Savez-vous que quatre enseignants sur dix ont un statut précaire? Avec la baisse de la clientèle scolaire des 20 dernières années, les emplois permanents ont fondu comme neige au soleil dans le corps enseignant. Pour les jeunes qui commencent, la route est longue et jonchée d’obstacles, comme en témoigne ce reportage d’Enjeux. Dévalorisés, ils travaillent dans des conditions pénibles, souvent à temps partiel et dans plusieurs établissements.
La foire aux contrats
Ces enseignantes se cherchent un poste dans une assemblée de placement
L’équipe d’Enjeux a assisté à un rituel, auquel sont conviés les enseignants précaires de Montréal, chaque année à la fin juin. Il s’agit d’une assemblée de placement, organisée par la Commission scolaire de Montréal, pour combler les postes vacants au secondaire.
Les enseignants sont appelés par ordre d’ancienneté. On leur propose des emplois pour l’automne. C’est comme une loterie. Mais on gagne rarement le gros lot. On trouve très peu de postes permanents, surtout des remplacements et du travail à temps partiel.
Pour les jeunes enseignants, c’est l’angoisse. Vont-ils se trouver quelque chose? Dans quelles écoles vont-ils travailler l’an prochain? Quelles matières vont-ils enseigner?
Loterie, repêchage, encan, bingo. Marie Brodeur Gélinas garde un souvenir amer de ces assemblées de placement, qu’elle décrit comme une vente aux esclaves. Cette professeure de français y a souvent hérité de tâches infernales: trop de matières à enseigner, dans trop de niveaux différents.
Marie Brodeur Gélinas
Elle raconte, dans ce reportage, qu’elle travaillait jusqu'à 60 heures par semaine pour y arriver, alors que son employeur ne lui en reconnaissait que 32. Des années sans stabilité, sans reconnaissance et sans même un espace pour travailler, se souvient-elle.
Après quatre ans de ce régime, elle a finalement abandonné l’enseignement. Elle n’est pas la seule dans cette situation. Un nouvel enseignant sur cinq quittera ses fonctions dans les cinq premières années de professorat.
Leur lot, la précarité
L’équipe d’Enjeux a rencontré plusieurs enseignants à cette assemblée de placement. Daniel Bouchard enseigne depuis dix ans. Une décennie de précarité forcée. Tout ce qu’il souhaite, c’est de pouvoir continuer à enseigner l’histoire l’an prochain dans la même école. Il détient une maîtrise en histoire. Une matière qui le passionne, et qu’il n’a pas enseignée bien souvent.
Daniel Bouchard
Par contre, il a donné des cours d’écologie, de maths, d’économie familiale, de technologie et de morale. Des études démontrent que 40 % des professeur québécois ont enseigné des matières pour lesquelles ils n’avaient pas été formés.
Karine Brunet, enseignante en histoire, est au 17e rang sur la liste. Lorsque son tour arrive, il ne reste que quelques postes à temps partiel. Elle décide d’attendre au mois de septembre voir ce qui se présente. Katia Valcourt enseigne le français depuis trois ans. Elle est 56e sur la liste. Aura-t-elle du travail pour l’automne prochain? En tout cas, elle repart bredouille de cette assemblée de placement.
Pour ceux qui ont trouvé un poste pour l’automne, tout n’est pas joué. En effet, bien souvent, les postes ne sont pas assurés avant octobre. Ce qui veut dire que quelques semaines après le début des classes, un enseignant peut être supplanté. La supplantation est due en partie au système d’attribution des postes, basé strictement sur l’ancienneté des enseignants. Une politique dont les élèves font souvent les frais.
Comment contrer le décrochage des profs?
Joséphine Mukamurera
Joséphine Mukamurera, de l’Université de Sherbrooke, a fait de nombreuses études sur la précarité chez les enseignants. Elle croit que la précarité est peut-être là pour rester.
Il faut voir, dit-elle, comment gérer cette situation, comment rendre la vie plus facile aux enseignants précaires et faire en sorte qu’ils se sentent intégrés et à la bonne place. La spécialiste estime que les professeurs permanents devraient partager le fardeau des plus jeunes. Elle pense qu’il faudrait mieux répartir les tâches pour éviter que les professeurs débutants ne se retrouvent avec quatre matières différentes à enseigner. Mais les conventions collectives restent floues sur le partage équitable des tâches, et elles renvoient la balle aux directeurs et aux enseignants de chaque école.
Des commissions scolaires cherchent à contrer le décrochage chez les jeunes professeurs. Par exemple, la Commission scolaire de Laval et celle de la Seigneurie-des-Mille-Îles ont mis sur pied un programme de mentorat, dans lequel on jumelle des enseignants expérimentés avec des débutants.