REPORTAGE
— 2004-02-17 LA DOUBLE VIE DE MARIE-PIERRE
« Je
ne voulais pas qu'ils habitent avec nous parce que j'étais
bien avec maman. [...] Mais après, ils sont venus habiter
avec nous, et à un moment donné, j'ai trouvé
ça l'fun. »
- Marie-Pierre
Du
haut de
ses 6 ans, Marie-Pierre nous entraîne dans les hauts
et les bas d'une grande aventure : la double recomposition
familiale. Les structures familiales se sont beaucoup transformées
au fil des ans, et de plus en plus d'enfants (12 % au Canada,
selon les données les plus conservatrices) vivent l'expérience
de cette famille nouveau genre, avec son lot de difficultés.
Une famille recomposée, c'est, en même temps,
une histoire d'amour et un incroyable défi. Il n'y
a pas de mode d'emploi pour réussir la recomposition,
mais on en comprend mieux maintenant les étapes et
les difficultés. Et contrairement à bien des
idées reçues, la famille recomposée se
porte quand même bien.
Marie-Pierre
n'a que 6 ans, mais elle est déjà une experte
en famille recomposée. Elle vit présentement
avec sa mère, son beau-père et ses deux « presque »
surs. Elle a aussi un père à temps partiel,
une belle-mère et une demi-sur.
« C'est
parce que sa mère, ce n'est pas ma mère, et
son père, ce n'est pas mon père. Ma mère,
ce n'est pas sa mère, et mon père, ce n'est
pas son père. Mais moi, mon papa, ce n'est pas Marc.
Parce qu'il est dans une autre maison, c'est ce que j'appelle
reconstitué. » - Marie-Pierre
Peu importe qu'elle soit reconstituée, recomposée
ou non traditionnelle, la famille de Marie-Pierre en est une
à part entière. Au Canada, le nombre de familles
recomposées a doublé depuis 15 ans. On en compte
environ un demi-million, et ce nombre ne cesse d'augmenter.
Quant
à Marie-Pierre, elle n'avait que 6 mois lorsque ses
parents se sont quittés. Une expérience vécue
par plusieurs enfants, puisque, au Québec, 1 enfant
sur 4 voit ses parents se séparer avant l'âge
de 6 ans. Et comme Marie-Pierre, 85 % de ces enfants voient
un de leurs parents se remettre en couple.
Pierre, le père de Marie-Pierre, a refait sa vie avec
Chantal, et une demi-sur est née de cette nouvelle
union. Josée, la mère de Marie-Pierre, avoue
que cela a été particulièrement difficile
à vivre au début, et qu'elle n'appréciait
guère Chantal, la nouvelle copine de son ex. Mais le
climat que cela créait affectait grandement Marie-Pierre,
et tous ont fini par admettre qu'il faillait se parler, ne
serait-ce que pour le bien de l'enfant.
« C'est
sûr que Marie-Pierre, quand elle avait un an, pleurait
beaucoup. Sa mère avait beaucoup de peine, l'enfant
le ressentait. Si, à travers ça, Pierre et Josée
avaient continué à entretenir de la haine, de
la rancur, l'enfant l'aurait ressenti aussi. À
partir du moment où tout le monde a dit : "On
va se parler pour le bien de Marie-Pierre", il y a eu
un relâchement, et Marie-Pierre a commencé à
mieux aller. » - Chantal, belle-mère
de Marie-Pierre
Sans
le savoir, les parents de Marie-Pierre ont fini par surmonter
le premier grand écueil de la séparation, c'est-à-dire
qu'ils ont mis fin à leurs conflits. Ils ont réalisé
que même s'ils n'étaient plus ensemble, un lien
indéfectible les unissait : Marie-Pierre.
« Il
y a quelque chose qui est resté de notre histoire de
sept ans : il est resté un "p'tit boutte"!
Même si on n'est plus ensemble [...], il faut faire
équipe. » - Josée, mère
de Marie-Pierre
Toutefois,
l'équilibre qu'avaient réussi à atteindre
Pierre et Josée a été mis à l'épreuve
lorsque celle-ci a refait sa vie à son tour. Marie-Pierre
a accueilli, il y a 6 mois, Marc, le nouveau copain de sa
mère, et ses deux filles de 9 et 13 ans, Audrey-Anne
et Léthycia. Comme 45 % des enfants dont les parents
sont séparés, elle fait maintenant l'expérience
de la double recomposition.
Au
départ, Marie-Pierre n'était pas très
chaude à l'idée de voir Marc et ses filles emménager
avec elle et sa mère :
« Je
ne voulais pas qu'ils habitent avec nous, parce que j'étais
bien avec maman. [ ] Mais après, ils sont venus
habiter avec nous, et à un moment donné, j'ai
trouvé ça l'fun. » - Marie-Pierre
Alors que les adultes se sont choisis, qu'ils ont décidé
de vivre ensemble, il ne faut pas oublier que les enfants
subissent la recomposition au même titre qu'ils ont
subi la séparation. Certains ont de la difficulté
à vivre cette recomposition. Alors que 1 enfant sur
10 dans les familles traditionnelles éprouve de sérieuses
difficultés, cette proportion est de 1 sur 4 dans les
familles recomposées. Plus les enfants sont âgés,
plus l'adaptation semble difficile. Et l'amour des conjoints
ne garantit pas l'amour des enfants.
« Je
ne pense pas que les enfants regrettent d'être ensemble,
d'être une famille. Au début, c'est sûr
qu'il y a eu des "crisettes", qu'il y a eu des réactions.
Marie-Pierre trouvait qu'il y avait beaucoup de monde dans
sa bulle. » - Josée, mère
de Marie-Pierre
Pour
éviter que les problèmes ne s'aggravent, Marc
et Josée tiennent régulièrement des conseils
de famille. En fait, le succès de la recomposition
repose beaucoup sur la communication. Ajustements, compromis
et efforts s'imposent de part et d'autre. La route peut être
longue entre le rêve d'une nouvelle famille et sa consolidation.
On estime en effet qu'une famille recomposée a besoin
de 4 à 7 ans pour trouver la stabilité.
Il
ne fait aucun doute que la définition de la famille
a changé et que la recomposition est définitivement
entrée dans les murs. Toutefois, certains rôles
demeurent difficiles à définir, particulièrement
celui de beau-parent. Et c'est une des causes d'échec
les plus fréquentes de la recomposition. En fait, le
beau-parent n'existe pas aux yeux de la loi, et il détient
peu d'autorité, mais il n'en demeure pas moins qu'il
porte beaucoup de responsabilités.
« C'est
sûr que lorsque Marie-Pierre était plus jeune,
je devais avoir une certaine autorité. Je ne pouvais
pas dire : "Ce n'est pas ma fille, je ne m'en occupe
pas". Je ne voulais pas tout mettre sur le dos de Pierre
parce qu'il n'était pas toujours là. Il fallait
parfois qu'elle m'écoute. » - Chantal, belle-mère
de Marie-Pierre
« Marie-Pierre
a compris que Chantal est la conjointe de son papa, qu'elle
est la mère de Laurie. Ce n'est pas une compétition,
elle peut aimer Chantal. » - Josée, mère
de Marie-Pierre
Pour
Marie-Pierre, tous ces gens font partie de sa grande famille.
La seule différence, c'est qu'elle ne peut pas tous
les avoir auprès d'elle en même temps. La recomposition
brise définitivement le rêve qu'a tout enfant
de voir ses parents vivre sous le même toit.
« J'aime
bien ça être comme ça, parce que je peux
déménager, aller dans l'autre maison, dans cette
maison-là, dans l'autre maison, dans cette maison-là...
J'aime ça parce que deux maisons, ça me permet
de vivre des expériences [...]. » - Marie-Pierre
Journaliste : Sylvie Fournier
Réalisatrice : Anne Sérode
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