Tout le monde rêve d'une belle retraite. Une retraite
active ou reposante, au soleil ou à la campagne.
Ce que personne ne veut, par contre, c'est prendre sa
retraite trop vieux ou trop pauvre. La Bourse, c'est comme
un jeu, un jeu dédaigné par les Québécois
pendant longtemps, par prudence. Mais les temps changent
et aujourd'hui, un Québécois sur trois possède
des actions sous une forme ou une autre. C'est entre 45
et 54 ans qu'on joue le plus à la Bourse,
question de bonifier sa retraite ou de la devancer. Un
résultat souhaité qui ne se réalise
pas toujours.
« J'étais
sûr qu'un dirigeant d'entreprise, lorsqu'il faisait
un communiqué, [disait la vérité].
J'ai appris qu'un dirigeant peut dire ce qu'il veut à
ses actionnaires. »
Osmond Binette
espérait, il y a deux ans, pouvoir devancer l'âge
de sa retraite de dix ans en investissant ses épargnes
dans le marché boursier. Sa passion pour la Bourse
l'a même amené à gérer ses
fonds de retraite lui-même. Il choisit alors de
travailler la fin de semaine et de passer ses semaines
chez lui, à vendre et à acheter ses actions.
Avec des résultats spectaculaires, du moins au
début.
Au début de l'an 2000, c'est la surchauffe.
On s'arrache les titres technologiques au point où
la valeur boursière de ces entreprises n'a plus
rien à voir avec leur valeur réelle. Cette
frénésie d'achat touche aussi plusieurs
autres secteurs. Nous sommes au cur d'une bulle
boursière. Mais une bulle finit toujours par éclater.
Pour M. Binette, c'est la descente
aux enfers. Il essaie de réagir en se débarrassant
de ses petites actions pour acheter des titres réputés
infaillibles... comme Nortel. Erreur. Son REER passera
des six chiffres à quelques centaines de dollars.
« En
octobre 2000, mon portefeuille valait 150 606 $.
Dix mois plus tard, il était rendu à 87 406 $.
70 000 $ en dix mois
c'est cher du mois! »
À la mort soudaine de
son mari, Johanne Cérat hérite
d'environ 150 000 $. Ce n'est pas une fortune, mais
c'est suffisant pour assurer sa sécurité
financière et celle de son fils; et peut-être
aussi pour planifier une retraite à 55 ans. Sa
première idée était alors de placer
cet argent à la banque, dans une petite obligation
d'épargne et de le laisser dormir jusqu'au temps
convenable. Mais sa famille finit par la convaincre de
confier son argent à un courtier affilié
à une grande banque.
Le courtier lui propose d'investir massivement
dans des titres technologiques et, malgré ses réticences,
elle accepte. Les deux premiers mois, tout va bien, mais
par la suite, son portefeuille commence à descendre,
non pas à coup de milliers de dollars, mais à
coup de dizaine de milliers de dollars par mois.
À 43 ans, Johanne Cérat
doit repartir à zéro car la petite entreprise
qui l'emploie n'offre aucun fonds de pension à
ses employés, comme la plupart des PME. Si elle
arrive à se retirer à 55 ans, ce sera beaucoup
moins confortable que prévu.
D'après Pierre Champagne,
courtier chez Valeurs mobilières Desjardins,
« les clients ont une responsabilité
parce que c'est leur argent ». Plusieurs
clients ne prennent pas le temps de vérifier leur
état de compte et de consulter leur courtier. À
la Bourse, il faut rester à l'affût même
si l'argent est dans les mains d'un expert. « [Si
vous ne voulez pas suivre vos titres], investissez seulement
dans des placements totalement sûrs. Vous n'aurez
pas à vous en occuper et quand vous allez voir
la Bourse chuter, vous allez pouvoir continuer à
dormir », nous prévient Michel
Girard, chroniqueur financier pour le quotidien La
Presse.
Courtiers :
crise de confiance
Les courtiers en valeurs mobilières
font l'objet d'une véritable crise de confiance
et les poursuites contre eux se multiplient. Une
des plus importantes, déposée cet
été, implique la Financière
Banque nationale et un de ses courtiers. Leur client,
Lionel Fremeth, allègue avoir perdu près
de 3,5 millions de dollars en moins de deux
ans, les deux tiers de son portefeuille de placement.
Cette
histoire débute à Sainte-Sophie, dans
les Laurentides. Lionel Fremeth
a passé sa vie dans les poulaillers et les
porcheries qui appartiennent à la famille
de son épouse. À
la vente de l'entreprise, cet homme qui n'a pas
fini son secondaire se retrouve avec 5 millions
de dollars à investir. Son comptable lui
recommande Bertrand Trudel, un conseiller financier
bien connu à Joliette et qui est aussi vice-président
de la Financière Banque nationale. Lors de
leur première rencontre, M. Fremeth
explique à son futur courtier qu'il ne connaît
rien à la Bourse, son épouse et lui
veulent avant tout des placements conservateurs
et sécuritaires. Mais son courtier l'assure
que d'investir à la Bourse est plus profitable.
Son courtier lui fait ouvrir des comptes
sur marge, ce qui lui permet d'emprunter pour acheter
encore plus d'actions. En moyenne, les portefeuilles
contiennent 91 % de placements risqués,
avec une forte proportion de titres technologiques.
Une stratégie pour le moins surprenante pour
des clients à la retraite et dans la soixantaine.
Lorsque Lionel Fremeth décide
de fermer ses comptes, en 2002, son portefeuille
de placement est en lambeaux. Il ne lui reste alors
que 1,5 million de dollars sur un peu plus
de 5 millions de dollars qui avaient été
investis. |
« C'est
comme une loterie, on ne peut pas prévoir. On espère
gagner le gros lot, mais ça reste un jeu. »
Jacques Houpert a tout
d'un retraité idéal. Ancien patron d'une
grande entreprise, 59 ans, il se repose dans une
grande maison près d'un lac dans les Cantons-de-l'Est.
Mais il lui manque un ingrédient essentiel à
son bonheur : son épouse.
Sa femme, Diane Favreault, travaille au centre-ville
et chaque soir, elle retourne à Rosemont dans son
petit appartement. Une séparation qui ne devait
durer que deux ou trois ans, le temps pour Diane de bonifier
son régime de retraite. En 1996, ils avaient préparé
un plan de retraite avec un portefeuille équilibré : un
peu d'actions, le reste en fonds communs de placement
et en obligations. Mais la prévision de croissance
de 7 % qu'ils espéraient n'aura pas dépassé
les 2,5 %. Une différence qui se résume
en quelques centaines de milliers de dollars.
Naturellement, ils auraient pu placer
cet argent plus prudemment, à la banque par exemple.
Mais pour qu'un retraité puisse maintenir son train
de vie, ses épargnes doivent générer
environ 70 % de son ancien revenu. Avec des taux
d'intérêt très bas, les plus bas depuis
40 ans, Diane Favreault et Jacques Houpert estiment
qu'ils n'avaient pas le choix d'investir à la Bourse.
Un raisonnement que Pierre Champagne confirme. « Ils
n'ont pas le choix parce que les rendements "sans
risque" ont diminué de façon énorme!
Du 4 ou 5 % de rendement, ce n'est pas assez
pour procurer une qualité de vie. Alors qu'est-ce
qui reste, [ils sont] obligés de prendre un risque. »
Aujourd'hui, alors que le creux de
la vague boursière a probablement été
atteint, c'est le temps des bilans. Pour certains, comme
Johanne Cérat, la blessure est profonde : «
Le bas de laine de la banque était bien correct.
Je n'aurais pas fait d'argent, mais je n'en aurais pas
perdu! ». Alors que pour d'autres, comme Osmond
Binette, malgré l'amertume, la passion pour la
Bourse demeure. « J'ai hâte que le marché
reprenne [pour] rembarquer [dedans]. »
Journaliste : Pasquale
Turbide
Réalisateur : Pier Gagné