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- Des secteurs résidentiels interdits aux enfants -

17 octobre 2006 - Un consommateur cherche une maison. Dans un quartier de la banlieue de Montréal, il voit une grande affiche sur laquelle il est inscrit: « Interdit aux enfants! ». Une telle affiche n'existe pas, car la loi interdit formellement ce genre de discrimination. Des quartiers qui refusent les enfants, il y en a toutefois au Québec. La facture en a trouvé deux dans la région montréalaise.

Journaliste: Julie Vaillancourt
Réalisateur: Roger Archambault


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Lucie habite Mascouche. L'hiver dernier, un nouvel ensemble résidentiel a attiré son attention. En allant se renseigner, elle a appris qu’il était réservé aux 50 ans et plus. Comme elle est âgée de 45 ans, le vendeur lui a recommandé de revenir dans 5 ans.

Indignée, Lucie a écrit à La facture pour dénoncer la situation.

« Après ça, qu’est-ce que ça sera? On interdira les gens de couleur, les familles monoparentales? On n’aura pas droit aux enfants? Je trouve que c’est de l’intolérance. C’est inacceptable. »

Au Québec, selon la Charte des droits et libertés de la personne, il interdit de faire de la discrimination fondée sur l'âge. La facture a donc envoyé une collaboratrice tester, avec une caméra cachée, le discours du vendeur de ce quartier domiciliaire.

« Ce n’est pas un projet pour les familles avec enfants, je n’en veux pas et il n’y en a pas, a-t-il dit. Les gens achètent ici justement parce qu’ils ne veulent pas d’enfants dans le voisinage. Ils sont prêts à payer le prix pour qu'il n’y en ait pas. »

« Je pense qu'il faut envoyer le message aux promoteurs qu’on ne veut pas d'une société où des gens sont exclus parce qu’ils ont des enfants », répond Me Carmen Palardy, une avocate spécialisée dans les causes de logement.

Bannir la présence des enfants

Me Carole Palardy
Les tribunaux ont déjà statué qu'il est interdit de refuser de louer un logement à quelqu'un à cause de son âge. Jamais une affaire où on refuse de vendre une maison à un client en raison de son âge n'a encore été entendue, mais, selon Me Palardy, le même principe s’appliquerait en cour.

« On ne peut pas faire de la discrimination dans la vente d'un bien offert au public. On a considéré que louer un logement est un bien offert au public. De la même façon, vendre une maison est un bien offert au public. On ne peut donc pas faire de la discrimination dans la vente de ce bien. »

Dans le cas de l’ensemble résidentiel de Mascouche, La facture a découvert que limiter l'âge des acheteurs est une façon de bannir la présence des enfants. C'est ce que le vendeur a expliqué à la collaboratrice.

« Le but du projet est de ne pas avoir d'enfants et d’adolescents. Dans un autre quartier domiciliaire, à Rosemère, il y a des gens qui reçoivent des enfants en visite. Si on s’aperçoit que c’est à temps plein, ce n'est pas toléré. »

Guy est l'idéateur du projet de Mascouche et de celui de Rosemère, qu’il habite depuis 5 ans et qui est également réservé aux 50 ans et plus.

« Si nous disions que nous refusons les gens de minorité visible, que nous refusons des célibataires, là je dirais que c’est de la discrimination. Nous avons fixé un âge, parce que nous voulions une certaine clientèle, c’est tout. Alors, je ne pense pas que c'est nécessairement de la discrimination », se défend-il.

L’astuce: créer une coopérative

Dans l’ensemble résidentiel de Rosemère, les maisons de plain-pied se vendent en moyenne 300 000 $. Une politique d'exclusion envers les enfants, appliquée par la coopérative d’habitation que forment les résidents, est pratiquée.

« Si quelqu’un de 30 ans, avec deux jeunes enfants, arrivait ici, nous empêcherions assurément la vente, et il ne voudra pas acheter, affirme André, le président de la coopérative. Nous ne voulons pas de jeunes familles. Nous avons eu nos familles, nos enfants. Nous avons eu ce plaisir. Maintenant, nous voulons d’autres plaisirs. »

« Pourquoi une personne plus jeune, avec jeunes enfants, voudrait-elle vivre dans un projet comme celui-là? ajoute Guy. Moi, je me sentirais mal à l’aise, je me dirais: ''Ce n’est pas ma place''. Est-ce que j’en ferais toute une histoire? Je ne sais pas. J’irais voir ailleurs, là où il y a des gens qui pensent comme moi, qui sont comme moi. »

Pour être capable d'empêcher la vente aux acheteurs de moins de 50 ans dans le quartier domiciliaire de Rosemère, Guy a imaginé une formule il y a 5 ans: il a mis sur pied une coopérative. Selon lui, parce que les coopératives sont des organismes à but non lucratif, elles peuvent exclure certains acheteurs en vertu de l'article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

« D’après l’information que nous avons eue, ce n’est pas contraire à la Charte », soutient-il.

Changement de discours

Il est vrai que les coopératives peuvent faire de la discrimination. Selon la Charte, il faut toutefois pour cela qu'elles aient une vocation charitable ou philanthropique. D’après Me Palardy, la coopérative de Rosemère ne correspond pas à cet esprit.

« Il n’y a pas de caractère charitable ou philanthropique à cette activité, donc ce n’est pas parce qu’on se forme en coopérative qu’on peut faire de la discrimination. Pour une coopérative qui ferait de la discrimination sur la base de l’âge, il faudrait vraiment justifier cette distinction par le caractère charitable et philanthropique de la coopérative. »

Dans l’ensemble résidentiel de Mascouche, il n'y a pas de coopérative. La structure légale en est une de copropriété. Dans la déclaration de copropriété, il est écrit que les maisons du quartier sont « destinées à des personnes âgées de 50 ans et plus ». Il est cependant précisé que « rien ne peut empêcher une personne de moins de 50 ans d'être propriétaire ». Il n’y a rien concernant les enfants.

La facture est donc retournée voir le vendeur. Il a commencé par nier avoir déjà tenu des propos discriminatoires.

« Personne n’a jamais mentionné que les acheteurs n’ont pas le droit d’avoir des enfants ou des adolescents. Ça ne se retrouve nulle part dans la publicité. Nulle part n’est-il question d'enfants. »

Il a ensuite tenté de se justifier en disant que ce sont ses clients qui réclament exclusion des adolescents du domaine.

« Les gens ont peur. Que ce soit chez nous ou ailleurs, les adolescents grandissent différemment de ceux d’avant. Ils n’ont pas été élevés de la même façon et ils ne respectent à peu près rien. Il y a le basket-ball, les scouteurs, les jeunes en Honda avec la casquette à l’envers. Les gens ne veulent plus de ça. Ils veulent avoir la paix. »

Question de principe

Et à ceux qui veulent la paix, le promoteur promet un quartier domiciliaire à l'image des communautés fermées américaines. Il y aura d'ailleurs un gardien en permanence sur les lieux, qui seront également entièrement clôturés pour assurer intimité et sécurité.

Bref, ce n’est pas de ce genre d’ensemble résidentiel que rêve Lucie. À ceux qui lui font valoir qu'elle n'a pas été lésée dans cette histoire, elle répond qu'elle en fait une question de principe.

« C’est clair que je ne suis pas brimée, sauf que je n'ai pas envie de vivre dans une ville où il y aura des ghettos. Je vais porter plainte officiellement, car je crois que ça vaut la peine de le faire pour stopper ça. À la suite de cette histoire, j’ai appris qu'il y avait plusieurs projets comme ça un peu partout au Québec et ça, c’est inquiétant. »

En conclusion

Lucie a porté plainte pour discrimination à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. Une enquête est en cours. Si la Commission juge qu'il y a eu discrimination, elle transmet le dossier au Tribunal des droits de la personne du Québec. Le Tribunal peut exiger que le promoteur change sa politique. Il peut aussi le condamner à verser un dédommagement à la plaignante.

 

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