Son
histoire était pourtant bien simple, le consultant en immigration
et ses complices lui ont demandé 6000 dollars pour la faire
admettre comme réfugiée au Canada. Et ce n'était
que le début. « L'argent avait déjà
été réclamé avant que j'arrive, explique
Anne-Marie. Maintenant ils me réclamaient 4000 dollars pour
les frais d'avocat, comme ils disent. » D'abord,
il y a eu une lettre d'invitation pour qu'Anne-Marie entre au Canada
en tant que touriste. Prix : 1700 $, payés
par transfert bancaire à un couple d'origine congolaise.
Ensuite arrivée à Dorval, enceinte de 35 semaines,
Anne-Marie doit payer un autre 1000 dollars. « C'est
tout ce que j'avais », dit-elle avec beaucoup d'émotion.
Trois
jours après son arrivée à Montréal,
le couple congolais dirige Anne-Marie vers le bureau de Sylvain
Matandi, un consultant en immigration qui est aussi d'origine congolaise.
Prétendument pour assurer sa sécurité, ce dernier
lui suggère de changer de nom et de se débarrasser
de son passeport, un document en bonne et due forme et valide pour
cinq ans. Lorsque l'équipe de Zone libre a rencontré
M. Matandi, il a affirmé qu'il n'avait rien à voir
avec la disparition du passeport d'Anne-Marie, et il a montré
un extrait de naissance d'Anne-Marie, preuve irréfutable
de la seule identité qu'il lui connaisse. C'est Anne-Marie
qui le lui aurait fourni. Le document porte le faux nom d'Anne-Marie.
Cette dernière avance pourtant n'avoir jamais vu ce certificat
auparavant. « En plus, sur cet extrait de naissance,
le nom de mon père ne figure pas [alors que sur le véritable
extrait il y est] », note-t-elle.
Notre
enquête a démontré que Sylvain Matandi n'a jamais
déposé ce document dans le dossier d'Anne-Marie à
la Commission du statut de réfugié. Pire encore : il
a indiqué qu'elle ne possédait aucun document. On
est donc en droit de se demander si cet extrait de naissance n'est
pas un faux, ajouté au dossier après qu'Anne-Marie
ait rompu avec son conseiller.
Sylvain
Matandi donne ensuite le dossier d'Anne-Marie à un avocat,
Me Fernandez, dont le nom apparaît sur le formulaire de renseignements
personnels qu'Anne-Marie doit remplir pour entamer les procédures
de demande d'asile. Une demande de remboursement d'honoraires à
l'aide juridique est également faite au nom de Patrick Fernandez.
L'avocat Patrick Fernandez affirme qu'il n'a jamais été
mis au courant que le nom apparaissant sur le formulaire était
faux. Il n'a jamais parlé à Anne-Marie autrement que
par téléphone.
Terrorisée
par sa situation, Anne-Marie se confie à la responsable du
refuge où elle habite. Sur Deborah, que nous avons
retrouvée à Vancouver, est révoltée.
Elle accompagne la jeune femme au bureau d'Immigration Canada pour
rétablir la vérité. Tous les papiers que possédait
Anne-Marie portaient son vrai nom, elle n'a donc eu aucun mal à
convaincre les fonctionnaires. Elle a récupéré
son identité et espérait ne plus être importunée
par Matandi et son réseau mais, un jour, alors qu'elle se
rendait à la Commission du statut de réfugié,
accompagnée de sur Deborah, elle tombe face à
face avec Sylvain Matandi. Il lui aurait alors rappelé qu'elle
devait de l'argent et qu'elle allait regretter ce qu'elle venait
de faire. Pour sur Deborah, le ton était menaçant.
Sylvain Matandi explique qu'il voulait dire qu'elle allait regretter
de ne pas avoir continué avec un « professionnel »
comme lui.
L'équipe
de Zone libre a discuté des méthodes décrites
par Anne-Marie avec des enquêteurs de la GRC. Elles sont plus
répandues qu'on le pense. Changer l'identité des demandeurs
d'asile n'est pas sans intérêt. « Ils vont
se servir de ça pour faire de l'intimidation, garder le contrôle
sur la personneé Ensuite ils lui font monter une histoire
qu'eux-mêmes vont contrôler, explique Jacques Morin,
sergent de la GRC. Ils demandent de fortes sommes pour rentrer au
pays et ils gardent un contrôle sur la personne pour être
sûrs qu'ils seront bien payés. Ils vont garder le passeport
dans un but de contrôle aussi. Ensuite, ils peuvent réutiliser
le passeport ou le vendre au marché noir. »
Immigrantes devenues domestiques illégales
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Jusqu'à
cinq jeunes immigrantes se partagent cette petite chambre
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Dans
une maison de l'île Bizard, entre 20 et 30 travailleuses domestiques
venues des Philippines s'entassent les fins de semaine, pendant
leurs congés. Désireuses d'améliorer leur sort,
ces jeunes immigrantes viennent ici pour combler le manque de main-d'uvre,
grâce au système de jumelage employeurs-employés
mis au point par le gouvernement. Le propriétaire de la maison,
John Aurora, est un consultant en immigration spécialisé
dans les travailleuses domestiques. Comme cette profession n'est
pas définie par la loi, elle peut prendre toutes sortes de
formes. Moyennant rémunération, John Aurora s'occupe
de trouver un emploi à ces jeunes femmes et, du même
coup, il s'assure de leur louer les chambres de sa propriété.
Si
plusieurs jeunes Philippines sont bien heureuses de pouvoir améliorer
leur sort en venant au Canada, d'autres dénoncent les conditions
de vie qu'elles rencontrent ici. Naome Alfredo et Charity Cabansag
sont venues grâce à l'agence de John Aurora. Elles
ont habité pendant un an dans la maison de l'île Bizard
et elles devaient payer près de 100 dollars par mois pour
passer les fins de semaine entassées à cinq par chambre.
John
Aurora dit faire venir au Canada une cinquantaine de filles par
année en les faisant payer entre 1000 dollars et 3000 dollars.
Or, l'équipe de Zone libre a parlé à huit d'entre
elles et elles ont toutes payé plus de 2000 dollars. Dans
six cas sur huit, l'employeur qui a signé pour le parrainage
ne les a même pas engagées en arrivant. Il n'en avait
plus besoin.
Sans
ressources, les jeunes femmes sont alors obligées de travailler
comme domestiques chez un autre employeur, sans visa légal.
Cette situation peut durer jusqu'à six mois. Si elles se
font prendre, même après coup, elles courent le risque
d'être expulsées du Canada. John Aurora met le blâme
sur les services d'immigration qui seraient, selon lui, trop lents
à émettre un nouveau visa au second employeur.
Quant
au nouvel employeur, la plupart du temps il signe aussi une promesse
d'engagement pour une autre aide domestique qu'il n'emploiera pas,
mais que John Aurora fera venir au Canada. Cette promesse est absolument
nécessaire pour l'obtention du visa.
Le
programme d'aides domestiques du gouvernement fédéral
est ainsi détourné de sa fonction première,
celle de jumeler employeurs et aides domestiques pour pallier le
manque de main-d'uvre. John Aurora en a fait une entreprise
très lucrative où il gère l'offre de main-d'uvre
comme bon lui semble, peu importe s'il faut, pour ça, contourner
la loi.
La
plupart des candidats à l'immigration ignorent qu'il ne s'agit
souvent que de remplir un formulaire disponible à l'ambassade
du Canada, à la délégation du Québec
ou encore sur Internet. La situation des candidats à l'asile
politique est souvent plus compliquée, raison de plus pour
que la profession soit réglementée. Depuis des années,
les rapports et les interventions se sont multipliés pour
demander que la profession de consultant en immigration soit réglementée.
Le ministre Denis Coderre promet d'agir, mais en attendant, n'importe
qui peut s'improviser consultant en immigration, il n'y a toujours
aucune balise et les abus continuent.
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POUR
VISIONNER
LE REPORTAGE
première
partie
deuxième
partie
images
: PIERRE MAINVILLE, PATRICE MASSENET
son
: JOE CANCILLA, MARCELLO DE LAMBRE, CHRISTINE
LEBEL
montage : PIERRE DUCROCQ
|
L'émission
Zone Libre est diffusée sur les ondes de Radio-Canada
le vendredi à 21 h et présentée en rediffusion
sur les ondes de RDI le samedi à 23 h, le dimanche
à 20 h ainsi que le lundi à 1 h.
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