«Je
suis au ralenti, vraiment au ralenti, mes intérêts
pour les activités baissent, j'ai toujours l'impression
qu'il faut que je me force pour faire les choses. En général,
ça ne me tente pas, et c'est comme ça tous les
jours.»
- Marie-Hélène Globensky
Le
21 décembre marque le début de l'hiver, une
saison froide et maussade, où le temps d'ensoleillement
est excessivement court. Pour 600 000 Canadiens, cette
période est un véritable calvaire; ils souffrent
du trouble affectif saisonnier ou, si vous préférez,
de la dépression saisonnière. Ils manquent dramatiquement
d'énergie, ils ont un besoin excessif de sommeil, ils
prennent du poids et, souvent, des idées suicidaires
font leur apparition.
Il
s'agit en fait d'une maladie sournoise, récurrente
et difficile à diagnostiquer, dont vous pouvez souffrir
sans même le savoir. Marie-Hélène Globensky
souffre de ce mal depuis des années. À partir
du mois d'octobre, elle se sent plus triste, devient moins
dynamique. Au début, elle était loin de se douter
qu'elle souffrait du trouble affectif saisonnier, mais elle
était consciente que l'hiver représentait, chaque
année, une période plus difficile. Pour
sa part, Thérèse Villeneuve se faisait traiter
de paresseuse, ce qu'elle avait beaucoup de mal à accepter.
Son malaise débutait à l'automne et durait jusqu'au
mois de mars.
«Si
je regarde les épisodes de ma vie, le cégep,
l'université, ce sont tous des épisodes qui
ont été difficiles. Ça commençait
à l'automne et ça durait vraiment jusqu'en mars.» - Thérèse Villeneuve
Ces femmes sont atteintes de la dépression
saisonnière. Elles ont dû endurer ce mal pendant
plusieurs années, sans pouvoir y faire grand-chose.
Un
mal-être qui peut être néfaste
Certes,
tous avoueront ressentir, lorsque les journées raccourcissent
à l'automne, une certaine baisse de régime,
un certain manque d'énergie. Selon le Dr Brian Bexton,
environ la moitié de la population va ressentir cette
baisse d'énergie, surtout à partir de la fin
octobre. Et le phénomène serait tout à
fait normal. Par contre, selon le Dr Bexton, il faut commencer
à s'en inquiéter «lorsque ça
ne fonctionne plus, quand on commence à avoir des pensées
sombres, quand on est découragé et que tout
devient une montagne, pas juste un peu plus difficile, mais
une montagne devant nous, là il faut consulter.»
Plus précisément, il y aurait plus de 150 000
Québécois qui vivraient chaque année
ce véritable mal-être. Et de ce nombre, 80 %
sont des femmes. La psychiatre Marie-Josée Filteau
s'intéresse depuis longtemps au trouble affectif saisonnier.
Selon elle, environ 3 % de la population québécoise
vivra une dépression saisonnière avec des symptômes
très marqués, qui peuvent aller jusqu'à
un trouble de fonctionnement qui empêche le travail,
voire même qui conduit au suicide.
«Cela
a toujours été présent chez moi, des
idées suicidaires, et ça, de très longue
date. Je me souviens d'être allée voir une enseignante
et de lui avoir dit que je pensais mourir ou de lui avoir
parlé de suicide.» - Thérèse
Villeneuve
«Les
pensées sont plus négatives, mais moi, je n'ai
pas d'idées sombres, parce que je connais la maladie,
je sais que je ne veux pas en mourir. J'aime la vie.» - Marie-Hélène
Globensky
La lumière
comme remède
Heureusement,
il existe une solution: la luminothérapie, aussi appelée
photothérapie, qui consiste à s'exposer à
une lumière blanche intense. Une solution qui connaît
un succès certain, puisque le principal manufacturier
de lampes servant à la luminothérapie a vu ses
ventes croître de 30 % l'an dernier.
Lorsque
cette lampe est dirigée dans votre champ de vision
et que vous vous trouvez à 50 cm d'elle, vous
recevez environ 10 000 lux de lumière. En comparaison,
lorsque vous vous trouvez sur une plage, lors d'une belle
journée d'été sans nuages, vos yeux captent
environ 100 000 lux de lumière. Mais au bureau,
dans un environnement bien éclairé, vous recevrez
entre 700 et 1000 lux de lumière, et seulement 500
lux à la maison.
Alors, une simple lampe peut-elle avoir un impact majeur sur
le cerveau humain? Selon Marie-Josée Filteau, oui:
«Ce qui est le mieux connu en ce qui a trait aux
variations saisonnières, c'est la sérotonine,
impliquée dans les variations de l'humeur, de l'appétit
et du sommeil. Les taux de sérotonine sont les plus
bas en décembre et en janvier, donc au moment où
la lumière est la plus basse. Si on a un traitement
de photothérapie, on neutralise cette baisse dramatique
et on permet aux gens de récupérer, de se défaire
de leurs symptômes dépressifs.»
Au
prise lui aussi avec les symptômes du manque de lumière,
le chercheur en photobiologie Marc Hébert, dont le
bureau est situé au sous-sol du Centre hospitalier
de l'Université Laval, débute sa journée
de travail par une séance de luminothérapie.
Mais comment la lumière peut-elle aider une personne
qui souffre de dépression? Selon Marc Hébert,
«ce que l'on a observé dans le passé,
c'est que les patients qui ont une dépression hivernale
ont une baisse de sensibilité à la lumière
en hiver qui se normalise en été. Donc, qu'est-ce
qui se passe, qu'est-ce qui cause cette baisse de sensibilité?
Nous, on soupçonne que la sérotonine ou la dopamine
serait impliquée dans ce changement. Il s'agit d'évaluer
à quel niveau chacune d'elles est impliquée».
Une solution mise de l'avant au Lac-Saint-Jean
Au
Lac-Saint-Jean, devant le nombre important de patients qui
consultaient chaque automne pour des dépressions saisonnières,
on a décidé d'agir. À l'hôpital
de Roberval, on a décidé d'organiser un service
pour ces patients. C'est le psychiatre Pierre Zwiebel qui
en a eu l'idée il y a trois ans. Il a simplement donné
la possibilité aux malades d'essayer gratuitement la
luminothérapie: «Tout le monde a participé,
et l'industrie pharmaceutique a généreusement
contribué, autant pour le programme de formation continue
que pour l'acquisition des lampes.» Thérèse
Villeneuve a tenté l'expérience, qui s'est avérée
concluante:
«Je
ne le croyais pas, mais au bout d'une semaine, j'avais repris
de l'énergie, et beaucoup à part ça.
J'ai vu une grande différence.» - Thérèse Villeneuve
Selon
Nicole Simard, du Centre hospitalier de Dolbeau, s'il a été
difficile au début de convaincre les médecins,
septiques quant aux bienfaits de la luminothérapie,
ils ont fini par admettre que le traitement pouvait être
bénéfique dans certains cas: «Au début,
des médecins étaient sceptiques, mais maintenant,
ils se rendent bien compte... C'est sûr que ça
ne fonctionne pas dans tous les cas, mais on a quand même
80 % de réussite. Alors les médecins disent:
Avant d'essayer un antidépresseur, on va juste
essayer ça.»
Pourtant, le traitement de luminothérapie est connu
depuis longtemps, mais il demeurait méconnu du grand
public, comme le fait remarquer le Dr Zwiebel: «Le
traitement de luminothérapie est quand même connu
depuis longtemps, mais l'information au grand public ne passait
pas. Donc, les gens ne venaient pas forcément consulter
pour le trouble affectif saisonnier. Encore aujourd'hui, ce
n'est pas une pathologie facile à identifier, pas plus
pour le malade que pour le médecin.»
Certes,
le traitement ne représente pas le remède miracle.
Les gens aux prises avec la dépression saisonnière
seront peut-être toujours à risque, mais s'ils
font leur traitement de luminothérapie pendant la période
de diminution de la luminosité, ils vont éviter
de sombrer dans la dépression.
Il s'agit d'une technique simple qui peut faire toute la
différence, et qui d'ailleurs permet au Dr Zwiebel
de chérir un rêve un peu fou:
«On
peut très bien imaginer des centres de restauration
rapide où il y aurait des comptoirs avec des petites
lumières et où les gens iraient lire leur quotidien,
La Presse ou Le Devoir, sous ces lampes mises
à la disposition du grand public.» - Dr Pierre Zwiebel
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