour les créateurs de jeux vidéo, et c'est lui qui donnait le coup d'envoi du tournoi au cégep Édouart-Montpetit. Il a des idées bien arrêtées sur les effets potentiellement dangereux des jeux vidéo et sur la hausse du taux de criminalité. « Attention ! Il n'y a pas de hausse, il y a une baisse de la criminalité aux États-Unis. C'est de la désinformation ! Le taux de criminalité [chez les jeunes de l'âge de ceux qui sont au tournoi] a descendu drastiquement ces dernières années. Donc, les “tatas” qui essayent de nous rabâcher la tête avec la violence directement causée par les jeux vidéo sont dans les patates ! »

Le criminologue Marc Ouimet étudie les causes de la délinquance et les statistiques de la criminalité. Il confirme les propos de Jean-François : « Il est vrai qu'il y a eu augmentation [de la violence] dans nos sociétés entre 1960 et 1990. Mais depuis 1990, la criminalité comme les meurtres, les voies de fait et les agressions sexuelles a baissé de 25, 30, voire même 40 %, autant aux États-Unis qu'au Canada ». Selon lui, les gens qui défendent l'idée selon laquelle les jeux vidéo sont nocifs tordent les statistiques et ne les présentent pas dans leur réalité. « En fait, le profil du jeune délinquant ne correspond pas du tout au profil des jeunes joueurs de jeux vidéo. Le portrait type du délinquant, ce n'est pas du tout ça. C'est un garçon qui cherche l'excitation, souvent à l'extérieur de la maison, qui quitte la maison, va dans les arcades, va dans les parcs. Il s'amuse avec d'autres jeunes. Lui, il est à la recherche de sensations fortes. Pour ce jeune-là, les jeux vidéo ne représentent pas nécessairement quelque chose d'intéressant. »

Au cégep Édouard-Montpetit, les organisateurs du tournoi ont eu de sérieux problèmes informatiques. Mais les joueurs ne s'en plaignent pas vraiment. En plus de s'amuser, ils n'ont pas à suivre les règles qu'imposent habituellement les parents. Résultat : beaucoup de désordre et peu de sommeil. « [On a joué toute la nuit]. Peut-être une heure ou deux de sommeil mais pas plus », nous dit Guillaume.

Le coup d'envoi du tournoi n'a été donné que le dimanche, plutôt que le samedi soir. La pression est de plus en plus forte pour les équipes qui se rendent aux éliminatoires. Même avec un handicap important — ils sont quatre joueurs plutôt que cinq — l'équipe de Guillaume gagne en quart de finale, mais elle ne fera pas les demi-finales. Un autre joueur a dû partir. Malgré cela, Thirteenth Warrior et ses coéquipiers sont fiers d'eux. Qu'est-ce qui attend Guillaume ? « Je vais m'en aller aux études. Je vais aller au cégep. Deux ans de cégep, quatre ans d'université en génie informatique. C'est le top des top en informatique. »

 

Principaux jeux utilisés
  • Half-Life Counter Strike par Sierra
  • Star Craft par Blizzard Entertainment
  • Medal of Honour par les jeux EA
  • Serious Sam II par Crotea


POUR VISIONNER
LE REPORTAGE

première partie

deuxième partie

troisième partie


La science étudie le phénomène

Alain Dagher est neurologue à l'Institut de neurologie de Montréal. Il cherche à comprendre ce qui provoque la libération de dopamine dans le cerveau. La dopamine, un neurotransmetteur, a longtemps été considérée comme la réponse à une activité qui procure du plaisir. En étudiant le cerveau de gens normaux qui consommaient de l'alcool ou des amphétamines, et même de la nourriture, le docteur Dagher et ses collègues ont pu mesurer la libération de dopamine et voir où cela se passait exactement dans le cerveau. « On croit que le degré de libération de dopamine est un facteur de risque pour la dépendance. Les gens qui libèrent le plus de dopamine, que ce soit en réponse aux drogues ou, par exemple, aux jeux vidéo, [démontrent un] risque de devenir dépendant. »

La cyberdépendance existe bien. Les psychologues ont déjà commencé à prendre le relais après les résultats des neurologues. Jean-Pierre Rochon s'intéresse à cette question depuis plusieurs années. Il a un site Internet très actif, comme on en trouve un peu partout dans le monde. Certains dépendants le consultent ainsi de façon anonyme. Selon lui, on pourrait sans doute évaluer le nombre de cyberdépendants à 10 % de la population des joueurs, un pourcentage équivalent au nombre d'alcooliques dans notre société.

« Être accro au jeu en ligne, c'est une dépendance, au même titre que les autres dépendances. [Pour diagnostiquer qu'un jeune souffre de dépendance], je lui demanderais pourquoi il joue tant d'heures, qu'est-ce que ça lui apporte, est-ce qu'il aime ses professeurs, est-ce qu'il aime, [ou n'aime] pas étudier ? C'est tout ça que j'ai tendance à aller questionner pour savoir pourquoi il a ce comportement-là », explique le psychologue.

POUR EN SAVOIR PLUS

Le Psynternaute, le «psy» des internautes
Site du psychologue Jean-Pierre Rochon

L'émission Zone Libre est diffusée sur les ondes de Radio-Canada le vendredi à 21 h et présentée en rediffusion sur les ondes de RDI le samedi à 23 h, le dimanche à 20 h ainsi que le lundi à 1 h.

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