Nicolas a 19 ans. Même
si tout semblait le destiner au cégep, il a toujours
aimé cuisiner et a décidé d'en faire
son métier, malgré les sarcasmes de ses
amis. En moins de deux ans, après des études
professionnelles en cuisine, il est devenu aide-cuisinier
dans un chic restaurant de Joliette, en banlieue de Montréal.
Philippe,
lui, arpente les rues de la ville à la recherche
d'emplois intéressants et il refuse d'envisager,
pour l'instant, un retour au cégep.
Pour
sa part, Simon, 19 ans, sans aucun diplôme
en poche, continue à vivre d'espoir : « J'ai
quelques plans en tête, mais rien de très
précis. [...] Gagner ma vie en jouant de la musique,
me lever le matin, avoir à composer une "toune".
Ma job de la journée dans le fond ».
Julie,
elle, rêvait d'être journaliste. En principe,
elle aurait dû, en septembre dernier, commencer
l'université. Après deux ans au cégep
en sciences humaines, elle a décidé de se
réorienter en technique de génie mécanique :
« Au secondaire,
j'ai passé un test, c'est là [que l'orienteur]
m'a dit : en sciences humaines, tu devrais te trouver
quelque chose. Ça pointait vers journaliste, ou
écrivain. » Quant à l'orienteur
du cégep, il l'a plutôt dirigée vers
une technique.
Nicolas, Philippe, Simon
et Julie sont du même avis : la société
actuelle pousse beaucoup trop les jeunes à faire
des études collégiales :
« Ils
t'envoient au cégep pour que tu ailles à
l'université après. » - Philippe
« Et si jamais ça
ne fait pas ton affaire, tu vas voir l'orienteur. Mais
finalement, il y a peut-être seulement 20 %
des jeunes qui vont voir l'orienteur : les autres
s'en vont au cégep, sans se poser de questions. »
- Julie
Les jeunes continuent massivement
à se diriger vers le cégep à
la sortie du secondaire. Pourtant, les chiffres
démontrent que près de la moitié
des garçons vont abandonner en cours de
route.
Ces abandons à répétition
ont un coût social important : il en
coûte aux contribuables 120 000 $
pour mener un enfant du primaire jusqu'à
la fin du cégep. Un minimum qui ne tient
pas compte des changements d'orientation.
|
L'avenir appartient-il
aux métiers?
La cuisine, la boucherie
et la pâtisserie viennent en tête
de liste des métiers les plus prometteurs.
D'ici 2005, 600 000
emplois seront créés au Québec,
des métiers ne demandant, pour la plupart,
pas de formation universitaire, comme l'électricité,
la plomberie, ou l'ébénisterie,
sans parler de tous ces métiers de la santé
ou de l'environnement.
|
« À
mon époque, c'était une bonne idée
de viser l'université [...] car le Québec
manquait d'universitaires, de personnes occupant
des postes de direction, des postes professionnels.
Ce qui n'est vraiment plus le cas aujourd'hui :
les besoins se situent davantage au niveau des techniques
et de la fabrication. »
- Mario
Charette, conseiller en orientation |
La
main-d'uvre spécialisée est de plus
en plus difficile à trouver, forçant les
entreprises à organiser des foires de l'emploi.
Malgré toutes les possibilités qu'offrent
aujourd'hui les métiers, les jeunes continuent
de bouder la formation professionnelle. Pourquoi?
Au Québec, comme dans la majorité des pays
occidentaux, l'enseignement général menant
aux études supérieures continue d'être
perçu comme la seule voie de prestige.
Les préjugés
Mario Charrette est conseiller en orientation. Il
rencontre quotidiennement des jeunes totalement confus face
à leur avenir. Selon lui, les parents y sont pour
beaucoup dans le choix des jeunes d'étudier à
l'université.
Une opinion que partage aussi
Andrée Godin, conseillère à l'Académie
Antoine-Manseau de Joliette, une école privée.
Depuis l'année dernière, la direction tente
de sensibiliser davantage les élèves, mais
aussi les parents, aux nouvelles réalités
du monde du travail :
« Il y
a encore beaucoup de préjugés : "Il
faut que mon jeune aille à l'université"
[...] parce que les parents sont eux-mêmes des universitaires
ou parce qu'ils n'ont malheureusement pas eu la chance
d'aller à l'université. Il faut donc encore
se battre contre cette mentalité qui dit que, pour
réussir dans la vie, il faut aller à l'université,
sinon tu ne fais rien de bon. »
Une enquête du MEQ
révèle que plus d'un jeune sur deux,
au secondaire, croit que ses parents souhaitent
qu'il aille à l'université. Pourtant,
à peine un garçon sur cinq réussira
à y décrocher un diplôme.
|
La crainte de retourner étudier avec des plus jeunes
et l'image des métiers non rémunérateurs
expliquent aussi pourquoi les jeunes évitent plus
souvent qu'autrement de s'en informer :
« Lorsque tu t'en vas faire un DEP, tu t'en
vas avec la commission scolaire, donc tu retournes avec
des jeunes du secondaire. Est-ce qu'il n'y a pas là
une espèce de barrière psychologique chez
le jeune ? »
- Danielle Sansregret,
aide pédagogique à l'Académie Antoine-Manseau
Si, au départ, son choix
était loin de faire l'unanimité, Nicolas
se dit persuadé aujourd'hui d'avoir pris la bonne
décision. C'est d'ailleurs avec un brin de fierté
qu'il nous parle de son autonomie financière. De
plus, Nicolas songe à retourner aux études.
Dans le domaine de la cuisine, évidemment!