Des mois à attendre, à rêver,
à parler, à chanter au petit être
chéri. Puis, le cauchemar. L'impensable. L'enfant
qui avait déjà toute sa place au sein de
la famille est parti.
Chaque année, des
dizaines de milliers de femmes au Canada perdent
leur bébé avant terme; la plupart
au début, mais parfois aussi juste avant,
ou après la naissance. Au Québec
seulement, c'est arrivé presque 7000 fois
l'an dernier.
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Un départ qui n'est pas sans laisser de marques
profondes. Aux premiers instants, certains parents se
sentent même coupables.
« Je
me sentais un peu comme si j'avais donné
la mort, comme si je n'avais pas réussi à
le faire vivre. Je me sentais comme une criminelle. »
- Annie |
Des cicatrices profondes
Enjeux vous raconte
d'abord l'histoire de Thérésa, qui a perdu
sa deuxième fille à sept mois de grossesse.
Le jour de Noël de l'an 2000, les médecins
lui annoncent que le cur d'Ariane a cessé
de battre. Son conjoint explique à quel point il
lui a été difficile d'annoncer la nouvelle
à leur fille Catrine :
« J'essayais de trouver des
mots d'enfants pour détourner, pour ne pas employer
le mot "mort", qui est le mot tabou. Elle comprenait,
mais elle ne voulait pas comprendre. J'ai été
obligé de dire : "Elle est morte".
Et là, elle m'a dit : "Pas pour de vrai ?".
J'aurais tant aimé lui dire "Non, pas pour de
vrai ". »
- Denis
Thérésa se souvient de son
retour à la maison. Un souvenir douloureux et encore
difficile à accepter : « On est
revenus les bras vides. C'est un souvenir assez douloureux.
Une douleur physique, mais une douleur psychologique aussi :
tu as des montées de lait, tu reviens à la
maison et tu n'as pas de bébé avec toi
Le lit de bébé est là, tout était
prêt. Ça n'a vraiment pas été
facile de sentir un vide. » -
Thérésa
Question de prendre un peu de recul, Thérésa
et son conjoint ont choisi de se retirer quelque temps.
La peine qui les affligeait, mais qui pesait aussi sur leurs
proches, était très lourde à supporter.
Des couples se quittent, d'autres
se soudent ou s'accrochent aux enfants qui restent.
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Quant au conjoint de Thérésa, il a tout simplement
perdu la foi :
« Ce qui est
important, c'est ma famille. Ça, c'est mon dieu maintenant.
Quant à Ariane, c'est un ange. Elle nous protège.
À ça, j'y crois. Pas à Dieu. »
Une infirmière,
une approche unique
Chantal Verdon est infirmière en deuil périnatal.
Sa pratique est unique au Québec. En plus des nourrissons
dont elle s'occupe, elle consacre les trois-quarts de son
temps aux parents qui ont perdu leur bébé.
Elle suit le cheminement des parents en deuil durant plusieurs
mois, quelquefois des années. Elle se rend même
à domicile pour des visites individuelles.
« Le
deuil d'un bébé pendant la grossesse
ou après, ce n'est pas le deuil du passé,
comme le deuil d'un adulte c'est le deuil
de l'avenir, le deuil du futur et des projets qui
viennent avec. Ce n'est pas un deuil qui se règle
en très peu de temps, puisqu'on va peut-être
revivre une grossesse, accompagnée d'inquiétudes
et de stress. Et c'est justement à ce moment-là
qu'il faudra renégocier la perte qu'on a vécue.
»
- Chantal Verdon,
infirmière |
À
tous les mois, Chantal Verdon anime un groupe de soutien
pour les parents endeuillés de Laval. Une ressource
tellement rare qu'on y vient d'un peu partout dans la grande
région de Montréal. Ce soir, on parle des
souvenirs, ou plutôt de l'absence de souvenirs liés
au bébé disparu. Chaque pyjama, chaque document,
chaque mèche de cheveu prend ici toute son importance.
La tristesse
et la détresse prennent beaucoup de place ici, mais
pas toute la place. Bien des parents se sentent incompris
par un entourage qui veut consoler, mais qui souvent ne
trouve pas les mots.
Dans
les hôpitaux, on accorde de plus en plus un
traitement spécial aux parents de bébés
décédés. À la Cité
de la santé, on leur réserve des chambres
à l'écart. Sur la porte, un carton
avertit le personnel : « Attention,
parents en deuil ».
On insiste de
plus en plus sur l'importance de créer des
liens avec l'enfant qu'on ne connaîtra jamais.
Certains parents refusent; la plupart acceptent
éventuellement.
À la Cité
de la santé, les parents ont un accès
illimité à leur bébé.
Le corps est conservé sur l'étage
pour la durée de leur séjour.
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« On
devait te laisser là, avec ton beau petit pyjama
vert. Je t'aurais gardé dans les bras mon amour.
Je t'embrasse, je te fais le plus beau des câlins,
mon amour, fais-moi signe, et même si tu n'es pas
capable, je sais que tu es là, et je t'en remercie. »
Journaliste : Pasquale Turbide
Réalisateur : Yves Bernard