Pendant
20 ans, tous les experts semblaient convaincus
que le Québec ne possédait pas de
gisements substantiels de gaz ou de pétrole.
Pourtant, depuis un an, les milieux écologistes
se soulèvent contre un projet de prospection
sous-marine des hydrocarbures. Selon eux, cette
prospection menacerait les baleines du Saint-Laurent.
Un dossier qui soulève plusieurs questions.
D'abord, pourquoi s'imagine-t-on maintenant qu'on
va trouver du gaz et du pétrole sous le
fleuve? Pourquoi nos rorquals bleus, les plus
grosses baleines du monde, seraient-ils en péril?
Et s'il y a vraiment du pétrole chez nous,
devrions-nous en faire notre deuil pour préserver
les baleines?
Depuis un siècle, on a cherché
du pétrole au Québec sans jamais trouver
de gisement important. Après l'échec de
la dernière campagne de prospection, dans les
années 80, le Québec en avait fait son
deuil : il n'y avait pas de gisements majeurs chez nous.
Puis, coup de théâtre! Il y a deux mois,
un géologue de l'Université Laval a annoncé
qu'un important gisement de gaz naturel ou de pétrole
avait peut-être été découvert.
À quoi attribuer ce changement de ton?
La
réponse se trouve du côté de la
division Pétrole et Gaz d'Hydro-Québec.
L'été dernier, la société
d'État a fait 350 kilomètres de prospection
sismique dans les grandes forêts qui recouvrent
l'île d'Anticosti, au beau milieu du golfe Saint-Laurent.
Selon les résultats de cette prospection, divulgués
à la fin novembre, on aurait trouvé dans
le sous-sol d'Anticosti de grosses structures très
poreuses, apparemment remplies de liquide. « Ces
structures seraient identiques à celles d'un
autre gisement récemment découvert près
de Chicago : le gisement Albion-Scipio. Or, ce gisement
dans l'État du Michigan est une découverte
de classe mondiale, puisqu'on parle de 130 millions
de barils de pétrole et au-delà de 200
millions de pieds cubes de gaz naturel »,
explique Claude Morin, géologue pétrolier
senior pour Hydro-Québec, division Pétrole
et gaz. En un sens, il est naturel de trouver des structures
semblables à Anticosti : Albion Scipio appartient
à la même formation géologique qui
part des champs pétroliers du Texas et qui s'entend
sous le golfe du Saint-Laurent jusqu'à Terre-Neuve.
Par
ailleurs, la découverte d'Albion-Scipio a provoqué
une véritable révolution dans la prospection
pétrolière. Auparavant, on cherchait toujours
de grandes structures poreuses en forme de cloche, où
le gaz et le pétrole pouvaient s'accumuler sous
une couche imperméable. Or, dans les gisements
Albion-Scipio, le phénomène est différent
: on avait au départ du calcaire traversé
par des fissures où de l'eau acide s'est infiltrée.
Retenue sous la couche imperméable, l'eau a peu
à peu dissous le calcaire et provoqué
un affaissement de la couche supérieure. Le calcaire,
devenu poreux comme de la craie, s'est imbibé
d'hydrocarbures. À Anticosti, plutôt que
de chercher des structures en forme de cloche, on a
donc cherché des affaissements. Et on en a trouvé!
Aujourd'hui, on réexamine la vallée du
Saint-Laurent avec un regard neuf, et c'est ce qui a
relancé l'activité pétrolière.
En Gaspésie, à son gisement
de Galt, la compagnie Junex possède une production
commerciale de gaz naturel. Elle vient même d'y
forer un deuxième puits pour augmenter sa production.
On a aussi trouvé un peu de pétrole à
Galt, un pétrole tellement fin qu'il peut faire
tourner un moteur diesel sans aucun raffinage!
Toujours
en Gaspésie, on voit depuis deux ans de curieuses
caravanes sur les chemins forestiers : des camions de
prospection sismique. Les prospecteurs déposent
une longue rangée de microphones le long du chemin.
Puis, à tous les cinq mètres, les camions
laissent descendre une grosse plaque, qu'ils appuient
avec force sur la route. Ensuite, à l'unisson,
ils émettent une puissante vibration. Le bruit
se propage dans le sol et se réfléchit
sur chacune des strates géologiques. Chaque structure
provoque un écho différent. Captée
par les microphones, la réflexion sonore est
décodée par ordinateur et elle fournit
une image du sous-sol. Bref, ça procède
du même principe qu'une échographie.
On a procédé de la même
façon sur la rive sud du Saint-Laurent, entre
Montréal et Québec, et les résultats
se multiplient. Dès l'été prochain,
on devrait entamer des forages à Bécancour,
en face de Trois-Rivières. À plus long
terme, l'avenir de la prospection pétrolière
se jouera aussi sous le fleuve. En effet, il recouvre
la majeure partie de la zone propice aux hydrocarbures.
Une zone qui se prolonge au-delà d'Anticosti,
jusqu'à Terre-Neuve. En ce moment, plusieurs
spécialistes estiment que la zone maritime est
beaucoup plus prometteuse que les régions terrestres.
Déjà, au large des Îles-de-la-Madeleine,
la compagnie Corridor Ressources a identifié
deux gros gisements de gaz naturel : Old Harry et Cape
Ray. Elle prévoit y faire un premier forage au
printemps. On relierait ensuite les gisements par gazoduc
sous-marin, jusqu'à une usine de gaz à
la pointe nord des Îles-de-la-Madeleine et, de
là, jusqu'au continent.
Tout cela donne confiance à Hydro-Québec,
qui veut poursuivre sa prospection vers l'ouest, vers
Anticosti et la Gaspésie. Et c'est ce que contestent
les écologistes.