Dans leur modeste maison de Winnipeg, Cliff et Wilma
Derksen élèvent trois jeunes enfants.
Une vie de famille qui n'a rien d'exceptionnel. Puis,
il y a eu ce vendredi du mois de novembre 1984, où
la jeune Candace, 13 ans, n'est pas rentrée
de l'école.
Elle aurait été
aperçue pour la dernière fois dans un dépanneur,
à quelques rues de chez elle. Après, c'est
le mystère complet.
Rapidement, toute la ville de Winnipeg se mobilise pour
retrouver la jeune fille. Les recherches se poursuivent
pendant sept semaines. On
découvre finalement
le corps de Candace dans une remise, à moins de
un kilomètre de la maison. Elle a les pieds et
les mains liés. Elle est morte de froid. Le motif
du crime est inconnu.
Enjeux
a rencontré la mère de Candace, qui a voulu
nous montrer les lieux. « En
refaisant le chemin qu'elle a été contrainte
de suivre, je sens ce qu'elle a dû ressentir. Sa
souffrance, sa grande solitude, malgré toute l'animation
qu'il y a autour. Elle était seule. Sa peur. Elle
devait être terrorisée. Elle devait avoir
si froid... »
Les Derksen avaient
cru que les funérailles mettraient fin à
l'histoire. Bien sûr, ils se trompaient. Le cauchemar
commence avec l'enquête, qui pointe pendant quelques
jours en direction du père de Candace. Il est rapidement
lavé de tout soupçon, mais l'enquête
piétine. Il n'y a pas de mobile, pas de suspect,
pas d'explication, rien qui puisse aider la famille à
vivre son deuil. Pendant
des années, la vie ne semble plus avoir de sens.
Le meurtre impuni, à quoi sert la justice?
C'est
la foi qui réconforte les Derksen. Le couple est
mennonite et voudrait croire au pardon. Mais le meurtre
de Candace a fait découvrir à sa mère
des sentiments qui l'horrifient :
« J'ai
imaginé ces 10 hommes et ce n'était pas
assez. Il faudrait en plus que j'appuie sur la gâchette.
Je me suis vue tirer sur chacun d'eux, et c'était
un sentiment exaltant. Pour moi, c'était la vraie
justice. »
Wilma n'a plus confiance
en la justice. Elle est aussi fortement ébranlée
par la violence de ses sentiments. Elle
se sent désormais
liée au meurtrier de sa fille. Les policiers ne
l'ont toujours pas retrouvé. Mais un autre criminel
s'apprête à croiser sa route. Une rencontre
qui sera décisive.
Un ex-criminel devient spécialiste
de la justice réparatrice
René
Durocher a grandi à
Montréal dans une famille de neuf enfants, où
la violence faisait partie de la vie quotidienne. Il apprend
vite que c'est une arme dont il peut lui aussi se servir.
À 17 ans, il purge sa première peine d'emprisonnement
à Saint-Vincent de Paul. Il passera en fait 23
ans de sa vie derrière les barreaux.
Pendant son incarcération
dans un pénitencier de la Saskatchewan, un incident
vient bouleverser le criminel endurci : sa femme
le quitte.
« Elle
m'a dit : René, regarde tes enfants,
tu ne les verras plus jamais, et je m'en vais. Je ne peux
pas te laisser vivre ta vie ni tes enfants vivre la vie
que tu vis. C'est fini. »
Le coup est dur. Pour
la première fois, René Durocher veut changer
de vie. Il réussit à garder un comportement
exemplaire en prison pendant deux ans, du jamais vu.
Sa femme lui donne une nouvelle chance. La Commission
des libérations conditionnelles aussi, en décembre
1990.
Deux ans après
sa libération, la prison rattrape René Durocher,
mais d'une manière inattendue : il retourne
« en dedans », mais cette fois pour
le compte de la Société John Howard. Il
travaille auprès de détenus condamnés
à vie. Ses clients
lui font confiance parce qu'il a longtemps été
un des leurs. Il part aussi en tournée dans les
écoles du Manitoba pour raconter sa vie à
des jeunes, qu'il espère convaincre de ne pas faire
les mêmes erreurs que lui.
Une rencontre entre victimes et meurtriers
Un jour, Wilma Derksen
se trouve parmi les gens qui écoutent René
Durocher. Celle-ci cherche
toujours un sens au drame qui a bouleversé sa vie.
René Durocher lui propose de venir en parler à
des meurtriers au pénitencier Stony Mountain, à
Winnipeg, au Manitoba. Ce qu'elle accepte.
« J'avais
enfin des meurtriers devant moi, et je pouvais leur demander
tout ce que je voulais. Les gardiens étaient partis,
et j'étais seule. J'étais seule avec ma
peur et ces hommes capables de tuer. Je me suis sentie
vulnérable, mais profondément respectée. »
« Ils
étaient 10, incluant René. La vie m'avait
fait ce merveilleux cadeau de mettre devant moi les 10
hommes que j'avais rêvé de tuer. Et ma rage
s'est évanouie. J'ai senti que je pouvais fermer
cette porte, que cette rage était désormais
domptée », poursuit-elle.
Pour Wilma,
c'est un point tournant. Elle se sent maintenant prête
à aider d'autres victimes. Elle fonde alors l'organisme
Victim's Voice pour venir en aide aux survivants de crimes
violents.
Lynne L'Heureux,
dont le frère a
été froidement abattu dans une histoire
de drogue en 1995, a accepté à son tour
d'aller rencontrer des meurtriers en prison. Tout
comme Wilma, Lynne a le sentiment qu'une forme de justice
lui a été rendue. Une justice différente
de celle des tribunaux, mais infiniment plus satisfaisante.
Et cela, sans que celles-ci aient rencontré les
deux hommes responsables de la mort de leur proche,
mais plutôt des délinquants accusés
de crimes semblables.
Pendant
deux heures, le fossé entre victimes et
meurtriers disparaît.
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Guérir de l'inceste
Au
printemps 2003, « Johanne » a fait
partie d'un premier groupe de victimes d'inceste à
tenter une démarche de justice réparatrice
au Québec. L'expérience
a eu lieu à l'établissement Montée
Saint-François, où sont détenus des
pères trouvés coupables d'inceste.
Pendant deux mois,
quatre hommes agresseurs et quatre femmes victimes se
sont rencontrés, chaque semaine.
« Pour moi, la justice réparatrice,
c'est un peu l'aboutissement... Des hommes disent :
Oui, je l'ai fait, de tel âge à
tel âge, à ma fille, et ce que j'ai
fait c'est... Je trouvais effrayantes les
descriptions, au départ, mais c'était
important. C'est comme si ça rentrait dans
le réel. »
« Quand
tu réalises l'impact que tu as eu sur leur
vie, c'est désastreux. J'étais l'agresseur.
Je l'ai fait. Je n'ai jamais réalisé
ça à ce point-là. Jamais. »
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Confronter
des agresseurs a permis aux quatre femmes de cesser de
se sentir victimes et responsables de ce qu'elles ont
subi.
Quant aux agresseurs,
l'approche réparatrice exige qu'ils reconnaissent
leur responsabilité. Un pas important vers la réhabilitation,
mais un pas que la majorité des délinquants
ne font pas facilement dans les cas de crimes graves.
Soutenir davantage les victimes
Une justice qui réhabilite
permet d'alléger le système et d'en réduire
les coûts. Pas étonnant que des initiatives
voient le jour dans toutes les provinces canadiennes,
sous l'il approbateur du service correctionnel.
Le danger, c'est qu'on les réduise à cet
outil de réhabilitation, qu'on oublie encore une
fois les victimes, leur besoin de réparation et
le risque qu'elles courent d'être « revictimisées »
par l'expérience.
Wilma
Derksen et René Durocher sont devenus une référence
au pays en matière de justice réparatrice.
Ils tentent de convaincre les gouvernements provincial
et fédéral de financer un projet pilote
et veulent unir leurs ressources pour mieux encadrer et
soutenir les victimes qui tentent une démarche
réparatrice.
Le face-à-face
détenus-victimes n'est pas une panacée.
Mais ces scènes d'adieu entre les participants
permettent de croire que c'est un modèle qui vaut
la peine d'être développé davantage
pour aider des victimes à réparer ce qui
semble parfois irréparable.