Le cerf d'Anticosti
Journaliste : Alex Levasseur
Réalisateur : Denis Roberge
29 février 2004

Il y a 3 500 ans, l'île d'Anticosti était surnommée Notiskuan par les Amérindiens, ce qui signifie «lieu où l'on chasse l'ours».


Anticosti....

L'Île d'Anticosti est le paradis des cerfs de Virginie. L'île est 17 fois plus grande que l'Île de Montréal. La population de chevreuil de l'Île a explosé au cours des 20 dernières années. À un point tel, que cette forte densité de chevreuils est devenue un réel problème.

Depuis quelques années, Anticosti est devenu le plus vaste laboratoire en Amérique du Nord. Biologistes et ingénieurs forestiers travaillent à recréer un environnement qui permettra la survie du cerf à long terme. Leurs outils: l'aménagement de la faune et la coupe forestière, deux activités qui n'ont pourtant pas la réputation de faire bon ménage.


L'histoire de la problématique...

C'est vers 1896 qu'Henri Menier, un riche industriel français passionné de la chasse, introduit le cerf de Virginie sur Anticosti, l'île qu'il vient d'acheter.

Un peu plus de 100 ans plus tard, les 220 bêtes qu'il avait amenées sur l'Île sont maintenant plus de 120 000. Même en dépit d'une chasse sportive qui permet de recueillir environ 10 000 bêtes par année.

Au fil des ans, le ruminant a pris le contrôle de la végétation de l'île …

La belle forêt de sapin, qui recouvrait la plus grande partie d'Anticosti au début du siècle dernier a disparu de moitié en 100 ans laissant place à l'épinette blanche et à l'épinette noire, deux espèces dont le chevreuil est peu friand.

Il n'y a pas que le sapin : plusieurs dizaines d'espèces arbustives ont elles aussi, presque disparu sous les dents voraces de l'animal.

«L'épinette blanche, l'animal ne peut pas la digérer, ou quand il la consomme, c'est une nourriture de famine en fait. Donc, ce qu'on assiste c'est une disparition de l'habitat. Pis on sait qu'une espèce animale n'a plus son habitat, cette espèce-là est vouée à une diminution rapide et drastique. Pis c'est ce qui va se passer dans un horizon de 40 à 50 ans.»
François Potvin, Société de la faune et des parcs du Québec

Si on veut sauver le chevreuil sur Anticosti, à long terme, il est devenu impératif de sauver le sapin.

Dans ce sens, une expérience a été entamée à l'automne 1983. Une expérience qui a convaincu les scientifiques sur la possibilité de contrer la problématique. À un endroit précis, appelé Cailloux, on a élevé une clôture de 4 mètres de haut, pour empêcher le cerf d'avoir accès à la végétation.

Alors que partout autour, presque rien ne repousse, en raison de la présence du cerf, dans cet exclos, une végétation presque luxuriante a pu se développer en 20 ans à peine. La situation n'est pas désespérée.

 

Produits forestiers Anticosti et chaire de recherche...


Jeune pousse de sapin.

En 1995, un nouveau joueur fait son apparition sur l'île : la société Produits forestiers Anticosti. En échange d'un droit de coupe, Québec lui donne le mandat de régénérer les sapinières, devenues trop vieilles et fragiles. Pour ce faire, elle doit couper et faire repousser en priorité le sapin.

S'inspirant de l'exclos de Cailloux, Produits forestiers Anticosti s'est mise à clôturer les aires où elle coupait le sapin. Les pourvoiries de l'Île, elles, avaient le mandat de faire disparaître le cerf de ces exclos, par une chasse de contrôle. D'abord assez petites, ces superficies exclues de la fréquentation du chevreuil sont devenues de plus en plus grandes.

Rapidement, les scientifiques se sont rendus compte qu'il était impossible d'éliminer tous les chevreuils dans les espaces clôturés. Alors on a cherché à savoir combien de chevreuils pouvaient vivre dans un espace donné sans détruire toutes les jeunes pousses de sapins.

C'est à ce moment que la chaire de recherche industrielle sur l'Île a été créée. Cette chaire de recherche a été créée il y a 3 ans à Ottawa en collaboration avec les chercheurs de l'Université Laval, Produits forestiers Anticosti et le gouvernement du Québec.

Son mandat : trouver une solution à la disparition d'habitat pour le chevreuil.

Ils ont mis à l'essai les exclos à densité contrôlée.

La façon de couper la forêt, aussi, est très importante pour la survie du chevreuil, afin de lui fournir un abri efficace pour passer l'hiver. Après plusieurs expériences sur le terrain, Produits Forestiers Anticosti a mis en place une méthode de coupe, dite en mosaïque, avec protection de la régénération.

 

Conclusion...

Tous sont conscients que l'Île d'Anticosti ne peut plus supporter un cheptel de 120 000 bêtes.

Plus réalistement, les scientifiques pensent qu'il faudra limiter le nombre à au plus 60 000 têtes.

Dans un meilleur environnement, le cerf sera plus résistant, mieux nourri, plus attirant aussi pour la chasse. Et on assurera aussi sa survie à long terme.

L'expérience d'Anticosti pourrait servir ailleurs, pour régler des problèmes similaires.

«À l'échelle de l'Amérique du Nord, pis même on peut dire du Monde, les problèmes de destruction du milieu par les grands gibiers, les cervidés, que ce soit le chevreuil, le wapiti dans les parcs nationaux, ou le bison dans certains endroits, c'est des problèmes qui sont vraiment généraux. Les outils qu'on développe à Anticosti, on peut dire qu'on a la chance d'être en avance des autres endroits en terme de problèmes, on va trouver aussi des solutions en avance des autres qui vont pouvoir être exportés»
François Potvin, Société de la faune et des parcs du Québec

 


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