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L'affaire
Riopelle nous le rappelle encore une fois: le règlement
d'une succession, même lorsqu'elle est bien préparée,
réserve souvent des surprises aux héritiers
et peut entraîner, malheureusement, de la discorde.
C'est vrai même lorsque l'héritage est modeste.
Alors pourquoi l'héritage engendre-t-il la chicane?
C'est le mariage de deux grands tabous, celui de la mort
et celui de l'argent.
Jean-Paul
Riopelle a peint son dernier tableau en 1992, tableau
qui se trouve aujourd'hui dans son manoir seigneurial
du 17e siècle de L'Isle-aux-Grues, où il
avait décidé de finir ses jours. Hélas,
ce n'est pas ce tableau qui a retenu l'attention après
sa mort, mais plutôt le spectacle désolant
de ses héritiers qui se livrent bataille au sujet
de son véritable testament.
En juillet 2003, rien ne laissait présager le
conflit, lorsque 10 voitures de collection ayant appartenu
au peintre ont été vendues à l'encan,
pour un montant de près de 700 000 $.
Mais la succession comprend également une propriété
dans les Laurentides, le manoir de L'Isle-aux-Grues et
plus de 1500 uvres rapatriées de France au
début des années 90 par son ami et conseiller,
Pierre Elliott Trudeau. Une succession dont la valeur
est estimée à 30 ou 50 millions de dollars.
Selon
le testament du peintre, le tout devait être légué,
à parts égales, à ses deux filles,
Iseult et Sylvie, ainsi qu'à Huguette Vachon, sa
compagne des 16 dernières années. Cette
dernière se souvient de l'ouverture du testament
en présence des deux parties: «C'était:
Êtes-vous sûr qu'il n'y a pas un testament
en France? Un autre qui serait différent?
Et le notaire a dit: De toute façon, M. Riopelle
n'est jamais retourné en France. Alors s'il y a
un autre testament, il faudrait qu'il ait été
fait ici. [...] Cela a été la première
question. Déjà, on pouvait s'imaginer qu'il
y avait des insatisfactions devant les volontés
de Jean-Paul.»
«Je
m'attendais à quelque chose de très important
à la mort de Jean-Paul, je ne m'attendais pas à
une succession aussi rocambolesque, je ne m'attendais
pas à une saga semblable.»
- Huguette Vachon, compagne de Jean-Paul Riopelle
Et
quelle saga! Les enfants de Riopelle, y compris son fils
Yann Fravalo, qui vit en France, ont contesté la
façon dont Huguette Vachon voulait gérer
la succession, et réclamé sa destitution
comme liquidatrice. La Cour supérieure leur a donné
raison en empêchant la vente aux enchères
d'une partie de la collection personnelle du peintre.
Une vente dont ils avaient appris la tenue par l'entremise
des médias.
De plus, les enfants Riopelle veulent faire annuler le
transfert de plus de 700 uvres et un prêt
sans intérêt de 1,5 million de dollars à
une société appartenant à Huguette
Vachon, pour cause d'incapacité de leur père.
Une
bataille qui s'annonce coûteuse. Les frais juridiques
des deux parties dépassent déjà le
million de dollars. André Michel, qui a côtoyé
Riopelle pendant 25 ans, croit qu'il s'agit en partie
d'un règlement de compte: «Je crois que
ce sont des choses qui étaient latentes avant qu'il
ne soit officiellement question de succession. Ce n'était
pas le parfait amour entre les filles et la compagne de
Jean-Paul. Avec le décès de Jean-Paul, ça
s'est accentué.» Il faudra des mois,
voire des années, avant que la succession ne soit
réglée.
Une question d'argent
et de symbole
Le
conflit qui oppose Huguette Vachon et les enfants de Jean-Paul
Riopelle est loin d'être un cas unique. Le notaire
Noël Lajoie, qui consacre 95 % de sa pratique
au règlement de successions, voit constamment des
familles déchirées autour de l'héritage.
Parfois même de génération en génération.
«Il peut arriver
qu'on revienne avec des histoires familiales qui datent
de l'enfance et on se dit: "Mon Dieu, ce sont tous
des adultes, ils ont tous 40, 50 ans et ça leur
revient encore".»
- Noël Lajoie, notaire
Au-delà des
biens et des dernières volontés du défunt,
le testament est souvent perçu comme une manière
de prouver son amour aux héritiers.
Le
cinéaste Jean-Claude Labrecque, qui avait 17 ans
lorsque sa mère est décédée,
a vécu l'expérience d'une succession houleuse.
Celle-ci lui a d'ailleurs inspiré un de ses premiers
longs métrages, Les Vautours, film qui raconte
l'avidité des héritiers. En fait, l'héritage
est le mariage de deux grands interdits, ceux de la mort
et de l'argent.
«La lecture
du testament s'est faite alors que ma mère n'était
pas encore enterrée. Tout le monde voulait voir
à qui allait le manteau de fourrure, si vraiment
il allait directement à la tutrice testamentaire,
qui elle, le portait déjà. C'était
de petites choses, au fond, parce qu'on s'apercevait que
la maison était pleine de cochonneries ridicules
qui ne valaient rien, mais tout le monde se les arrachait
un petit peu.»
- Jean-Claude Labrecque,
cinéaste
Jean-Claude Labrecque s'est senti dépossédé
dans cette aventure, et il a mis plusieurs années
à s'en remettre. Avec le recul, le maigre héritage
qu'il a reçu a tout de même été
d'une importance capitale pour lui, et il a réussi
à faire la paix avec cette histoire, en quelque
sorte, en la transposant au cinéma.
Encore
aujourd'hui, les conflits d'héritage sont l'ultime
tabou entourant la mort. Il faut dire que pendant plusieurs
générations, le patrimoine des Canadiens
français a été constitué,
bien modestement, de la terre familiale. Il s'est transformé
avec la Révolution tranquille, la constitution
des caisses de retraite et l'explosion de l'immobilier.
Au lieu du lopin de terre, on lègue maintenant
des assurances et des fonds mutuels.
On estime à 1000 milliards de dollars la masse
successorale que les Canadiens s'apprêtent à
transmettre au cours des 15 prochaines années.
Selon l'anthropologue Luce Desaulniers, «c'est
tout à fait courant de voir des gens supputer sur
un testament parce qu'ils risquent plus d'hériter
que de gagner à la loto!».
Mais l'argent n'est pas toujours à l'origine des
convoitises. Souvent, des objets sans grande valeur monétaire
ont une force symbolique qui crée attentes et déceptions,
comme le fait remarquer Noël Lajoie: «Le
bijou, il ne vaut rien ou à peu près. Si
on le vendait demain, on n'aurait rien pour. Mais tout
le monde le veut parce que c'est la bague familiale, la
broche qu'elle a eue de sa grand-mère ou le collier
qu'elle a eu quand elle s'est mariée.»
«Ça
n'a rien à voir avec le fait d'être bon,
méchant, accapareur. La personne se sent, en portant
un collier ou en ayant un objet, détentrice de
la puissance symbolique de ce lien affectif qui continue
d'exister par-delà la mort. Et c'est par peur de
perdre ce lien affectif que les gens se chicanent.»
Luce Desaulniers,
anthropologue
Des
conflits inévitables?
Pour
éviter les situations fâcheuses, le notaire
Lajoie prône la lecture du testament, une vieille
tradition presque disparue au Québec. Celle-ci
permet de clarifier les volontés du défunt,
le rôle des liquidateurs et les droits des héritiers:
«Quand j'explique aux gens ce que ça veut
dire s'ils ne s'entendent pas, en coûts, en émotion,
parce que ça va durer des années, habituellement,
je finis par les rapprocher. Je ne vous dis pas qu'ils
sortent du bureau et qu'ils s'embrassent, non. Mais ils
ont compris qu'ils doivent marcher sur leur orgueil, chacun,
ou ils ont compris qu'ils devront laisser ça de
côté pour régler cette question successorale.»
Peu importe la valeur de la succession, qu'il s'agisse
d'un bijou familial ou du legs artistique d'un des grands
artistes de ce siècle, la façon dont on
dispose de ses biens signifie toujours quelque chose,
dans la vie comme dans la mort.
Le partage de l'héritage est souvent à
l'image des relations qui ont existé entre le défunt
et ses héritiers. C'est beaucoup plus qu'un acte
de disposition économique et fiscale. Règlement
de compte ou preuve d'amour, c'est une façon de
laisser sa trace pour continuer à vivre dans le
souvenir des autres.
«Autant
les héritiers règlent des comptes entre
eux, autant le testateur règle parfois des choses,
dit par son testament les choses qu'il aurait été
incapable de dire de son vivant. C'est comme une revanche
au tournant, si on veut, et ce tournant est définitif.»
- Luce Desaulniers, anthropologue
«Ça
fait très froid, testament, ça fait: la
personne est morte. C'est le partage, et testament, pour
moi, signifie des conflits, la guerre, le manque d'amour,
des situations abracadabrantes. Et un testament, quand
est-ce que c'est bien fait, je me le demande?»
Huguette Vachon, compagne de Jean-Paul Riopelle
Journaliste:
Sylvie Fournier
Réalisateur: Pier Gagné
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