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Adaptation pour Internet : CAROLINE PAULHUS

LES ESCROCS DE L'IMMIGRATION
Émission du 17 janvier 2003

journaliste : ALEXANDRA SZACKA
réalisatrice : CHRISTINE GAUTRIN
journaliste-recherchiste : FRANCINE TREMBLAY

Dans son pays d'Afrique de l'Ouest, une jeune femme a vécu l'enfer. Réfugiée au Québec en avril 2001, laissant derrière elle ses trois enfants, enceinte d'un quatrième, elle est tombée entre les mains d'un réseau de consultants en immigration sans scrupules. À Montréal, elle a à nouveau vécu la peur et l'angoisse. Heureusement, secourue par une avocate de l'aide juridique, elle sera enfin acceptée comme réfugiée au Canada. Pour des raisons de sécurité, nous l'appellerons Anne-Marie.

 

Son histoire était pourtant bien simple, le consultant en immigration et ses complices lui ont demandé 6000 dollars pour la faire admettre comme réfugiée au Canada. Et ce n'était que le début. « L'argent avait déjà été réclamé avant que j'arrive, explique Anne-Marie. Maintenant ils me réclamaient 4000 dollars “pour les frais d'avocat”, comme ils disent. » D'abord, il y a eu une lettre d'invitation pour qu'Anne-Marie entre au Canada en tant que touriste. Prix : 1700 $, payés par transfert bancaire à un couple d'origine congolaise. Ensuite arrivée à Dorval, enceinte de 35 semaines, Anne-Marie doit payer un autre 1000 dollars. « C'est tout ce que j'avais », dit-elle avec beaucoup d'émotion.

Trois jours après son arrivée à Montréal, le couple congolais dirige Anne-Marie vers le bureau de Sylvain Matandi, un consultant en immigration qui est aussi d'origine congolaise. Prétendument pour assurer sa sécurité, ce dernier lui suggère de changer de nom et de se débarrasser de son passeport, un document en bonne et due forme et valide pour cinq ans. Lorsque l'équipe de Zone libre a rencontré M. Matandi, il a affirmé qu'il n'avait rien à voir avec la disparition du passeport d'Anne-Marie, et il a montré un extrait de naissance d'Anne-Marie, preuve irréfutable de la seule identité qu'il lui connaisse. C'est Anne-Marie qui le lui aurait fourni. Le document porte le faux nom d'Anne-Marie. Cette dernière avance pourtant n'avoir jamais vu ce certificat auparavant. « En plus, sur cet extrait de naissance, le nom de mon père ne figure pas [alors que sur le véritable extrait il y est] », note-t-elle.

Notre enquête a démontré que Sylvain Matandi n'a jamais déposé ce document dans le dossier d'Anne-Marie à la Commission du statut de réfugié. Pire encore : il a indiqué qu'elle ne possédait aucun document. On est donc en droit de se demander si cet extrait de naissance n'est pas un faux, ajouté au dossier après qu'Anne-Marie ait rompu avec son conseiller.

Sylvain Matandi donne ensuite le dossier d'Anne-Marie à un avocat, Me Fernandez, dont le nom apparaît sur le formulaire de renseignements personnels qu'Anne-Marie doit remplir pour entamer les procédures de demande d'asile. Une demande de remboursement d'honoraires à l'aide juridique est également faite au nom de Patrick Fernandez. L'avocat Patrick Fernandez affirme qu'il n'a jamais été mis au courant que le nom apparaissant sur le formulaire était faux. Il n'a jamais parlé à Anne-Marie autrement que par téléphone.

Terrorisée par sa situation, Anne-Marie se confie à la responsable du refuge où elle habite. Sœur Deborah, que nous avons retrouvée à Vancouver, est révoltée. Elle accompagne la jeune femme au bureau d'Immigration Canada pour rétablir la vérité. Tous les papiers que possédait Anne-Marie portaient son vrai nom, elle n'a donc eu aucun mal à convaincre les fonctionnaires. Elle a récupéré son identité et espérait ne plus être importunée par Matandi et son réseau mais, un jour, alors qu'elle se rendait à la Commission du statut de réfugié, accompagnée de sœur Deborah, elle tombe face à face avec Sylvain Matandi. Il lui aurait alors rappelé qu'elle devait de l'argent et qu'elle allait regretter ce qu'elle venait de faire. Pour sœur Deborah, le ton était menaçant. Sylvain Matandi explique qu'il voulait dire qu'elle allait regretter de ne pas avoir continué avec un « professionnel » comme lui.

L'équipe de Zone libre a discuté des méthodes décrites par Anne-Marie avec des enquêteurs de la GRC. Elles sont plus répandues qu'on le pense. Changer l'identité des demandeurs d'asile n'est pas sans intérêt. « Ils vont se servir de ça pour faire de l'intimidation, garder le contrôle sur la personneé Ensuite ils lui font monter une histoire qu'eux-mêmes vont contrôler, explique Jacques Morin, sergent de la GRC. Ils demandent de fortes sommes pour rentrer au pays et ils gardent un contrôle sur la personne pour être sûrs qu'ils seront bien payés. Ils vont garder le passeport dans un but de contrôle aussi. Ensuite, ils peuvent réutiliser le passeport ou le vendre au marché noir. »


Immigrantes devenues domestiques illégales

Jusqu'à cinq jeunes immigrantes se partagent cette petite chambre

Dans une maison de l'île Bizard, entre 20 et 30 travailleuses domestiques venues des Philippines s'entassent les fins de semaine, pendant leurs congés. Désireuses d'améliorer leur sort, ces jeunes immigrantes viennent ici pour combler le manque de main-d'œuvre, grâce au système de jumelage employeurs-employés mis au point par le gouvernement. Le propriétaire de la maison, John Aurora, est un consultant en immigration spécialisé dans les travailleuses domestiques. Comme cette profession n'est pas définie par la loi, elle peut prendre toutes sortes de formes. Moyennant rémunération, John Aurora s'occupe de trouver un emploi à ces jeunes femmes et, du même coup, il s'assure de leur louer les chambres de sa propriété.

Si plusieurs jeunes Philippines sont bien heureuses de pouvoir améliorer leur sort en venant au Canada, d'autres dénoncent les conditions de vie qu'elles rencontrent ici. Naome Alfredo et Charity Cabansag sont venues grâce à l'agence de John Aurora. Elles ont habité pendant un an dans la maison de l'île Bizard et elles devaient payer près de 100 dollars par mois pour passer les fins de semaine entassées à cinq par chambre.

John Aurora dit faire venir au Canada une cinquantaine de filles par année en les faisant payer entre 1000 dollars et 3000 dollars. Or, l'équipe de Zone libre a parlé à huit d'entre elles et elles ont toutes payé plus de 2000 dollars. Dans six cas sur huit, l'employeur qui a signé pour le parrainage ne les a même pas engagées en arrivant. Il n'en avait plus besoin.

Sans ressources, les jeunes femmes sont alors obligées de travailler comme domestiques chez un autre employeur, sans visa légal. Cette situation peut durer jusqu'à six mois. Si elles se font prendre, même après coup, elles courent le risque d'être expulsées du Canada. John Aurora met le blâme sur les services d'immigration qui seraient, selon lui, trop lents à émettre un nouveau visa au second employeur.

Quant au nouvel employeur, la plupart du temps il signe aussi une promesse d'engagement pour une autre aide domestique qu'il n'emploiera pas, mais que John Aurora fera venir au Canada. Cette promesse est absolument nécessaire pour l'obtention du visa.

Le programme d'aides domestiques du gouvernement fédéral est ainsi détourné de sa fonction première, celle de jumeler employeurs et aides domestiques pour pallier le manque de main-d'œuvre. John Aurora en a fait une entreprise très lucrative où il gère l'offre de main-d'œuvre comme bon lui semble, peu importe s'il faut, pour ça, contourner la loi.

La plupart des candidats à l'immigration ignorent qu'il ne s'agit souvent que de remplir un formulaire disponible à l'ambassade du Canada, à la délégation du Québec ou encore sur Internet. La situation des candidats à l'asile politique est souvent plus compliquée, raison de plus pour que la profession soit réglementée. Depuis des années, les rapports et les interventions se sont multipliés pour demander que la profession de consultant en immigration soit réglementée. Le ministre Denis Coderre promet d'agir, mais en attendant, n'importe qui peut s'improviser consultant en immigration, il n'y a toujours aucune balise et les abus continuent.

 

 

POUR VISIONNER
LE REPORTAGE

première partie
deuxième partie

images : PIERRE MAINVILLE, PATRICE MASSENET
son : JOE CANCILLA, MARCELLO DE LAMBRE, CHRISTINE LEBEL
montage : PIERRE DUCROCQ

 

POUR EN SAVOIR PLUS

Citoyenneté et Immigration Canada

Relations avec les citoyens et Immigration Québec

Commission de l'immigration et du statut de réfugié

Programme relatif aux questions d'immigration, de passeport et de citoyenneté
(site de la GRC)

Document d'information pour immigrer au Canada

Le programme fédéral concernant
les aides familiaux résidents

Programme d'aides domestiques du gouvernement provincial

L'Association des aides familiales du Québec
(organisme qui supporte les aides domestiques)

 

L'émission Zone Libre est diffusée sur les ondes de Radio-Canada le vendredi à 21 h et présentée en rediffusion sur les ondes de RDI le samedi à 23 h, le dimanche à 20 h ainsi que le lundi à 1 h.

 

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