Aquaculture à Terre-Neuve
Journalistes : Gilbert Bégin
Réalisateur : Bernard Laroche
14 mars 2004

La morue est sans conteste «l'or blanc» des Terres-Neuviens. Pendant des siècles, Terre-Neuve a été le théâtre d'une véritable ruée vers la morue. Ce poisson a orienté la colonisation de ce pays et façonné la fierté de ses habitants.


Le retour de la morue...

Le moratoire de 1992 sur la morue a fait mal aux pêcheurs. Mais la fermeture complète de la pêche, le 24 avril 2003, a été encore pire. Avec cette annonce, une tradition vieille de 500 ans prenait fin.

Pourtant, en février 2004 on voit une seconde chance pour la morue. Dans un hôtel de St-Jean, la première dégustation de morue d'élevage. Une morue 100% Terre-Neuvienne!

Terre-Neuve a décidé de se lancer dans une deuxième ruée vers la morue alors que plusiers pays manifestent leur engouement pour la ressource. Terre-Neuve rêve de devenir un leader mondial dans l'élevage de morues.

Il faut dire que Terre-Neuve possède des conditions idéales pour élever la morue. Ses eaux sont d'une qualité exceptionnelle et ses baies sont exemptes de glace à l'année. Deux atouts indispensables pour implanter des fermes d'élevage.

Mais la carte maîtresse de Terre-Neuve est son espace! La province possède des milliers de baies libres de toute occupation. Il n'y a donc aucun conflit à l'horizon.


Les oeufs de morues...

Si Terre-Neuve peut rêver au retour de la morue, c'est parce que ses chercheurs ont fait des pas de géants dans la reproduction de cette espèce.

À Logy Bay près de St-Jean, le «Ocean Sciences Center» de l'Université Memorial est un des plus importants centres de recherche en océanographie au pays. Grâce aux percées de ce centre, Terre-Neuve produit maintenant des œufs de morues à des coûts raisonnables pour démarrer son industrie.

En mer, la morue ne se reproduit qu'au printemps. Mais dans les bassins du centre de recherche, la saison des amours est plus longue.

Les chercheurs ont quelque peu forcé la nature pour obtenir une meilleure productivité. Pendant des mois, ils ont fait croire aux morues que le printemps était arrivé en variant la longueur des jours et des nuits. Le temps de ponte s'élargit ainsi à 8 mois par année.

 

L'écloserie...

Le stade critique est l'écloserie expérimentale. Autrefois, c'est à cette étape que les mortalités étaient les plus importantes. Les larves nécessitent une surveillance continue. Elles doivent absolument être nourries d'organismes vivants sinon elles risques de se nourrir les unes des autres.

Les chercheurs ont donc développé une diète sur mesure faite d'algues et d'animaux microscopiques. Les résultats ne se sont pas fait attendre, en trois ans les taux de survie ont plus que doublé.


Les nombreuses baies de Terre-Neuve sont propices à l'élevage de poissons.

L'Université produit les jeunes morues et l'entreprise privée mène les expériences en mer. Jonathan Moir, président de la plus importante entreprise de saumons d'élevage à Terre-Neuve et pionnier de l'élevage de morues également à Terre-Neuve, a mis en place une des plus importantes écloseries commerciales de morues au monde.

Cette écloserie, qui se situe à Bay Roberts, pourrait être le fer de lance de l'industrie aquacole à Terre-Neuve. D'autres verront le jour dans sa foulée.

Dans ce bassin, 300 géniteurs alimenteront les fermes d'élevage de Terre-Neuve. L'objectif : produire 10 millions de jeunes morues par année, en 2011.

 

L'engraissement de morues sauvages...

À Petty Harbour, on se demande si Terre-Neuve ne mise pas trop sur les écloseries pour le développement de l'aquaculture.

Tom Best a pêché la morue tant qu'il a pu et maintenant il s'est rabattu sur le homard, mais cette pêche ne l'occupe que quelques semaines. Il estime que le gouvernement n'en a que pour les gros projets. Il n'est pas contre les écloseries mais les petits pêcheurs comme lui se sentent délaissés.

Le pêcheur prétend que la solution réside dans l'engraissement de morues sauvages. C'est une forme d'aquaculture que les pêcheurs côtiers comme lui ont pratiquée par le passé.

Au milieu des années 90, le gouvernement avait délivré une soixantaine de permis pour encourager cette pratique. Les pêcheurs attrapaient la morue à l'aide de filets trappes. Leurs captures étaient ensuite engraissées en cages flottantes à l'intérieur des baies. Avec cette pratique, les pêcheurs doublaient le poids des morues en seulement 4 mois. Mais tout ça a pris fin avec la fermeture de la pêche en 2003.

Tom Best est persuadé que si on leur accordait de petits quotas, les pêcheurs pourraient à nouveau engraisser de la morue sans mettre en péril le rétablissement des stocks. Ils pourraient même trouver une place dans le sillage des écloseries. Selon les pêcheurs les deux formes d'aquaculture devraient cohabiter.

 

Conclusion...

Avec ou sans les pêcheurs traditionnels, une deuxième ruée vers «l'or blanc» est bel et bien lancée. Dans une dizaine d'années, on estime que la production de morue pourrait atteindre 128 000 tonnes par année. En comparaison, les pêcheurs de Terre-Neuve ont capturé 180 000 tonnes, l'année avant le moratoire de 92.

Ce qui préoccupe l'industrie, c'est la concurrence mondiale. La Norvège est déjà un leader dans la morue d'élevage. L'Islande et l'Écosse sont également sur la voie de la commercialisation.

Au Canada, ce pas reste à franchir. Pour atteindre son objectif de 128 000 tonnes, Terre-Neuve devrait construire 4 écloseries comme celle de Bay Roberts. Or, les gouvernements ont jusqu'ici soutenu la recherche, mais laissé au privé le financement des écloseries. L'entreprise réclame maintenant l'aide publique pour passer de l'échelle expérimentale à l'échelle commerciale. À défaut de support, plusieurs croient que l'industrie pourrait s'essouffler.


 

Au 15e siècle, le navigateur Jean Cabot cherchait un passage pour la Chine. Il est plutôt tombé sur une «terre nouvelle» dont les eaux bouillonnaient de poissons. Cabot venait de découvrir les plus grands bancs de morue de la planète.

 


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Du point de vue environnemental...

L'industrie devra composer avec les craintes du public pour réaliser ses ambitions. Comme le saumon d'élevage, la contamination de la chair de morue inquiète. Les chercheurs avancent qu'il est difficile de comparer les deux espèces. La chair de morue est beaucoup moins grasse que le saumon. Or, ce sont justement ces matières grasses qui retiennent les contaminants contenus dans la nourriture des poissons.

Une autre inquiétude est la pollution causée par les fermes d'élevage. Sous ces fermes, les fonds marins accumulent les excréments et les excès de nourriture, c'qui bouleverse la vie marine.Pour régler ce problème, Terre-Neuve mise sur ses nombreuses baies. La province exigera la rotation des fermes d'élevage afin de permettre aux fonds marins de se régénérer.

 

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