Les écoles secondaires
du secteur public sont mal-aimées. Le décrochage,
la drogue, la violence, le taxage... on leur accole absolument
tous les maux. Des préjugés? Pour le savoir,
Enjeux a enquêté dans 10 écoles
publiques de la province et réalisé 125 entrevues.
Résultats : les écoles secondaires publiques
du Québec se réveillent, diagnostiquent leurs
maladies et commencent à mettre en place des solutions.
Haut
taux d'échec scolaire, taux d'échec en français
de près de 50 %, sans compter la violence à
l'école. Tel était le sombre portrait de l'école
secondaire publique La Ruche de Magog, il y a cinq ans. Trente-cinq
pour cent de la clientèle scolaire était d'ailleurs
littéralement aspirée par les nombreuses écoles
privées de la région, tellement la réputation
de l'établissement était au plus bas. Autre situation
similaire, l'école secondaire Jacques-Rousseau, sur la
Rive-Sud, qui a souvent fait la manchette pour autre chose que
ses succès scolaires : taxage, suicide d'ados, etc.
À l'opposé, en exemple, le collège
privé Saint-Sacrement de Terrebonne, qui a été
classé quatrième au fameux palmarès du
magazine L'Actualité. Sa devise rappelle celles
des anciens collèges classiques : « Toujours
plus haut ». Discipline sévère,
succès académique, politesse et vouvoiement
obligatoire résument bien le credo de l'établissement.
Pour ce collège,
comme dans la plupart des collèges privés
du Québec, c'est la ruée vers l'or : on
refuse beaucoup plus d'élèves qu'on en
accepte. Non seulement on n'accepte que la crème
des étudiants, mais on peut se permettre de les
remercier en tout temps.
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Cela fait en sorte que l'école peut se vanter d'avoir
un taux de succès scolaire de 99,9 %, et 0 %
de décrochage. À force de se le faire répéter,
les élèves finissent par croire qu'ils sont
l'élite de demain, et même d'aujourd'hui.
La
nouvelle recette de l'école publique
Les écoles publiques
semblent avoir trouvé la recette pour attirer les enfants
et les garder sur les bancs d'école : il
suffit de leur donner ce qu'ils aiment et ce qu'ils veulent.
Bref, « l'école à la carte ».
En plein milieu rural, à
Saint-Marc-des-Carrières, des étudiants ont
des cours de pointe en infographie et en langues. La directrice,
Martine Talbot, a senti le besoin de faire un sondage auprès
de ses 500 adolescents pour savoir ce qu'ils voulaient comme
options. « Cours d'allemand, d'espagnol [...],
mais je vous dirais qu'on a à peu près tout
pris ce qui nous a été proposé! »
« Peut-être
qu'on est meilleurs que les écoles privées,
pour être capables de faire ce qu'on fait avec la diversité
qu'on a. Peut-être qu'on a des pédagogues vraiment
créatifs, imaginatifs, engagés, positifs, généreux,
pour être capables de faire ce qu'on fait. » - Claire
Desrosiers, directrice, école secondaire publique Cap-Jeunesse
Des cours de luxe,
qui pourraient apparaître extravagants ou trop
chers, ne sont plus réservés aux écoles
privées. Plus du quart des écoles secondaires
publiques au Québec offrent des programmes spéciaux.
Elles se sont carrément inspirées du privé.
Et souvent, elles le surpassent.
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La
Camaradière, dans la région de Québec,
s'est transformée en véritable école
de musique, avec une harmonie, un orchestre symphonique complet
et un ensemble de violons : La Cordée. Tous les
instruments sont fournis par l'école, moyennant une
contribution des parents de 400 $ par année.
Ici, les élèves
sont tellement performants que le tiers d'entre eux sont inscrits
dans une concentration ou des classes enrichies. C'est presque
dire que sur le plan académique, le tiers des élèves
aurait été qualifié pour aller au privé.
Qu'on le veuille
ou non, l'école, tout comme la société,
a changé. L'enfant-roi à la maison est
devenu l'enfant-client de son école, qui ne ménage
rien pour le séduire et satisfaire ses parents.
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Problèmes d'apprentissage
et de comportement : des solutions
L'école
publique, c'est l'école de tout le monde. Ils sont presque
400 000 élèves au secondaire, de toutes races
et religions. Mais l'école publique, c'est aussi l'école
des moins doués, des enfants avec des problèmes
d'apprentissage et de comportements. Ces enfants flirtent régulièrement
avec le décrochage. Le défi, c'est de les intéresser
malgré tout.
Par exemple, le programme « Défi-Stage »,
de l'école Jacques-Rousseau de Longueuil, est
destiné à des jeunes pour qui l'école
pèse trop lourd : deux jours à l'école,
trois jours en entreprise. À la fin de leur secondaire,
ces jeunes décrochent non pas un diplôme, mais
une attestation d'études.
À l'école La Ruche de Magog, on
a lancé « le menu à la carte »,
comme presque qu'aucune autre école
n'avait jusque-là osé le faire. Pour le directeur,
André Couture, l'important est de créer
des programmes dans lesquels ses 1250 élèves
pourront progresser :
« On
a fait en sorte de les inscrire dans des profils où
ils vivraient une réussite. Ce qui n'est pas opter
pour la facilité, mais pour la réalité! »
Drogue, violence et taxage
Parmi
tous les préjugés que les parents entretiennent
envers l'école publique, celui de la drogue est sûrement
le plus fort. Alors que certaines écoles ont un
policier à demeure, d'autres ont des surveillants spéciaux.
À l'école Nicolas
Gatineau, les élèves pris à récidiver
ou à faire le trafic de la drogue ont le choix : être
expulsés ou passer toute la période du midi
à faire du judo ou des exercices quasi militaires,
et ce pendant presque la moitié de l'année.
Autre lourd problème dans les écoles
secondaires : la réputation de violence et
le taxage. À l'école Cap-Jeunesse de Saint-Jérôme,
on a confié à des jeunes nommés « médiateurs
spéciaux » le soin de régler les
chicanes entre les jeunes. Les adultes interviennent seulement
si la situation dégénère.
La contre-attaque est amorcée
Après plus d'un mois passé dans les écoles
secondaires publiques, certains de nos préjugés
se sont estompés.
D'abord,
le décrochage est devenu un mot que les directions
ne prononcent plus. C'est l'absentéisme qui est devenu
l'ennemi numéro un. Un autre préjugé
que nous avons perdu en faisant notre enquête :
l'attitude des professeurs, de qui on dit souvent qu'ils
sont démotivés ou, pire, désabusés.
Une
chose est sûre : l'école secondaire
publique est d'abord considérée
par les jeunes comme un milieu de vie, où on rencontre
les amis et où on s'amuse. Ce sont d'ailleurs les activités
parascolaires qui attachent généralement
le jeune à son école.
La contre-attaque des
écoles publiques semble bel et bien commencée.
Mais l'école doit-elle ressembler à un magasin
à grande surface où le client-élève
trouve son compte, dans les moindres détails? En créant
« l'école à la carte »,
rogne-t-on sur la mission première de l'école,
qui est de promouvoir la réussite scolaire?
Journaliste :
Hélène Courchesne
Réalisatrice : Nicole Messier
C I T A T
I O N S
« On
attend tout de l'école, ce qui est le plus sûr
moyen de ne rien obtenir d'elle. »
- Jacques Chirac,
président de la République française
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« L'éducation
est au centre de toutes les stratégies de construction
de l'avenir. C'est un enjeu mondial, un des grands
défis du troisième millénaire. »
- Joël
de Rosnay, biologiste et cybernéticien
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Hyperliens
:: Projet
Debout les gars de l'École La Ruche de Magog
Reportage
de l'émission Aujourd'hui de Radio-Canada, 24 septembre
2003
:: Palmarès
des écoles secondaires - 2002, L'actualité
:: Étude
portant sur les perceptions des Québécois et
Québécoises à l'égard de l'école
publique
Enquête
Léger Marketing produite en septembre 2002
:: Magazine
Savoir, numéro spécial sur les écoles
publiques - en ligne
Fédération
des commissions scolaires du Québec
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