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Ils
se sont réfugiés au Canada après avoir vécu l'enfer
dans la terrible prison de Khiam, en territoire
occupé par Israël dans le sud du Liban. Une
prison sous contrôle de l'armée israélienne. Ils
y ont été détenus pendant parfois des dizaines d'années
sans jugement et torturés sans répit pendant des
mois. Mais, même au Canada, leur cauchemar n'est
pas fini. Parce qu'ils savent que le pays qui les
accueilli a accueilli aussi plusieurs de leurs tortionnaires.
Plus encore, il leur a donné un statut de réfugié
et même la citoyenneté canadienne. Certains d'entre
eux, d'anciens membres de l'ALS, l'Armée du Liban-Sud,
coulent une vie paisible au Canada, et d'autres
voyagent sans être inquiétés avec leur passeport
canadien. Les victimes de ces criminels de guerre
réclament justice. Mais les autorités canadiennes
font la sourde oreille.
« Quand
il s'agit de réagir par rapport à d'éventuels auteurs
de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité
qui seraient au Canada, citoyens canadiens ou non,
la seule chose que cherche le Canada c'est essayer
d'éviter qu'ils viennent ici mais, une fois qu'ils
sont ici,
il n'y a jamais de poursuites et, en ce sens-là,
le Canada ne respecte pas ses engagements face à la
convention contre la torture. Donc, il devrait modifier
ou amoindrir son discours quelque peu prétentieux
qu'il tient sur le plan international. »
Michel Frenette, Amnistie internationale
Situé
non loin de la frontière d'Israël, l'ancien fort français
de Khiam a été pendant 15 ans une prison clandestine
et un centre de torture particulièrement cruelle.
Les militaires israéliens ont toujours refusé de reconnaître
malgré d'innombrables preuves, qu'il contrôlait, finançait,
et participaient parfois aux séances de torture administrés
par les interrogateurs de l'Armée du Liban-Sud, son
alliée durant l'occupation. Le 23 mai 2000, le départ
précipité des troupes israéliennes a mis un terme
aux 15 ans d'existence du sinistre camp de détention
de Khiam. Les gardiens ont pris la fuite vers Israël
et la population a libéré les 145 derniers prisonniers.
Les
tortionnaires de Khiam, tout le monde les connaît.
Leurs noms ont été affichés au mur de la prison à
la libération. Trente-deux noms: ceux des interrogateurs
plus ceux des responsables de la sécurité des villages
pour l'ALS qui effectuaient les arrestations, conduisaient
les prisonniers à Khiam et souvent aussi participaient
aux tortures.
Officiellement,
le Canada n'était prêt à accepter aucun membre de
l'ALS. C'est ce que dit la ministre de l'immigration
Elinor Caplan dans une lettre au député Daniel Turp,
où elle utilise abondamment l'expression « criminels
de guerre ». Mais, dans les faits, personne
ne sait combien sont entrés légalement comme candidats
réfugiés ou bien avec de faux visas, comme l'a rapporté
la presse européenne, pour s'installer au Canada clandestinement.
Et, surtout, parmi ceux-là, on ne sait pas combien
ont torturé des détenus de la prison de Khiam.
Les
victimes de ces criminels de guerre qui réclament
justice, il y en a une vingtaine au Canada, surtout
dans la région de Montréal. La plupart ont encore
peur de témoigner ouvertement. D'autres, plus courageux,
ont porté plainte aux autorités canadiennes contre
une dizaine des anciens interrogateurs de la prison
de Khiam, dont trois ou quatre qui occupaient un poste
élevé, que le Canada a accueillis. Mais en vain. Jusqu'ici,
il ne se passe rien, même si le Canada s'est doté
d'une nouvelle loi sur les crimes de guerre et les
crimes contre l'humanité. Elle n'a encore jamais servi.
« On
peut parler d'une dizaine de personnes sur lesquelles
pèsent des allégations sérieuse de tortures, de complicité
de torture et, dans plusieurs cas ou dans certains
cas je dirais , des gens qui étaient quand même en
autorité.
Ils avaient un certain grade au sein de l'Armée de
libération du Liban. »
Michel Frenette, Amnistie internationale
Q
u e l q u e s t é m o i g
n a g e s
Souha
Béchara :
Chrétienne, fille de militants communistes,
Souha Béchara se qualifie de résistante.
Elle a tenté et failli de peu assassiner
le chef de l'Armée du Liban-Sud, l'ALS,
Antoine Lahad; c'est pour ça qu'elle
a été conduite à Khiam.
Pendant trois mois, elle a subi la torture à
l'électricité, elle a connu le
fouet et de longues périodes d'isolement
total au cachot.
Question: Interrogateur? Qu'est ce que
ça veut dire concrètement? Qu'est-ce
que ça fait un interrogateur?
Réponse:
Interrogateur, c'est-à-dire voilà,
il y a un détenu face à lui qu'il
doit interroger. Il a les menottes, la cagoule
et le bandeau. Il a le droit de le torturer
pour avoir le plus possible des informations,
même si ce détenu n'a rien à
voir, n'a pas de rapport avec la résistance.
Déjà, la majorité des détenus
qui ont été incarcérés
dans ce coin-là, ça été
leur cas. (
) Au niveau de la torture,
il y a les chocs électriques, il y a
les fouets, les gifles, les seaux d'eau, froid,
chaud et après on passe aux chocs électriques.
Moi,
j'étais dans une petite cellule ,1m80 par 1m80
cm. J'étais en isolement et je monte sur les
murs et je regarde sur la fenêtre qui est en
haut, et la fenêtre donne sur les cellules d'interrogatoire.
Lui était en train de torturer avec ses manières
de sport. « Abaisse-toi! »
« Monte! » « Fais
comme un chien! » « Fais
comme un chat! »
***
Toufic
Mansoury :
Le syndicaliste Toufic Mansoury a passé
plus de quatre ans à Khiam pour refus
de collaborer avec l'ALS. Pendant plus de trois
mois après son arrivée, il a été
torturé systématiquement tous
les jours, sans relâche.
Question: Alors quand il vous amenait
à l'intérieur, qu'est-ce qui se
passait?
Réponse:
Il m'interrogeait pendant quelques heures
en me frappant et en me torturant avec un fil
électrique. Puis, on me ramenait me suspendre
au poteau.
Question:
Un fil électrique comment?
Réponse:
Il attachait un fil sur le doigt et l'autre
sur la langue.
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D
e u x p r é s u m é
s t o r t i o n n a i r e
s
Le
plus étonnant, c'est que plusieurs dirigeants
de Khiam sont venus ici au Canada il y a longtemps,
au début des années 1990. Ils
ont acquis la citoyenneté, un passeport
canadien. Ils sont venus sans qu'on leur demande
quoi que ce soit, alors que la torture au centre
de Khiam est abondamment documentée depuis
1985. C'est le cas de cet homme : Issam Jarawan
(sur la photo à gauche),
que nous avons trouvé après une
longue enquête, devant chez lui à
Toronto. Depuis 1993, il coule une vie apparemment
paisible et conduit un taxi. Il était
interrogateur à Khiam entre 1985 et 1993.
Question:
Certaines personnes à Montréal
disent que vous faisiez partie des interrogateurs
qui ont commis contre elles des actes de torture.
Mentent-elles?
Réponse:
(rires) C'était il y a longtemps.
Question: Ces gens se plaignent d'avoir
été torturés.
Réponse:
Qui se plaint? Le Hezbollah?
Question: Il peut y avoir certains membres
du Hezbollah parmi eux.
Réponse:
Ils sont les mauvaises personnes du monde. Hezbollah.
Ils sont les mauvaises personnes du monde. Hezbollah.
***
On
accuse Jean Homsi, surnommé Abou Nabil (sur
la photo à droite), d'avoir commis
de nombreux viols de femmes détenues à Khiam.
Au début des années 1990, Jean Homsi est devenu
résident, puis citoyen canadien. Avec son passeport
canadien, il voyageait, via Israël, entre Montréal
et Khiam, où il a exercé jusqu'à la fin son
métier de directeur de la prison clandestine.
Jamais il n'a été inquiété par les autorités
canadiennes. Il n'est même pas vraiment recherché,
puisqu'il a pu entrer au Canada par Montréal
en septembre 2000. Depuis, on ignore s'il vit
ici où en Israel où il a été vu par la dernière
fois juste après l'évacuation du camp.
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Pourquoi
ni Issam Jarawan, ni Jean Homsi, ni les autres, malgré
les plaintes officielles portées contre eux,
n'ont-ils jamais été interrogés
par la GRC est un mystère. D'autres individus
liés de près à Khiam vivent ici
au Canada, à Montréal en particulier.
Leurs noms sont connus. On sait qu'ils sont ici. Depuis
mai 2000 plusieurs d'entre ont même été
dénoncés publiquement par d'anciens
détenus à la télévision.
Leur présence est source de grande tension
et de craintes dans la communauté libanaise.
Officiellement une enquête est en cours. Dans
les faits, rien ne bouge. En novembre 2000, le siège
d'Amnistie à Londres envoie une lettre aux
autorités canadiennes; les réponses
tardent et restent vagues.
« Comment
se fait-il que huit mois plus tard il n'y a, semble-t-il,
aucune démarche de la GRC qui a été
faite à l'extérieur du Canada? Il n'y
a aucune commission rogatoire qui s'est déplacée
pour aller chercher des témoignages additionnels
au Liban. Comment se fait-il qu'il n'y ait aucune
mesure, semble-t-il, qui ait été prise
pour s'assurer que ces gens-là, qui sont au
Canada sous surveillance, vont y rester? Là
aussi, la convention contre la torture, elle est très
claire. Ce qu'elle dit, c'est que ces gens là
doivent être détenus. Et que s'ils ne
sont pas détenus , tout au moins ils ne pourront
pas quitter le Canada. »
Michel Frenette, Amnistie internationale
Une
équipe de Zone libre s'est mise à la recherche
de ces Libanais qu'on accuse de crimes de guerre.
Un
reportage du journaliste Jean-Michel Leprince
et du réalisateur Pierre Devroede. Images :
Michel Kinkead et Patrice Massenet;
son : Marcello De Lambre et Daniel
Lapointe; montage : Jacques Durand.
En
raison de droits d'auteur sur certains extraits,
ce reportage n'est malheureusement
pas disponible sur Internet.
Note:
tout le texte de cette page est extrait du reportage.
Pour
en savoir plus sur Jean-Michel
Leprince.
Vous pouvez également communiquer
avec lui à l'adresse suivante:
jean-michel_leprince@radio-canada.ca
H
Y P E R L I E N S
Aministie
Internationale
(Le
Centre de détention de Khiam)
Human
Rights Watch
(Israël et les détenus libanais de la prison
de Khiam; en anglais)
Comittee
for the Support of the Lebanese Detainees in the Israeli
Prisons
(Comité de soutien des détenus libanais dans
les prisons israéliennes)
Israeli
Information Center for Human Rights in the Occupied territories
Close
Khiam Now!
(site d'Israéliens qui militaient pour la fermeture
immédiate de la prison de Khiam au Sud-Liban)
L'émission
Zone libre est diffusée sur les ondes
de
Radio-Canada le vendredi à 21 h et en
reprise à RDI le samedi à 23 h,
le dimanche à 13 h et à 20 h ainsi
que le lundi à 2 h.
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