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- La leçon de discrimination -
Annie Leblanc
Annie Leblanc enseigne dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie. Un milieu très homogène, bien loin de la mosaïque multiethnique des grands centres. Pourtant, il y a de la discrimination dans sa classe de troisième année, à l’école Saint-Pierre. Bon an mal an, les élèves se trouvent un souffre-douleur. Cette année, Pierre-Luc, de par son obésité, est victime des moqueries de ses pairs.

Que pourrait bien faire Annie Leblanc pour sortir la ségrégation de sa classe? Pour faire prendre conscience aux enfants des mécanismes de la discrimination? Pendant deux jours, elle va se livrer à une expérience hors du commun. Elle va faire vivre la discrimination à ses élèves, sous les caméras d’une équipe d’Enjeux.

Le goût du clan

L’expérience inusitée qu’Annie Leblanc s’apprête à réaliser s’appuie sur des bases scientifiques solides. Depuis plus de 50 ans, des chercheurs étudient la psychologie des groupes entre eux. Un des pionniers dans le domaine est le professeur Henri Tajfel, un survivant des camps nazis qui a voulu comprendre d’où viennent les préjugés et la discrimination. Dans les années 60, en Grande-Bretagne, il a réalisé ses premières expériences de séparation de groupe.

Richard Bourhis
Nous avons parlé avec un ancien étudiant du chercheur, Richard Bourhis, aujourd’hui professeur à l’UQAM. Richard Bourhis: « Henri Tajfel, dans ses études originales, a réussi à démontrer que la catégorisation «eux-nous», et aussi l’identification à son propre groupe, est suffisante pour créer un effet de discrimination en faveur de notre propre groupe et contre l’autre groupe. »

M. Bourhis explique que, pour certains, ce comportement de tribu ou de clan existe depuis la nuit des temps chez les humains.

Premier extrait de l’entrevue avec Richard Bourhis
Deuxième extrait de l’entrevue avec Richard Bourhis

Les travaux d’Henri Tajfel ont inspiré toute une génération de chercheurs en psychologie sociale. Et même une institutrice de l’Iowa, aux États-Unis, dans les années 70. Jane Elliot a séparé son groupe en deux, les yeux bruns d’un côté, les bleus, de l’autre. En favorisant systématiquement un des deux groupes, l’enseignante a instauré, instantanément, un climat de ségrégation. L’expérience n’a duré que deux jours. Mais, 14 ans plus tard, les élèves, devenus adultes, ont confié avoir été profondément influencés par cet exercice. On a tiré un documentaire mémorable de l’expérience de l’institutrice américaine, qui a été projeté à des générations d’élèves dans le monde entier.

Les grands et les petits

Quand Annie Leblanc a vu ce documentaire, elle a décidé de livrer sa propre expérience. Avec l’accord de tous les parents, de la commission scolaire et de la directrice de l’école, l’enseignante a fait vivre la discrimination à ses élèves pendant deux jours. Elle a bien pris soin, au début, de leur dire qu’il s’agissait d’une expérience sur la discrimination. Elle s’est servie de la taille des enfants pour les séparer.

Elle a expliqué aux enfants que des études scientifiques prouvaient que les petits étaient généralement plus intelligents, plus rapides, plus sages et plus créatifs, qu’ils étaient supérieurs aux grands. Les grands, a-t-elle ajouté, sont plutôt maladroits, indisciplinés, bruyants et paresseux.

Ainsi, les élèves mesurant moins de 1,34 m ont eu droit à des privilèges de toutes sortes. Quant aux autres, ils ont dû porter un dossard rouge toute la journée, et l’enseignante n’a pas perdu une occasion d’expliquer leur moindre erreur par le fait qu’ils étaient grands.

Le lendemain, Annie Leblanc a inversé les rôles, prétextant avoir reçu un appel du patron de la commission scolaire. L’enseignante a raconté aux élèves que son patron, un homme très grand, était mécontent de l’expérience menée en classe et qu’il l’avait convaincue que, finalement, les grands étaient supérieurs aux petits. Ces derniers ont dû, à leur tour, porter le dossard pour la journée.

À pieds joints dans la discrimination

L’équipe d’Enjeux a filmé ces deux jours en classe, avec plusieurs caméras pour bien capter les remarques des enfants et leurs réactions. Ces images sont bouleversantes.

L’exercice a fonctionné de façon sidérante. Dès le premier jour, dès les premières heures. En enfilant le dossard rouge, certains se sont sentis amoindris et ils ont vivement éprouvé les injustices dont ils étaient la proie. Plusieurs élèves ont pris goût aux privilèges et à cette impression d’être supérieur.

La plupart des enfants se sont lancés à fond dans l’expérience, comme victime ou comme bourreau, selon qui portait le dossard. Ces deux journées n’ont pas été faciles à vivre, ni pour les élèves ni pour l’enseignante. Des élèves ont pleuré, d’autres ont abaissé leur compagnon de classe sur la base de leur grandeur, d’autres étaient frustrés ou en colère. Annie Leblanc: « Certains élèves étaient beaucoup moins performants. Je pense à Michaël. C’est un enfant capable. […] Juste par les épaules, la façon de se tenir, les yeux, la tristesse, c’est vraiment là que ça a été le plus difficile. »

Et, le premier jour, lorsque les enfants sont revenus de la récréation, au lieu de former un seul rang, comme d’habitude, ils se sont spontanément séparés en deux groupes. D’un côté les petits, de l’autre, les grands.

Annie Leblanc: « Je m’imaginais que ce que j’allais dire allait avoir un impact, mais je ne pensais pas avoir le soutien des enfants (pour faire de la discrimination). […] «Ah! c’est un grand!» Ça venait tout seul, et moi j’étais étonnée de ça. C’est un peu… la nature humaine. Voyons, qu’est-ce que c’est que ça? Pourquoi ne sont-ils pas plus vifs que ça? J’aurais aimé qu’ils disent: «Annie, tu es une maudite folle!» Ce n’est pas arrivé! »

Mission accomplie

La leçon de discrimination semble avoir porté ses fruits. L’équipe d’Enjeux est retournée voir l’enseignante et ses élèves trois semaines plus tard. Les élèves ont compris qu’on pouvait faire un parallèle entre cette expérience et le traitement réservé à un de leur camarade obèse, Pierre-Luc. Après l’exercice, la vie à l’école s’est améliorée pour lui. Un compagnon de classe, Jimmy: « Avant, on écoeurait les personnes, mais on a arrêté depuis qu’on a vécu l’expérience. […] Comme Pierre-Luc. Parce que Pierre-Luc, il est gros. Mais avant, tout le monde l’embêtait. Maintenant, quand quelqu’un est sur son dos, on est avec lui, on leur dit de ne pas faire ça. »

Certains enfants, comme Laurence, ont bien compris qu’il y a lien très fort entre les encouragements et l’estime de soi. Une autre élève, Sabrina: « Pourquoi on se ferait différencier? À quoi ça sert de différencier les autres si on sait qu’ils ont tous quelque chose de bon? Nous, on a des défauts et eux aussi. On a des qualités et eux aussi. Donc, à quoi ça sert? »

Annie Leblanc croit que les enfants ont beaucoup appris de cette expérience, notamment quant à leur comportement avec Pierre-Luc. Annie Leblanc: « Est-ce que ça veut dire que, tous les jours, ça va bien aller, je n’en suis pas sûre. […] mais je sais maintenant que quand je parle de discrimination ou quand je fais référence à l’expérience, je sens que les enfants sont touchés par ça et je vois dans leurs visages et dans leurs yeux qu’il y a une différence. »

Journaliste: Pasquale Turbide
Réalisatrice: Lucie Payeur


Le documentaire La leçon de discrimination est vendu en DVD aux professionnels de l'éducation. Pour plus de renseignements, communiquez avec les Services éducatifs.





 [Regardez le reportage (1re partie)]

 [Regardez le reportage (2e partie)]

 [Regardez le reportage (3e partie)]

 [Regardez le reportage (4e partie)]

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Les coulisses du tournage
Entrevue avec Pasquale Turbide et Lucie Payeur

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