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2001 à juin 2004


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- Le village du silence -
Profondément sourd depuis sa naissance, Marvin Miller rêve de voir, là où il n’y a aujourd’hui qu’un champ, une ville avec de grands immeubles. Des gens comme lui viendraient s’y établir. « Je sais que nous sommes différents depuis que je suis tout petit. Pas parce que nous sommes stupides ou moins intelligents ou moins habiles. Juste parce que notre langue est différente. Pour moi, c’est comme si je vivais en pays étranger. Et que j’essayais de m’intégrer.  »

Cette ville où les sourds pourront vivre, travailler et se divertir, Marvin Miller a choisi de la construire à McCook County, dans le Dakota du sud, au cœur du Midwest américain. Elle s’appellera Laurent, en hommage à Laurent Clerc, un citoyen français qui a introduit la langue des signes aux États-Unis.

Le projet peut sembler farfelu, mais est en fait très sérieux. Les plans sont dessinés, le financement trouvé et les promesses d’achat de terrains signées. Plus de 150 familles ont déjà réservé leur place. Ils viendront de partout aux États-Unis, et d’aussi loin que de Grande-Bretagne, du Japon et d’Australie.

Des années de planification dans le but de pouvoir communiquer. Enfin. « Nous voulons que ceux qui utilisent la langue des signes puissent communiquer directement avec les habitants, les commerçants, la compagnie d’électricité, la banque. Avoir un accès direct aux services », explique l’associée principale de Marvin Miller, M.E. Barwacz.

Une langue en commun, pas la surdité
Cette idée de rassembler tous ceux qui communiquent par gestes, que ce soit des parents d’enfants sourds ou des interprètes, a séduit Matt et Pam Meinhardt, qui ont été parmi les premiers à s’engager à s’installer à Laurent. La famille Meinhardt n’aurait jamais souhaité déménager dans une ville strictement réservée aux sourds, car leurs deux enfants ne le sont pas. À Laurent, ils recevront une éducation bilingue: en anglais et en langue des signes américaine, qu’ils connaissent déjà. Pour leurs parents, c’est une première chance de devenir des citoyens à part entière.

M.E. Barwacz parlant avec sa fille sourde.

« Tous les deux, nous aimons susciter la réflexion. Mais si nous n’avons que des échanges superficiels avec des gens qui ne nous comprennent pas, comment pouvons-nous véritablement échanger? s’interroge Matt Meinhardt. C’est impossible! C’est très agréable d’être avec nos amis qui utilisent la langue des signes, parce qu’avec eux nous pouvons vraiment discuter de tout. »

À Sioux Falls, où ils habitent, les Meinhardt se débrouillent bien. Comme pour la majorité des sourds, toutefois, leurs possibilités d’emploi sont très limitées: l’enseignement ou les entreprises de services aux sourds. Ce n’est qu’à Laurent que Matt Meinhardt pourra réaliser son rêve de petit garçon: devenir policier.

Un poids au milieu de nulle part
Mais pourquoi donc avoir choisi un champ de maïs balayé par les vents dans un état agricole qui se vide de sa population? Deux mots: pouvoir politique. Une ville de deux ou trois mille personnes, ici, pourrait élire un des siens à la législature de l’état. « Nous n’avons aucun pouvoir sur la scène politique, explique Marvin Miller. Chacun de nous peut voter, évidemment, mais notre vote ne compte pas collectivement. Nous n’avons pas de poids collectif. Nous sommes comme des acteurs dans une pièce dont nous ne somme pas les auteurs. »

Si la perspective de développement économique qu’entraînera une nouvelle ville réjouit certains citoyens de la région, la peur du changement en anime d’autres, qui voient d’un très mauvais œil l’arrivée d’un village voisin. À Salem, petite communauté rurale où on a installé les bureaux de la future ville de Laurent, des opposants vont même jusqu’à exiger un référendum sur le projet.

Une ségrégation choquante
Clairement, le concept choque. Parce que les mots « séparation » et « ségrégation » ont une résonance particulièrement douloureuse pour les Américains. « Ça me dérange parce que cela va à l’encontre de tout le travail que nous avons fait pour promouvoir l’unité dans ce pays. C’est comme si nous revenions dans les années 1940 et 1950… », argue Marie Haala, une enseignante à la retraite.


Marvin Miller, l'initiateur du projet
Marvin Miller trouve les gens naïfs de penser que les sourds peuvent vraiment s’intégrer. « Nous vivons déjà en vase clos. Je ne suis pas complètement intégré à cette communauté, quels que soient mes efforts pour y parvenir. Je n’y parviens pas! » Pour Matt et Pam Meinhardt, déménager à Laurent est un choix qui leur permettra de vivre dans une communauté qui leur ressemble. Évidemment, ce ne sont pas tous les sourds américains qui partagent ce rêve. Certains croient que Laurent pourrait devenir un ghetto.

Marvin Miller se croit pourtant investi de la mission de bâtir cette ville pour que sa communauté, ses amis, ses grands-parents et ses arrière-petits-enfants puissent jouir pleinement de la vie. « Je suis né pour accomplir ça. J’en parle depuis mon enfance. Je me sens vraiment chez moi ici… »

La première pelletée de terre devrait avoir lieu au printemps.

Journaliste: Pascquale Turbide
Réalisatrice: Lucie Payeur





 [Regardez le reportage (1re partie)]

 [Regardez le reportage (2e partie)]

 [Regardez le reportage (3e partie)]

Hyperlien
Le site de la future ville de Laurent



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