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REPORTAGE
— 2004-01-13

HÉLÈNE, VALÉRIE, JOCELYN ET LES AUTRES

« Ils ont besoin d'un accomplissement, comme chaque être humain a besoin de s'accomplir dans un travail. Je pense qu'ils se reconnaissent dans un travail. Ils sont fiers. »
- Mario Robillard, éducateur spécialisé



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie 1 -2-3-4

Si on a souvent parlé, depuis 20 ans, des dérapages de la désinstitutionnalisation, on a trop souvent oublié ses bienfaits. Après avoir été confinés trop longtemps dans des institutions psychiatriques, les personnes souffrant de déficiences intellectuelles ont maintenant droit au bonheur. Au bonheur de travailler, de vivre seules en logement et de profiter de la vie.

Mais si les déficients sont de plus en plus intégrés dans notre société, nos préjugés, eux, sont encore très présents, et ils représentent un frein à leur épanouissement personnel. Les déficients intellectuels, victimes dans un passé pas si lointain de stérilisation forcée ou des chambres à gaz nazies, reviennent de loin.

Lorsqu'elle est née, Hélène était une petite fille comme les autres. À la suite d'une encéphalite, à l'âge de 8 mois, tout a basculé. Elle n'était plus du tout le même bébé. Lorsque sa mère tentait de prendre de ces nouvelles à l'hôpital, les infirmières ne voulaient rien lui dire, jusqu'à ce que le pédiatre lui lance au téléphone : « Ta fille, c'est une débile mentale. »

La nouvelle a alors complètement bouleversé Mme Lamontagne, la mère d'Hélène. Pendant trois ans, elle a eu beaucoup de mal à l'accepter. Elle disait ne jamais vouloir se séparer de sa fille. Mais devant le climat de tristesse que cela créait dans son entourage, elle finit par se résigner à placer Hélène dans une institution pour déficients intellectuels. Elle y demeurera pendant 10 ans.

Aujourd'hui, il est difficile pour tout parent de s'imaginer devoir se séparer de son enfant pour plusieurs années. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, c'était le sort qui attendait la plupart des familles dont les enfants souffraient de déficience intellectuelle.

Il y a 30 ou 40 ans, la majorité de ces enfants étaient exclus de la société et envoyés en institution. À l'époque, on croyait que c'était la meilleure chose à faire, tant pour les patients que pour la société en général. Mais grâce à l'évolution des connaissances et diverses expériences, les choses ont changé, selon Normand Lauzon, directeur du centre de réadaptation La Myriade : « C'était un moment où la conception des services par l'État était davantage de protéger les personnes et, à la limite, protéger la société de ces personnes. On pensait que c'était la meilleure façon de donner des services. Avec l'évolution des connaissances et l'expérience vécue, on s'aperçoit clairement que la désinstitutionnalisation, pour nous et pour ces personnes-là, permet des miracles. »

Depuis, la grande noirceur a fait place à une tout autre réalité. Il est maintenant possible pour un déficient intellectuel d'apprendre, comme tout le monde, à lire, à écrire, à compter. En somme, apprendre à vivre en société.

Hélène n'a cependant pas eu cette chance lorsqu'elle était en institution. Elle n'a appris ni à lire ni à écrire. L'aurait-elle appris si elle n'avait pas été en institution? Personne ne le sait, et on ne le saura jamais. Par contre, si elle était née 20 ans plus tard, elle aurait pu fréquenter l'école, comme Valérie, dont la mère croit beaucoup aux bienfaits de l'intégration et qui a décidé de l'inscrire à l'école privée.


« Ce que je voulais surtout, c'est qu'elle adopte des comportements plus près du normal. Ici, elle a trouvé un milieu où elle peut s'épanouir. »
- Mme Malo, mère de Valérie



L'épanouissement par le travail

Hélène est revenue à la maison à l'âge de 18 ans. Ses parents ont dû alors la responsabiliser, ce qui était assez difficile au début car il fallait renverser la vapeur. Hélène revient de loin. À 40 ans, même si elle ne sait ni lire ni écrire et qu'elle éprouve des difficultés à communiquer avec les autres, elle réussit à vivre une vie presque normale et travaille dans une caisse populaire depuis une dizaine d'années.


« Avant, on disait : "Il a 42 de QI, il a 32 de QI, il a 72 de QI. Il est comme ça à vie." Mais s'ils ne sont pas bombardés culturellement, s'ils sont dans un sous-sol et que personne ne leur parle, s'ils ne sont en contact avec aucun être humain, aucun être vivant, c'est sûr qu'ils ne se développent pas. »
- Maurice Gariépy, éducateur spécialisé


Les stagiaires de M. Gariépy ont prouvé qu'ils étaient capables de vivre comme tout le monde, de vivre des expériences, de vivre en résidences, d'avoir un emploi. Toutefois, au début, il a fallu convaincre beaucoup de gens, particulièrement les entreprises, qui étaient réticentes à engager des déficients intellectuels. C'était nouveau, et il y avait beaucoup de préjugés.

L'intégration des déficients intellectuels sur le marché du travail s'est faite lentement, progressivement, au terme de plusieurs expériences. Au début, on les faisait travailler dans un atelier qui leur était réservé, jusqu'à ce que l'on se demande s'il ne valait pas mieux qu'ils aillent travailler à l'extérieur, dans la vraie vie. Certains étaient réticents à cette idée, car on craignait qu'ils ne se fassent exploiter, qu'on profite d'eux. Mais le travail en atelier n'était pas très stimulant, et on a tenté l'expérience, qui s'est avérée concluante.


« Ils ont besoin d'un accomplissement, comme chaque être humain a besoin de s'accomplir dans un travail. Je pense qu'ils se reconnaissent dans un travail. Ils sont fiers. »
- Mario Robillard, éducateur spécialisé

La majorité des déficients intellectuels qui travaillent vivent de l'aide sociale et reçoivent quelques dollars par jour pour leurs petites dépenses. Il y a cependant des exceptions, comme Patricia.

En fait, selon M. Lauzon, on ne peut demander aux entreprises de donner le plein salaire à quelqu'un dont le rendement n'est pas équivalent à celui des autres travailleurs de l'entreprise. Par contre, on ne peut non plus leur demander de travailler pour rien. Conscients de cette réalité, certains employeurs acceptent maintenant de payer leurs stagiaires à la mesure de leur productivité. C'est ce qu'on appelle la rémunération adaptée.


« C'est, d'une part, un employeur qui finance la personne qui a une déficience intellectuelle en fonction de sa productivité, en fonction de son rendement. Et l'État compense la différence à même une forme de subvention ou avec l'aide sociale. Par exemple, dans un supermarché où l'entreprise paie ses employés 8 $ de l'heure, si on évalue que la personne qui a une déficience intellectuelle prend deux fois plus de temps pour faire la même tache, on pourrait exiger de l'employeur qu'il paie 4 $ de l'heure, puis l'État paierait la différence. »
- Normand Lauzon, directeur du centre de réadaptation La Myriade

 

L'argent, c'est une chose, mais sans la complicité des autres employés, l'intégration serait très difficile. Une complicité importante, à laquelle veille M. Gariépy : « J'essaie de trouver un bras droit qui va “cliquer” avec mon stagiaire, qui va l'épauler, et ça, ça aide beaucoup à l'intégration de mon stagiaire. »


Vers une autonomie complète

Mais la quête du bonheur va au-delà du travail. De plus en plus, on vise l'autonomie complète. Ce qui aurait pu paraît audacieux il y a encore quelques années semble maintenant devenu qu'une simple routine pour le milieu. Toute une adaptation pour des gens qui ont vécu en institution. Des choses qui peuvent paraître aussi simples que de faire les courses ou faire la cuisine représentent pour certains d'entre eux de véritables défis.

Personne n'aurait parié sur les chances d'Hélène de vivre seule, hors d'une institution psychiatrique, une réalité rendue possible avec la collaboration de tous, voisins, commerçants, éducateurs, etc. En fait, beaucoup d'éducateurs entourent ces gens, mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, la facture est moindre que s'ils étaient restés en institution, selon Normand Lauzon. « Ça coûte moins cher aujourd'hui qu'autrefois, et de façon importante, car autrefois, en institution, on évaluait le coût, par client, à environ 60 000 $. Aujourd'hui, il varie entre 15 000 $ et 30 000 $ par année. »

En fait, la principale barrière pour une intégration totale des personnes souffrant de déficiences mentales demeure les préjugés, encore trop nombreux.

« Nos stagiaires ont prouvé qu'ils sont capables de vivre comme nous autres, de vivre des expériences, d'être en résidence, d'avoir un emploi. On s'en va vers un travail plus individuel, c'est-à-dire qu'on leur donne de plus en plus de responsabilités. Chacun fait ses choix. »
- Maurice Gariépy, éducateur spécialisé

 

« Pour moi, l'intelligence, c'était très important. La société fonctionne avec l'intelligence, la performance, la compétition. Je la voyais seulement avec sa limite. Puis, lorsque je l'ai vue avec son potentiel d'être humain, elle avait juste une limite intellectuelle. À part ça, elle était correcte. Ça a changé tout, ma façon d'être, ma façon d'être malheureuse. Puis, ça a changé ma façon de la voir, ma façon de l'aider. À travers ça, elle a senti toute cette belle énergie. Puis elle a éclaté. »
- Mme Lamontagne, mère d'Hélène

 






Journaliste : Michel Vincent
Réalisateur : Jean-Claude Le Floch


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