Le
Centre hospitalier Rouyn-Noranda, jusqu'à tout récemment
un des pires hôpitaux au Québec, tant du point
de vue financier qu'en ce qui a trait au roulement du personnel
de direction, s'est stabilisé depuis deux ans grâce
à une toute nouvelle philosophie de gestion: la performance
par le plaisir ou, si vous préférez, la transposition
de la philosophie de Patch Adams à l'administration
d'un centre hospitalier.
Comment est-ce mis en pratique?
Les employés et les patients reçoivent maintenant
la visite d'humoristes, les employés ont un local de
l'humour, il y a des blagues dans les toilettes et on diffuse
des gags de Juste pour rire dans la salle d'attente de l'urgence.
Les patients rigolent.
Et ça fonctionne, selon
le directeur général de l'hôpital. Constamment
déficitaire par le passé, le CHRN atteint l'équilibre
budgétaire depuis deux ans. Il a même récupéré
de la «performance» de ses employés, pour
une valeur de 1,5 million de dollars.
Dans une région où
il manque 84 médecins, la performance par le plaisir
pourrait devenir un élément d'attraction.
Jean-Luc
Tremblay est le nouveau directeur du CHRN depuis deux ans.
Il tente d'implanter la nouvelle philosophie de gestion à
l'hôpital: la performance par le plaisir. «Le
plaisir engendre la passion, la passion crée l'émulation,
la créativité et le dépassement professionnel.
[
] La philosophie qu'on essaie d'implanter ici, c'est
de reconstituer, dans un mode de fonctionnement opérationnel,
les éléments qui constituent le plaisir.»
Le nouveau directeur semble être apprécié.
Il se déplace, rencontre ses employés ainsi
que les patients de l'hôpital. Cette nouvelle approche
n'a pas fait que des heureux. Des employés ont remis
en doute ce choix de philosophie.
Chantal Harvey, infirmière en chirurgie, est de ceux-là.
«Je n'y crois pas,
chacun y va selon son intensité, et quand tu travailles
et que tu es dans le jus par-dessus la tête, le plaisir,
là
»
Anne Dupuis, infirmière de l'équipe volante,
voit les choses autrement. «Je
n'y croyais pas, au début, pour être honnête.
L'atmosphère n'était pas très bonne,
mais là, oui, plus ça va, plus on voit l'atmosphère
s'améliorer.»
Améliorer
le climat de travail était justement la première
étape du plan d'action de Jean-Luc Tremblay. Pour y
arriver, il a, entre autres, réanimé le défunt
club social. Chaque fête est soulignée, et un
comité spécial est créé pour réaliser
l'activité. Après le club social, la direction
a créé un comité de l'humour. Le comité
de l'humour n'a pas tardé à concrétiser
la philosophie de la direction. Un salon de l'humour pour
le personnel a ouvert ses portes.
Un concours mensuel des meilleures blagues, avec des prix
à gagner, a également été organisé.
Des affiches humoristiques se retrouvent sur les murs, et
le gag de la semaine est affiché dans les toilettes.
Même
les humoristes sont invités à participer à
cette nouvelle forme de gestion. Il y a quelques semaines,
Louis-José Houde était en tournée dans
la région. Une belle occasion pour le comité
de l'humour de faire servir les repas par la vedette.
Louis-José Houde: «On dit toujours que l'humour
est la meilleure médecine, la meilleure cure. Dans
un hôpital, c'est la grosse logique, c'est tellement
beau de voir tout le monde. [
] Quelle idée simple,
mais tellement efficace.»
Anne Dupuis, infirmière de l'équipe volante:
«Au début, c'était
fatigant, parce qu'on se demandait ce que les autres centres
allaient penser de nous. On est une vraie joke pour les autres.
Mais non, ce n'est pas ça. Oui, tu vas à la
toilette, tu regardes ça et tu ris, tu sors avec un
sourire, et ça passe comme ça. Aujourd'hui on
voit une différence, parce qu'on commence à
avoir une atmosphère de travail meilleure, on commence
à y croire.»
Gilles Thérieault, infirmier: «C'est
un plus, c'est un plus aussi pour les patients, je pense que
quand le personnel travaille dans une certaine atmosphère,
les patients aussi en bénéficient. On est plus
heureux, c'est plus le fun pour eux.»
Régine
Blackburn est omnipraticienne depuis 30 ans à l'hôpital
de Rouyn. Des employés déçus et fatigués,
elle en a traité plusieurs. Le taux d'absentéisme
et de maladies psychologiques était très élevé,
ici, à une certaine époque.
Régine Blackburn: «Depuis que cette philosophie
a été mise en place, ce que je remarque, c'est
qu'il y a beaucoup moins d'absences à moyen et long
terme pour des diagnostics de dépression ou de burnout.»
Les patients de l'hôpital trouvent également
qu'ils passent moins de temps en salle d'attente, que le personnel
est souriant et qu'ils sont mieux renseignés.
La direction va même jusqu'à diffuser des gags
de Juste pour rire à l'urgence.
Le
plaisir peut-il être au service de la performance budgétaire?
Selon l'Association des hôpitaux du Québec, le
CHRN a réussi, en 2003, à récupérer
1 million de dollars en performance, c'est-à-dire qu'il
s'est donné plus de soins, avec moins d'argent. Et
la direction a aussi épongé le déficit
de 3 millions de dollars.
À l'hôpital, on ne cache pas que la sélection
du personnel a changé. On recherche maintenant des
gens dynamiques, qui répondent au profil qu'exige la
nouvelle philosophie. Dans les offres d'emploi, c'est même
devenu un élément important pour attirer les
nouveaux candidats dans cette région éloignée.
Jean-Luc Tremblay: «Prenons un étudiant qui
sort de l'université. Pour quelle raison irait-il travailler
dans un établissement inodore, incolore et sans saveur,
alors [qu'il peut] venir ici, à Rouyn-Noranda, où
il se passe des choses fort dynamiques, dynamisantes [
].
Je pense que ça peut être une attraction significative
pour amener des médecins, des professionnels, des infirmières
et des cadres dans une région comme la nôtre.»
L'hôpital de Rouyn-Noranda serait-il en train de jouer
le jeu de La grande séduction? Pour Jean-Luc
Tremblay, c'est peut-être ce qui se passe à Rouyn-Noranda.
Journaliste:
Francis L'Abbé
Réalisatrice: Lucie Payeur
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