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Qu'ont
en commun Madonna et Britney Spears, les «lofteuses»
et Élizabeth du téléroman Le monde
de Charlotte? Ce sont des hétérosexuelles
qui ont embrassé langoureusement des femmes. La bisexualité
serait-elle devenue une mode chez les femmes? Au-delà
de cette tendance, pas si simple, la vie de ceux et celles
qui peuvent aimer les hommes et les femmes. Jacques est
bisexuel, mais il vit seul. Dany est toujours amoureuse
de son mari, mais elle est devenue amoureuse de Myriam.
Madonna et Britney Spears qui s'embrassent
lors d'un gala télévisé, c'est un gros
coup de marketing. Et si les deux stars ont choisi de faire
parler d'elles de cette manière, ce n'est pas un
hasard. En effet, il y a une véritable tendance à
afficher des comportements bisexuels chez les femmes. Dans
la publicité, ce courant est si fort qu'il porte
un nom, le «Lesbian Chic». Le sujet de la bisexualité
est même abordé à la une de revues de
mode pour adolescentes.
Au
Québec, lors d'une émission de télé-réalité,
des millions de personnes ont regardé des jeunes
femmes, se définissant d'abord comme hétérosexuelles,
s'embrasser passionnément. Dans le téléroman
Le monde de Charlotte, une des héroïnes,
hétérosexuelle, est devenue amoureuse d'une
femme l'espace d'une saison. Une tendance forte, donc, à
montrer la bisexualité, mais seulement chez les femmes,
car elle est plutôt vue comme choquante chez les hommes.
«La bisexualité
qu'on voit, c'est la bisexualité féminine,
parce que ça excite l'homme, et parce que c'est vendeur.»
- Émilie
Les
jeunes que l'équipe d'Enjeux a réunis
gravitent autour d'une association de bisexuels de l'Université
du Québec à Montréal (UQAM). Le phénomène
Madonna-Britney Spears les agace. Émilie est choquée
par cette exploitation de la bisexualité: «Ça
me choque parce que de toutes façons, ce qu'on nous
montre, c'est toujours les femmes. C'est comme si, finalement,
la femme continuait d'être un objet sexuel juste pour
exciter l'homme.»
«J'ai
peur que la bisexualité soit mal comprise.»
- Caroline
«Ça
me choque beaucoup que des femmes s'embrassent dans les
bars juste pour "teaser" les gars, tandis que
moi je vis une vie réelle.»
- Patricia
Comment
expliquer cette nouvelle tendance à la bisexualité?
Selon certains, c'est un effet de mode, alors que pour d'autres,
il s'agirait plutôt d'un phénomène de
génération, génération qui refuserait
de se définir comme hétérosexuelle
ou homosexuelle. Ainsi, selon la sociologue Diane Pacom,
il ne faut pas voir la bisexualité comme un phénomène
de nature purement sexuelle: «Pour moi, la bisexualité,
[
] c'est un phénomène identitaire, c'est-à-dire
que c'est quelqu'un qui défie l'étiquetage
et qui se donne la possibilité de s'inventer et de
se réinventer sans cesse.»
«Pour
moi, être bisexuelle, c'est être capable d'être
attirée par un homme ou par une femme, c'est aussi
simple que ça, mais ça s'arrête là.»
- Émilie
Diane
Pacom croit aussi que la société dans laquelle
on vit et les valeurs véhiculées y sont pour
quelque chose : «C'est une génération
qui vit beaucoup dans l'éphémère, ce
sont des gens qui ne s'engagent pas. Il faut dire qu'ils
vivent aussi dans la précarité. Et ils ont
assimilé, si vous voulez, toutes les défaites
de la génération précédente,
c'est-à-dire qu'ils savent qu'ils vont se marier,
mais pas à vie, ils savent qu'ils vont avoir des
jobs, mais que ça va être des jobs qui ne dureront
pas. C'est une génération qui a de la difficulté
avec les étiquettes fixes.»
La
bisexualité est-elle une simple question d'aventure?
Quelques personnes rencontrées affirment que la bisexualité
n'est pas, pour eux, une simple question d'aventure, d'expérience
ou de «trip» qui passe. Certains avouent toutefois
qu'ils devront peut-être se «caser» un
jour ou l'autre, choisir entre hétérosexualité
ou homosexualité. Une opinion qui n'est cependant
pas partagée par tous. Caroline croit au contraire
qu'elle sera toujours bisexuelle: «Moi, je suis
complètement en désaccord avec ceux qui disent
que la bisexualité, c'est quelque chose de simplement
sexuel et que ça va passer. C'est un fait en dedans
de moi, et je ne peux rien faire contre. Je crois que ça
va être en moi toute ma vie.»
La bisexualité
n'est pas un phénomène récent. On sait
qu'elle était pratique courante dans la Grèce
antique et dans la Rome latine. Au début du dernier
siècle, Freud élaborait une théorie
selon laquelle chaque être humain était, au
départ, bisexuel. La bisexualité n'est donc
pas une nouvelle mode, c'est une façon de vivre.
Et ce n'est pas nécessairement un choix de vie facile.
À
37 ans, Jacques Benoît a décidé de changer
de vie. Il a quitté Montréal pour Sherbrooke.
Ingénieur, il est retourné étudier
le droit. Et lui qui s'affichait comme homosexuel parle
maintenant ouvertement de sa bisexualité, une situation
qu'il cachait auparavant.
«Le
plus difficile, c'était de vivre cette double vie.
Avec des gens hétérosexuels, je parlais de
mes intérêts envers les femmes [
], sans
jamais parler de mon côté homosexuel. Je faisais
la même chose du côté homosexuel, je
parlais de mes expériences avec les hommes. C'est
difficile de vivre en niant un peu une partie de soi.»
- Jacques
Comme Jacques,
1,3 % des Québécois se définissent
comme bisexuels. Mais il semble que dans les faits, ils
sont plus nombreux. Déjà en 1948, une étude
du chercheur américain Alfred Kinsey révélait
des résultats étonnants: 20 % des 12 000 hommes
interrogés admettaient avoir eu des relations sexuelles
avec des hommes et avec des femmes. À partir de ces
résultats, Kinsey élabore une échelle
de 0 à 6, dans laquelle la plupart des gens seraient
dans une sorte de bisexualité à degrés
variables.
Jacques
va chercher des choses différentes chez un homme
et chez une femme: «Un homme, c'est une sécurité
affective, émotive, c'est comme un partenariat affectif.
Une femme, c'est autre chose. Il y a l'aspect physique,
mais aussi, avec une femme, je cherche le conformisme social.»
Mais tant les femmes que les hommes qu'il rencontre ont
de la difficulté à comprendre sa bisexualité.
Il affirme que le meilleur moyen de faire fuir les premières
est de leur avouer sa bisexualité, alors que les
seconds affirment qu'il se dit bisexuel parce qu'il a de
la difficulté à accepter son homosexualité.
«Les
gens sont très mal à l'aise face à
un intérêt ambivalent. Pour moi, c'est très
complémentaire. Un homme répondra à
certains besoins, et une femme répondra à
certains autres besoins.»
- Jacques
Idéalement,
Jacques aimerait avoir une relation stable avec une femme
qui accepterait qu'il ait, à l'occasion, des aventures
avec un homme. Mais pour ses partenaires, hommes ou femmes,
le «partage» est très difficile à
accepter: «Les gens sont mal à l'aise avec
l'ambivalence. Les gens aiment savoir exactement à
quoi s'en tenir. Les gens préfèrent l'exclusivité,
alors, plus souvent qu'autrement, je suis seul. Et ça,
ça fait partie de la souffrance.»
Vivre
à trois?
Quand
Dany devient amoureuse d'une collègue de travail,
le ciel lui tombe sur la tête. Divorcée, mère
de deux grands enfants, elle est mariée depuis deux
ans à l'homme qui partage sa vie depuis sept ans.
Elle est heureuse en ménage et hétérosexuelle
depuis toujours. Elle décide de faire part à
sa collègue des sentiments amoureux qui l'habitent,
des sentiments qui ne sont pas réciproques. Dany
finira par oublier celle-ci, mais pas ses désirs
envers les femmes.
Pendant six mois, elle garde le silence et
ne dit rien à son entourage. Un jour, elle a une
liaison d'une nuit avec une autre femme, mais ça
ne la satisfait aucunement, car il manque le sentiment amoureux:
«Ça m'a donné quelques réponses
personnelles. Oui, je suis capable de faire l'amour avec
une femme, comme je suis capable de faire l'amour avec un
homme. Sauf qu'il faut, comme avec un homme un sentiment
amoureux, il faut un lien, il faut des affinités.
Tu ne fais pas ça froidement.»
Dany
commence à fréquenter une association de bisexuelles
où elle rencontre Myriam. Après une soirée
ensemble, Dany décide de passer la nuit chez Myriam.
Elle est alors devenue amoureuse: «Oui, je sentais
que ça cliquait. Ça clique avec mon mari,
mais avec elle, ça clique aussi. Je n'ai jamais rencontré
quelqu'un avec qui j'avais autant d'affinités.»
Quand Myriam rencontre Dany, elle est célibataire
depuis deux ans. Adolescente et jeune adulte, Myriam n'aura
des relations qu'avec les garçons. Ensuite, à
partir de l'âge de 22 ans, elle ne fréquentera
que des filles. Pendant 7 ans, elle a vécu de façon
exclusivement homosexuelle. Vers la fin de la vingtaine,
elle commence à fréquenter un collègue
de travail, avec qui elle aura une relation exclusive pendant
7 ans.
Après avoir quitté cet homme,
Myriam retourne fréquenter le milieu gai. Depuis,
elle se définit comme bisexuelle et s'implique même
comme présidente d'une association montréalaise
de bisexuels.
Lorsque
Dany a annoncé à son mari, Maurice, son amour
pour Myriam, celui-ci est resté neutre et calme.
Pour lui, il n'y avait pas de problème, en autant
qu'il n'était pas exclu de la nouvelle relation entre
Dany et Myriam: «Pour moi, et c'est ce dont j'ai
fait part à Dany à cette époque, c'est
que si c'était quelque chose qu'on faisait ensemble,
qu'on faisait en couple, ça ne menaçait pas
notre couple. Pour moi, ça devenait une activité
de couple, si l'on veut. [
] Je ne voulais pas être
exclu de la situation.» Toutefois, Dany voyait
les choses bien différemment. Pour elle, il n'était
absolument pas question de vivre cette nouvelle relation
à trois, mais en parallèle.
Maurice avoue être sexuellement comblé,
mais au niveau affectif, c'est une autre paire de manches:
«Affectivement,
c'est là qu'est le manque, c'est là qu'est
le vide à cause de l'affection que Dany porte à
Myriam.»
- Maurice
C'est avant tout pour sauver sa relation avec
Dany, par amour pour elle, que Maurice dit avoir accepté
sa bisexualité. Si une amitié s'est développée
entre les trois au fil du temps, Maurice admet que ce n'est
pas toujours facile: «Myriam, pour Dany, c'est
comme son coup de foudre, tandis que moi et Dany, on est
un vieux couple. Ce n'est pas vraiment de la compétition,
mais c'est quand même une compétition entre
le coup de foudre et le vieux couple.» Il croit
que les choses vont finir par s'arranger, que ça
deviendra plus agréable, et il dit travailler pour
que ce soit plus facile.
En
tout cas, Dany, elle, dit avoir présentement le meilleur
des deux mondes et ne pas regretter d'avoir pris un risque:
«Je ne suis pas aux hommes, je ne suis pas aux
femmes, je suis aux individus, et être aux individus,
c'est extraordinaire, tu n'as pas à rentrer dans
un cadre, dans un moule, et c'est drôle, depuis que
je vis ça, je ne veux pas en sortir. Ça se
peut qu'une des deux relations arrête malgré
elle, malgré moi, c'est le risque. [
] Ça
vaut la peine, parce que je vis pleinement ma vie.»
La plupart des
bisexuels n'affichent pas leur double désir publiquement.
C'est qu'en s'affranchissant des étiquettes, les
bisexuels dérangent. Hétérosexuels
et homosexuels sont mal à l'aise avec l'ambivalence.
On croit les bisexuels instables, ils veulent être
simplement libres d'aimer, au-delà de toute ambiguïté.
Journaliste:
Claire Frémont
Réalisateur: Jean-Pierre Roy
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