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REPORTAGE
— 2004-01-27

LE BLUES DE L'HIVER

«Je suis au ralenti, vraiment au ralenti, mes intérêts pour les activités baissent, j'ai toujours l'impression qu'il faut que je me force pour faire les choses. En général, ça ne me tente pas, et c'est comme ça tous les jours.»
- Marie-Hélène Globensky

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie 1 - 2

Le 21 décembre marque le début de l'hiver, une saison froide et maussade, où le temps d'ensoleillement est excessivement court. Pour 600 000 Canadiens, cette période est un véritable calvaire; ils souffrent du trouble affectif saisonnier ou, si vous préférez, de la dépression saisonnière. Ils manquent dramatiquement d'énergie, ils ont un besoin excessif de sommeil, ils prennent du poids et, souvent, des idées suicidaires font leur apparition.


Il s'agit en fait d'une maladie sournoise, récurrente et difficile à diagnostiquer, dont vous pouvez souffrir sans même le savoir. Marie-Hélène Globensky souffre de ce mal depuis des années. À partir du mois d'octobre, elle se sent plus triste, devient moins dynamique. Au début, elle était loin de se douter qu'elle souffrait du trouble affectif saisonnier, mais elle était consciente que l'hiver représentait, chaque année, une période plus difficile. Pour sa part, Thérèse Villeneuve se faisait traiter de paresseuse, ce qu'elle avait beaucoup de mal à accepter. Son malaise débutait à l'automne et durait jusqu'au mois de mars.

«Si je regarde les épisodes de ma vie, le cégep, l'université, ce sont tous des épisodes qui ont été difficiles. Ça commençait à l'automne et ça durait vraiment jusqu'en mars.»
- Thérèse Villeneuve


Ces femmes sont atteintes de la dépression saisonnière. Elles ont dû endurer ce mal pendant plusieurs années, sans pouvoir y faire grand-chose.

Un mal-être qui peut être néfaste

Certes, tous avoueront ressentir, lorsque les journées raccourcissent à l'automne, une certaine baisse de régime, un certain manque d'énergie. Selon le Dr Brian Bexton, environ la moitié de la population va ressentir cette baisse d'énergie, surtout à partir de la fin octobre. Et le phénomène serait tout à fait normal. Par contre, selon le Dr Bexton, il faut commencer à s'en inquiéter «lorsque ça ne fonctionne plus, quand on commence à avoir des pensées sombres, quand on est découragé et que tout devient une montagne, pas juste un peu plus difficile, mais une montagne devant nous, là il faut consulter.»


Plus précisément, il y aurait plus de 150 000 Québécois qui vivraient chaque année ce véritable mal-être. Et de ce nombre, 80 % sont des femmes. La psychiatre Marie-Josée Filteau s'intéresse depuis longtemps au trouble affectif saisonnier. Selon elle, environ 3 % de la population québécoise vivra une dépression saisonnière avec des symptômes très marqués, qui peuvent aller jusqu'à un trouble de fonctionnement qui empêche le travail, voire même qui conduit au suicide.

 

«Cela a toujours été présent chez moi, des idées suicidaires, et ça, de très longue date. Je me souviens d'être allée voir une enseignante et de lui avoir dit que je pensais mourir ou de lui avoir parlé de suicide.»
- Thérèse Villeneuve

 

«Les pensées sont plus négatives, mais moi, je n'ai pas d'idées sombres, parce que je connais la maladie, je sais que je ne veux pas en mourir. J'aime la vie.»
- Marie-Hélène Globensky

 

La lumière comme remède

Heureusement, il existe une solution: la luminothérapie, aussi appelée photothérapie, qui consiste à s'exposer à une lumière blanche intense. Une solution qui connaît un succès certain, puisque le principal manufacturier de lampes servant à la luminothérapie a vu ses ventes croître de 30 % l'an dernier.

Lorsque cette lampe est dirigée dans votre champ de vision et que vous vous trouvez à 50 cm d'elle, vous recevez environ 10 000 lux de lumière. En comparaison, lorsque vous vous trouvez sur une plage, lors d'une belle journée d'été sans nuages, vos yeux captent environ 100 000 lux de lumière. Mais au bureau, dans un environnement bien éclairé, vous recevrez entre 700 et 1000 lux de lumière, et seulement 500 lux à la maison.

Alors, une simple lampe peut-elle avoir un impact majeur sur le cerveau humain? Selon Marie-Josée Filteau, oui: «Ce qui est le mieux connu en ce qui a trait aux variations saisonnières, c'est la sérotonine, impliquée dans les variations de l'humeur, de l'appétit et du sommeil. Les taux de sérotonine sont les plus bas en décembre et en janvier, donc au moment où la lumière est la plus basse. Si on a un traitement de photothérapie, on neutralise cette baisse dramatique et on permet aux gens de récupérer, de se défaire de leurs symptômes dépressifs.»

Au prise lui aussi avec les symptômes du manque de lumière, le chercheur en photobiologie Marc Hébert, dont le bureau est situé au sous-sol du Centre hospitalier de l'Université Laval, débute sa journée de travail par une séance de luminothérapie. Mais comment la lumière peut-elle aider une personne qui souffre de dépression? Selon Marc Hébert, «ce que l'on a observé dans le passé, c'est que les patients qui ont une dépression hivernale ont une baisse de sensibilité à la lumière en hiver qui se normalise en été. Donc, qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui cause cette baisse de sensibilité? Nous, on soupçonne que la sérotonine ou la dopamine serait impliquée dans ce changement. Il s'agit d'évaluer à quel niveau chacune d'elles est impliquée».

 

Une solution mise de l'avant au Lac-Saint-Jean

Au Lac-Saint-Jean, devant le nombre important de patients qui consultaient chaque automne pour des dépressions saisonnières, on a décidé d'agir. À l'hôpital de Roberval, on a décidé d'organiser un service pour ces patients. C'est le psychiatre Pierre Zwiebel qui en a eu l'idée il y a trois ans. Il a simplement donné la possibilité aux malades d'essayer gratuitement la luminothérapie: «Tout le monde a participé, et l'industrie pharmaceutique a généreusement contribué, autant pour le programme de formation continue que pour l'acquisition des lampes.» Thérèse Villeneuve a tenté l'expérience, qui s'est avérée concluante:

«Je ne le croyais pas, mais au bout d'une semaine, j'avais repris de l'énergie, et beaucoup à part ça. J'ai vu une grande différence.»
- Thérèse Villeneuve

 

Selon Nicole Simard, du Centre hospitalier de Dolbeau, s'il a été difficile au début de convaincre les médecins, septiques quant aux bienfaits de la luminothérapie, ils ont fini par admettre que le traitement pouvait être bénéfique dans certains cas: «Au début, des médecins étaient sceptiques, mais maintenant, ils se rendent bien compte... C'est sûr que ça ne fonctionne pas dans tous les cas, mais on a quand même 80 % de réussite. Alors les médecins disent: “Avant d'essayer un antidépresseur, on va juste essayer ça.”»

Pourtant, le traitement de luminothérapie est connu depuis longtemps, mais il demeurait méconnu du grand public, comme le fait remarquer le Dr Zwiebel: «Le traitement de luminothérapie est quand même connu depuis longtemps, mais l'information au grand public ne passait pas. Donc, les gens ne venaient pas forcément consulter pour le trouble affectif saisonnier. Encore aujourd'hui, ce n'est pas une pathologie facile à identifier, pas plus pour le malade que pour le médecin.»

Certes, le traitement ne représente pas le remède miracle. Les gens aux prises avec la dépression saisonnière seront peut-être toujours à risque, mais s'ils font leur traitement de luminothérapie pendant la période de diminution de la luminosité, ils vont éviter de sombrer dans la dépression.

Il s'agit d'une technique simple qui peut faire toute la différence, et qui d'ailleurs permet au Dr Zwiebel de chérir un rêve un peu fou:

«On peut très bien imaginer des centres de restauration rapide où il y aurait des comptoirs avec des petites lumières et où les gens iraient lire leur quotidien, La Presse ou Le Devoir, sous ces lampes mises à la disposition du grand public.»
- Dr Pierre Zwiebel




 



Journaliste: Nancy Desjardins
Réalisatrice: Lucie Payeur


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