diffusion le 21 décembre 2001  
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La prison de Khiam

Ils se sont réfugiés au Canada après avoir vécu l'enfer dans la terrible prison de Khiam, en territoire occupé par Israël dans le sud du Liban. Une prison sous contrôle de l'armée israélienne. Ils y ont été détenus pendant parfois des dizaines d'années sans jugement et torturés sans répit pendant des mois. Mais, même au Canada, leur cauchemar n'est pas fini. Parce qu'ils savent que le pays qui les accueilli a accueilli aussi plusieurs de leurs tortionnaires. Plus encore, il leur a donné un statut de réfugié et même la citoyenneté canadienne. Certains d'entre eux, d'anciens membres de l'ALS, l'Armée du Liban-Sud, coulent une vie paisible au Canada, et d'autres voyagent sans être inquiétés avec leur passeport canadien. Les victimes de ces criminels de guerre réclament justice. Mais les autorités canadiennes font la sourde oreille.

« Quand il s'agit de réagir par rapport à d'éventuels auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité qui seraient au Canada, citoyens canadiens ou non,
la seule chose que cherche le Canada c'est essayer d'éviter qu'ils viennent ici mais, une fois qu'ils sont ici,
il n'y a jamais de poursuites et, en ce sens-là,
le Canada ne respecte pas ses engagements face à la convention contre la torture. Donc, il devrait modifier ou amoindrir son discours quelque peu prétentieux
qu'il tient sur le plan international.
 »
Michel Frenette, Amnistie internationale


Situé non loin de la frontière d'Israël, l'ancien fort français de Khiam a été pendant 15 ans une prison clandestine et un centre de torture particulièrement cruelle. Les militaires israéliens ont toujours refusé de reconnaître malgré d'innombrables preuves, qu'il contrôlait, finançait, et participaient parfois aux séances de torture administrés par les interrogateurs de l'Armée du Liban-Sud, son alliée durant l'occupation. Le 23 mai 2000, le départ précipité des troupes israéliennes a mis un terme aux 15 ans d'existence du sinistre camp de détention de Khiam. Les gardiens ont pris la fuite vers Israël et la population a libéré les 145 derniers prisonniers.

Les tortionnaires de Khiam, tout le monde les connaît. Leurs noms ont été affichés au mur de la prison à la libération. Trente-deux noms: ceux des interrogateurs plus ceux des responsables de la sécurité des villages pour l'ALS qui effectuaient les arrestations, conduisaient les prisonniers à Khiam et souvent aussi participaient aux tortures.

Officiellement, le Canada n'était prêt à accepter aucun membre de l'ALS. C'est ce que dit la ministre de l'immigration Elinor Caplan dans une lettre au député Daniel Turp, où elle utilise abondamment l'expression « criminels de guerre ». Mais, dans les faits, personne ne sait combien sont entrés légalement comme candidats réfugiés ou bien avec de faux visas, comme l'a rapporté la presse européenne, pour s'installer au Canada clandestinement. Et, surtout, parmi ceux-là, on ne sait pas combien ont torturé des détenus de la prison de Khiam.

Les victimes de ces criminels de guerre qui réclament justice, il y en a une vingtaine au Canada, surtout dans la région de Montréal. La plupart ont encore peur de témoigner ouvertement. D'autres, plus courageux, ont porté plainte aux autorités canadiennes contre une dizaine des anciens interrogateurs de la prison de Khiam, dont trois ou quatre qui occupaient un poste élevé, que le Canada a accueillis. Mais en vain. Jusqu'ici, il ne se passe rien, même si le Canada s'est doté d'une nouvelle loi sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Elle n'a encore jamais servi.

« On peut parler d'une dizaine de personnes sur lesquelles pèsent des allégations sérieuse de tortures, de complicité de torture et, dans plusieurs cas ou dans certains cas je dirais , des gens qui étaient quand même en autorité.
Ils avaient un certain grade au sein de l'Armée de libération du Liban.
 »
Michel Frenette, Amnistie internationale

Q u e l q u e s   t é m o i g n a g e s

Souha Béchara :
Chrétienne, fille de militants communistes, Souha Béchara se qualifie de résistante. Elle a tenté et failli de peu assassiner le chef de l'Armée du Liban-Sud, l'ALS, Antoine Lahad; c'est pour ça qu'elle a été conduite à Khiam. Pendant trois mois, elle a subi la torture à l'électricité, elle a connu le fouet et de longues périodes d'isolement total au cachot.

Question: Interrogateur? Qu'est ce que ça veut dire concrètement? Qu'est-ce que ça fait un interrogateur?
Réponse: Interrogateur, c'est-à-dire voilà, il y a un détenu face à lui qu'il doit interroger. Il a les menottes, la cagoule et le bandeau. Il a le droit de le torturer pour avoir le plus possible des informations, même si ce détenu n'a rien à voir, n'a pas de rapport avec la résistance. Déjà, la majorité des détenus qui ont été incarcérés dans ce coin-là, ça été leur cas. (…) Au niveau de la torture, il y a les chocs électriques, il y a les fouets, les gifles, les seaux d'eau, froid, chaud et après on passe aux chocs électriques.

Moi, j'étais dans une petite cellule ,1m80 par 1m80 cm. J'étais en isolement et je monte sur les murs et je regarde sur la fenêtre qui est en haut, et la fenêtre donne sur les cellules d'interrogatoire. Lui était en train de torturer avec ses manières de sport. « Abaisse-toi! » « Monte! » « Fais comme un chien! » « Fais comme un chat! »

***

Toufic Mansoury :
Le syndicaliste Toufic Mansoury a passé plus de quatre ans à Khiam pour refus de collaborer avec l'ALS. Pendant plus de trois mois après son arrivée, il a été torturé systématiquement tous les jours, sans relâche.

Question: Alors quand il vous amenait à l'intérieur, qu'est-ce qui se passait?
Réponse: Il m'interrogeait pendant quelques heures en me frappant et en me torturant avec un fil électrique. Puis, on me ramenait me suspendre au poteau.
Question: Un fil électrique comment?
Réponse: Il attachait un fil sur le doigt et l'autre sur la langue.

 

D e u x   p r é s u m é s   t o r t i o n n a i r e s

Le plus étonnant, c'est que plusieurs dirigeants de Khiam sont venus ici au Canada il y a longtemps, au début des années 1990. Ils ont acquis la citoyenneté, un passeport canadien. Ils sont venus sans qu'on leur demande quoi que ce soit, alors que la torture au centre de Khiam est abondamment documentée depuis 1985. C'est le cas de cet homme : Issam Jarawan (sur la photo à gauche), que nous avons trouvé après une longue enquête, devant chez lui à Toronto. Depuis 1993, il coule une vie apparemment paisible et conduit un taxi. Il était interrogateur à Khiam entre 1985 et 1993.

Question: Certaines personnes à Montréal disent que vous faisiez partie des interrogateurs qui ont commis contre elles des actes de torture. Mentent-elles?
Réponse: (rires) C'était il y a longtemps.
Question: Ces gens se plaignent d'avoir été torturés.
Réponse: Qui se plaint? Le Hezbollah?
Question: Il peut y avoir certains membres du Hezbollah parmi eux.
Réponse: Ils sont les mauvaises personnes du monde. Hezbollah. Ils sont les mauvaises personnes du monde. Hezbollah.

***

On accuse Jean Homsi, surnommé Abou Nabil (sur la photo à droite), d'avoir commis de nombreux viols de femmes détenues à Khiam. Au début des années 1990, Jean Homsi est devenu résident, puis citoyen canadien. Avec son passeport canadien, il voyageait, via Israël, entre Montréal et Khiam, où il a exercé jusqu'à la fin son métier de directeur de la prison clandestine. Jamais il n'a été inquiété par les autorités canadiennes. Il n'est même pas vraiment recherché, puisqu'il a pu entrer au Canada par Montréal en septembre 2000. Depuis, on ignore s'il vit ici où en Israel où il a été vu par la dernière fois juste après l'évacuation du camp.

Pourquoi ni Issam Jarawan, ni Jean Homsi, ni les autres, malgré les plaintes officielles portées contre eux, n'ont-ils jamais été interrogés par la GRC est un mystère. D'autres individus liés de près à Khiam vivent ici au Canada, à Montréal en particulier. Leurs noms sont connus. On sait qu'ils sont ici. Depuis mai 2000 plusieurs d'entre ont même été dénoncés publiquement par d'anciens détenus à la télévision. Leur présence est source de grande tension et de craintes dans la communauté libanaise. Officiellement une enquête est en cours. Dans les faits, rien ne bouge. En novembre 2000, le siège d'Amnistie à Londres envoie une lettre aux autorités canadiennes; les réponses tardent et restent vagues.

« Comment se fait-il que huit mois plus tard il n'y a, semble-t-il, aucune démarche de la GRC qui a été faite à l'extérieur du Canada? Il n'y a aucune commission rogatoire qui s'est déplacée pour aller chercher des témoignages additionnels au Liban. Comment se fait-il qu'il n'y ait aucune mesure, semble-t-il, qui ait été prise pour s'assurer que ces gens-là, qui sont au Canada sous surveillance, vont y rester? Là aussi, la convention contre la torture, elle est très claire. Ce qu'elle dit, c'est que ces gens là doivent être détenus. Et que s'ils ne sont pas détenus , tout au moins ils ne pourront pas quitter le Canada. »
Michel Frenette, Amnistie internationale

Une équipe de Zone libre s'est mise à la recherche de ces Libanais qu'on accuse de crimes de guerre.

Un reportage du journaliste Jean-Michel Leprince et du réalisateur Pierre Devroede. Images : Michel Kinkead et Patrice Massenet; son : Marcello De Lambre et Daniel Lapointe; montage : Jacques Durand.

En raison de droits d'auteur sur certains extraits,
ce reportage n'est malheureusement
pas disponible sur Internet.


Note: tout le texte de cette page est extrait du reportage.

Pour en savoir plus sur Jean-Michel Leprince.
Vous pouvez également communiquer
avec lui à l'adresse suivante:
jean-michel_leprince@radio-canada.ca


H Y P E R L I E N S

Aministie Internationale
(Le Centre de détention de Khiam)

Human Rights Watch
(Israël et les détenus libanais de la prison de Khiam; en anglais)

Comittee for the Support of the Lebanese Detainees in the Israeli Prisons
(Comité de soutien des détenus libanais dans les prisons israéliennes)

Israeli Information Center for Human Rights in the Occupied territories

Close Khiam Now!
(site d'Israéliens qui militaient pour la fermeture immédiate de la prison de Khiam au Sud-Liban
)


L'émission Zone libre est diffusée sur les ondes de
Radio-Canada
le vendredi à 21 h et en reprise à RDI le samedi à 23 h, le dimanche à 13 h et à 20 h ainsi que le lundi à 2 h.