Les 50 ans de Saputo
Journaliste: Rachel Brillant
Réalisateur: Jean-François Michaud
2 mai 2004

«Saputo est le premier transformateur de lait au pays, et le cinquième en Amérique. La compagnie a fait son nom avec le fromage, surtout la mozzarella. Saputo fabrique 350 000 tonnes de fromage par année.»


Lino Saputo vivait une enfance heureuse en Sicile, jusqu'à ce que la guerre vienne appauvrir considérablement sa région. À 15 ans, avec sa famille, il suit la trace de plusieurs autres Italiens et se rend à Montréal pour travailler et refaire sa vie. Son père, un maître fromager, n'arrive pas à subvenir aux besoins de la famille, obligeant Lino à travailler, comme plusieurs autres immigrés, dans la construction.

En 1954, le père de Lino rachète la fromagerie, récupérant du même coup, aux yeux de son fils, l'honneur. Avec un bien maigre 500 $ et une bicyclette, la fromagerie fait ses débuts timides, mais significatifs, dans des épiceries italiennes. Lino travaille aux côtés de son père et de Donat Roy, responsable de la production et des approvisionnements en lait.

Puis, en 1966, l'entreprise fait face à un premier défi alors qu'elle manque de lait. Saputo vend de plus en plus de mozzarella et de ricotta, ici et dans d'autres provinces, et a besoin du lait de plusieurs autres agriculteurs. C'est à Donat Roy que revient la tâche de faire connaître l'entreprise italienne aux producteurs laitiers, car, à cette époque, les producteurs décidaient eux-mêmes à qui ils allaient vendre leur lait. C'était la loi du plus offrant. Donat Roy accomplit un travail exemplaire, et, bientôt, presque tous les producteurs vendent de leur lait à Saputo.

Un des premiers producteurs de lait de la région à faire affaire avec les Italiens a été Gilles Isabelle. Aujourd'hui rentier, il se souvient des moyens utilisés par Donat Roy pour intéresser les producteurs. Sa méthode: informer, divertir et amuser.

«À tous les ans, [Donat Roy et la direction de Saputo] organisaient une soirée dans la région de Sainte-Justine. Ils invitaient tous les producteurs de lait et leurs épouses. Ils expliquaient leur politique d'usine, et moi, en tant que directeur du lait industriel de la région, j'expliquais notre politique du lait industriel. Ensuite, il y avait un échange de questions. Puis, en fin de soirée, on servait des spaghettis aux invités, et il y avait des musiciens.»

- Gilles Isabelle, ancien producteur de lait


À cette époque, les vaches vêlaient presque toutes au printemps. Alors, le lait n'était produit que l'été. Mais comme la mozzarella et la ricotta se congèlent mal, Saputo a dû renverser la tendance du lait d'été. Une idée qui a plu aux producteurs de lait, qui voyaient un moyen d'obtenir un salaire toute l'année. D'autant plus que Donat Roy promettait de payer plus cher pour le lait d'hiver de bonne qualité.

Profitant de la solidarité des milieux italiens, Saputo connaît une forte expansion auprès des restaurateurs montréalais. Au début des années 70, la pizza est à la mode. Saputo y voit une opportunité et enseigne aux restaurateurs à préparer la pizza, ouvrant ensuite une plus grande part de marché.

Dans les années 80, Saputo devient le premier producteur de mozzarella au pays. L'entreprise ne manque plus de lait et possède même des distributeurs aux États-Unis. Puis, en 1989, une nouvelle menace se lève. Agropur se lance dans le fromage italien. Saputo contre-attaque et se lance dans la production de tous les types de fromages. «Je pense qu'on a pris les bonnes décisions. Notre force est d'avoir eu les bonnes personnes à la bonne place et d'avoir pris les bonnes décisions au bon moment», témoigne Lino Saputo.

À la fin des années 80, l'entreprise traverse les frontières et fait l'acquisition d'usines au Vermont et au Maryland. Dix ans plus tard, l'ancienne fromagerie artisanale fait le grand saut et s'inscrit à la bourse de Toronto, ce qui lui rapporte 161 millions de dollars. Son but est de diluer la part de la famille pour assurer la sécurité de l'entreprise. Ce bond permet à l'entreprise de tripler sa taille. Saputo acquiert la fromagerie américaine Stella Holding, dont les revenus sont de 1 milliard. En 2001, il poursuit son expansion avec l'acquisition de la coopérative Dairyworld Foods, l'équivalent d'Agropur dans l'Ouest canadien. Au Canada, les prix du lait et du fromage sont stables, le lait est un marché protégé et l'OMC interdit l'exportation. Aux États-Unis, le marché est libre, mais les prix varient en montagnes russes. Pour prendre de l'expansion à bon prix et exporter, la stratégie de Saputo est d'investir encore plus au sud. Il met les pieds en Argentine. Ainsi, le jour où l'OMC imposera la libre circulation du lait entre les pays, il aura beau jeu.

À l'été 2003, Lino Saputo présente à ses actionnaires celui qui prendra sa place: Lino Saputo junior. «Nommer mon fils comme successeur, c'est un rêve devenu réalité», admet-il.

Le jeune immigrant voulait que son père fasse du fromage. Celui-ci s'y est entêté pendant 50 ans et en a fait une multinationale.



 


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