De tout temps,
les crimes les plus crapuleux ont soulevé l'indignation
populaire. À l'origine de cette indignation, on
retrouve un sentiment d'injustice qui entraîne un
défoulement collectif très médiatisé,
souvent suivi de représailles derrière les
barreaux.
L'indignation
du public se nourrit d'abord des témoignages des
proches rapportés par les journalistes. Parfois,
elle pousse également les proches à se venger,
comme ce père qui, il y a quelques années,
a battu un chauffeur d'autobus accusé d'avoir abusé
d'écoliers, dont son fils.
« La
réaction du pédophile a été
de dire : "Ce n'est pas de ma faute, ce sont
les enfants qui voulaient ça". »
- Jean-Pierre Rancourt,
criminaliste
Une
remarque qui a fait perdre la boule au père, qui
s'est mis à le frapper. Selon le psychologue Daniel
Lambert, il n'y a pas un parent qui peut concevoir que
son enfant est abusé sexuellement. Et la réaction
de la population n'est pas différente : « La
réaction de population en général
n'est pas différente de la réaction du père
ou de la mère, ou des proches. Peut-être
qu'elle l'est en intensité, mais on est répugné
par ce genre de crime, parce que c'est un crime qui ne
devrait pas exister. »
Raynald
Côté a été accusé, avec
ses deux fils, d'agressions sexuelles, de séquestration
et d'inceste à l'endroit de sa fille handicapée.
Un crime qui a indigné la population. Pendant qu'il
faisait face à la justice « officielle »,
Côté a dû faire face à une autre
justice, celle des détenus de la prison de Sherbrooke,
qui l'ont tabassé. Aux yeux de la loi, il était
par contre toujours innocent. Peu importe, malgré
les signes apparants qu'il avait été battu,
personnes ne s'en est indigné.
« Je
vous dirais qu'il y avait un sentiment de satisfaction
qu'il ait été battu en prison. Les gens
trouvaient que c'était bien fait pour lui. »
- Ronald Lavallée,
réalisateur, Radio-Canada, Sherbrooke
Robert
Choquette, dont le fils a été sauvagement
assassiné, a longtemps pensé à se
venger, mais n'est jamais passé aux actes. Les
détenus allaient cependant s'en charger, en donnant
une raclée à l'assassin de son fils, au
point où il s'est retrouvé à l'hôpital
dans un état comateux.
« Si
je fais tuer ce gars ou le tue moi-même, ça
ne ramènera pas mon fils. Si c'était le
cas, ça ferait longtemps qu'il ne serait plus de
ce monde. »
- Robert Choquette
Policiers et journalistes
vont-ils trop loin?
Les
meurtres gratuits et les agressions sexuelles font toujours
l'objet d'une très large couverture dans les médias.
Dans l'affaire Côté, on peut cependant se
demander si les policiers et les journalistes ne sont
pas allés trop loin.
Ronald Lavallée, réalisateur à Radio-Canada,
à Sherbrooke, affirme à propos de l'affaire
Côté que c'est la première fois qu'il
voyait ce genre de lynchage médiatique. Selon lui,
on entendait déjà dans les lignes ouvertes
à la radio des gens condamner Raynald Côté
le lendemain ou le surlendemain de son arrestation, soit
bien avant son procès et sans que personne n'ait
encore entendu la preuve.
Dans le cas Côté, en parlant de l'acte
d'accusation et en donnant le nom de l'accusé,
on révélait par le fait même le nom
de la victime. Et il semble qu'on ne s'est pas gêné
pour donner les noms et photographies des personnes impliquées.
Selon Ronald Lavallée, les déclarations
des policiers sortaient également de l'ordinaire :
« La police
de Sherbrooke a la confiance du public. [...] Lorsqu'un
policier qui a 27, 28 ans d'expérience vous dit
que c'est la pire chose qu'il ait jamais vue, avec ce
que les policiers sont amenés à voir, c'est
évident que ça impressionne. Ça nous
avait un peu saisis, effectivement. »
- Ronald Lavallée,
réalisateur, Radio-Canada, Sherbrooke
Dans
les heures qui ont suivi leur arrestation, Côté
et un de ses fils étaient sauvagement battus en
prison. Me Bénard, qui a représenté
Côté lors de sa première comparution,
croit que ces événements sont directement
liés au traitement de la nouvelle, que la présomption
d'innocence a été, dans ce cas, complètement
bafouée. Selon lui, Côté a été
châtié avant même d'être jugé.
« Les médias
occupent un peu la fonction de la commère des villages
d'autrefois. Ils attisent l'indignation populaire. On
en vient presque à un système inquisitoire,
c'est-à-dire : "C'est à toi mon
bonhomme de nous prouver que tu n'es pas coupable de l'infraction
dont on t'accuse". Alors c'est dangereux, très
dangereux. »
- Me Bénard
La manière dont les policiers présentent
les choses a également une grande incidence. En
raison de la crédibilité qu'on leur accorde,
la population a tendance à adopter les commentaires
que les policiers émettent sur la nature du dossier
lors de conférences de presse. D'ailleurs, Me Gagnon,
qui a pris la relève dans l'affaire Côté,
s'inquiète des relations de plus en plus étroites
entre policiers et journalistes.
« Ce
n'est pas un hasard lorsqu'on voit [aux nouvelles] des
individus entrer au palais de justice escortés
de policiers. Les journalistes ont été prévenus
par les policiers. »
- Me Gagnon
Selon
Pierre Richard, journaliste au Journal de Montréal,
les policiers vont effectivement procéder de la
sorte dans les cas extrêmes. Ils seront plus lents
pour amener l'accusé dans la voiture, ou bien ils
vont le faire descendre de la voiture à l'extérieur
du palais de justice. Dans d'autres circonstances, ils
feront passer l'accusé par les corridors du palais
de justice, alors que normalement, il serait passé
par les cellules.
Pour Robert Maltais, secrétaire général
du Conseil de presse du Québec, il s'agit ni plus
ni moins d'une mise en scène : « Ça
s'appelle de la mise en scène. Or, faire du journalisme,
ce n'est pas du théâtre. Moi, j'appelle ça
de la manipulation, des tentatives de manipulation. Maintenant,
quoi? On va organiser des scènes pour que les médias
en aient plein les yeux. C'est très dangereux parce
que ça fausse la réalité. »
Robert Maltais s'indigne de cette pratique, de la rapidité
avec laquelle les médias condamnent un accusé,
sans procès. C'est inquiétant lorsqu'on
sait que 40 % des accusés sont innocentés
à la fin de leur procès. Selon Jean Pichette,
ancien journaliste au quotidien Le Devoir et professeur
à l'UQAM, ce lynchage médiatique n'est pas
sans rappeler les pratiques du Moyen-âge ou du Far
West.
« On
ne tue pas l'individu, mais c'est une mise à mort
symbolique, si on veut. »
- Jean Pichette, professeur
à l'UQAM
La
« justice » en prison
Après
le procès des médias, l'accusé, reconnu
coupable ou en attente de son procès, devra faire
face à la « justice » des
codétenus. Et cette « justice »
serait impossible sans la complicité des gardiens
de prison, selon le criminaliste Jean-Pierre Rancourt :
« Par exemple, quelqu'un qui a commis des
agressions sexuelles sur des enfants arrive en prison,
et les gardiens l'oublient dans le corridor en sachant
très bien qu'il aura une leçon. »
Craignant les représailles, peu de détenus
portent plainte.
Dans certains cas, les détenus qui risquent d'être
assassinés sont envoyés à la prison
de Port-cartier, un pénitencier à haute
sécurité. Une prison aux mesures de sécurités
exceptionnelles, où se retrouvent des tueurs, des
abuseurs d'enfants, des délateurs et d'anciens
policiers. Sur les quelque 200 détenus, une quarantaine
ont été placés en isolement total,
coupé complètement du reste de la population
carcérale.
C'est le cas d'un ancien policier haïtien, reconnu
coupable en 1990 du meurtre de l'amant de sa femme et
condamné à perpétuité. Mais
aux yeux des autres détenus, Albert Dutervielle
a commis dans sa vie passée des crimes beaucoup
plus graves : il a été policier et,
surtout, informateur pour la Sûreté du Québec.
De plus, il mène depuis des années une lutte
acharnée contre le système carcéral,
ce qui équivaut à une déclaration
de guerre.
Dans son cas, des informations confidentielles ont filtré
jusqu'aux autres détenus quant à son passé.
Son avocat soupçonne les gardiens d'avoir transmis
l'information pour se venger d'une plainte déposée
par Dutervielle pour discrimination raciale. Depuis le
début de son incarcération, il a été
victime d'agressions sauvages à plusieurs reprises,
et il vit maintenant en isolation totale 24 heures sur
24, à sa propre demande. En effet, il craint de
se faire agresser de nouveau, voire même de se faire
tuer.
« Parfois,
le jugement médiatique est beaucoup plus sévère,
a beaucoup plus d'impact que le jugement de la cour. »
- Robert Maltais, secrétaire général
du Conseil de presse du Québec