Tente hypoxique et EPO
Le
11 octobre dernier, la Québécoise Geneviève
Jeanson était exclue des championnats mondiaux
de cyclisme en raison d'un taux de globules rouges trop
élevé. Trois semaines plus tard, un orthopédiste
montréalais, le docteur Maurice Duquette, plaidait
coupable devant le Collège des médecins
pour avoir prescrit de manière inappropriée
de l'EPO de synthèse, un médicament utilisé
par certains athlètes pour améliorer leurs
performances.
|
Journaliste
: Jean-Pierre Rogel
Réalisateur : Pierre Tonietto |
|
|
|
Écoutez l'émission
Place
publique au sujet de l'EPO avec Madeleine Roy
et son invité, Jean-Pierre Rogel, journaliste
à Découverte et co-auteur de
ce reportage. |
Geneviève Jeanson a admis avoir
été une patiente du Dr Duquette, mais
elle clame son innocence, affirmant n'avoir jamais pris
d'EPO. La jeune femme attribue son taux élevé
de globules rouges à une méthode d'entraînement
autorisée, la tente hypoxique. Mais quels sont
véritablement les effets de la tente hypoxique
et peut-on les distinguer de ceux de l'EPO?
Les athlètes s'entraînent
tous pour monter sur le podium. Leur but : gagner. Pour
augmenter les chances de victoire, plusieurs moyens
s'offrent à eux dont certains sont permis et
d'autres non. La tente hypoxique est un de ces moyens.
Il s'agit d'une tente à peu près normale,
reliée à un compresseur. Cette installation
sert à diminuer à l'intérieur de
la tente, la concentration d'oxygène dans l'air.
Un tel système crée le même effet
que de respirer en altitude. Il survient alors un phénomène
d'adaptation : l'organisme compense le manque d'oxygène
en produisant plus de globules rouges. Or, ceux-ci sont
les transporteurs de l'oxygène aux muscles.
L'équation
est simple : plus de globules rouges apportent plus
de puissance et de résistance à l'effort.
Pour un athlète de haut niveau, la tente hypoxique
est un moyen parfaitement légal d'améliorer
ses performances. Nombreux sont les champions qui y
recourent. L'Américain Lance Armstrong, cinq
fois vainqueur du Tour de France, en est un adepte.
Le patineur canadien, Jeremy Wotherspoon, aussi. La
cycliste, Geneviève Jeanson, reconnaît
utiliser une tente hypoxique 300 jours par année,
et ce, depuis 1998.
Selon des études scientifiques,
pour ressentir les premiers effets positifs de la tente
hypoxique, il faut y passer huit heures par jour pendant
un minimum de quatre semaines. Le plus simple est donc
d'y dormir. Une des conséquences physiologiques
d'une telle utilisation, est l'augmentation de ce qu'on
appelle l'hématocrite, c'est-à-dire le
volume occupé par les globules rouges dans le
sang.
Le taux moyen d'hématocrite d'un
adulte en santé varie entre 40 et 44%. Les athlètes
d'élite, vu l'intensité de leur entraînement,
peuvent faire grimper ce taux de 2 ou 3 %. En vivant
en altitude ou en utilisant une tente hypoxique, ils
peuvent encore améliorer ce taux de quelques
points de pourcentage. Mais aucune étude scientifique
ne permet de préciser ce pourcentage supplémentaire.
Mais il y a certainement des limites à ne pas
franchir. Plus l'hématocrite s'élève,
plus le sang s'épaissit et les risques de thrombose
ou d'accident cardiovasculaire augmentent rapidement.
En clair, on peut mourir d'un trop haut taux d'hématocrite.
C'est donc pour des raisons de santé
qu'on interdit à des athlètes ayant un
hématocrite trop élevé de prendre
part à des compétitions. Pour les femmes,
la limite est de 47% et de 50% pour les hommes. Un dépassement
de la limite chez un athlète peut être
dû à un entraînement en tente hypoxique
ou à un dopage du sang par une méthode
interdite. Mais en soi, le fait que Geneviève
Jeanson ait dépassé la limite autorisée
ne prouve absolument pas qu'elle ait eu recours à
une méthode interdite.
La difficulté réside dans
l'identification de la source de l'augmentation de l'hématocrite.
Outre la méthode autorisée de la tente
hypoxique, il en existe d'autres qui permettent d'arriver
aux mêmes effets, mais qui sont interdites, notamment
le dopage sanguin par transfusion partielle d'une partie
de son propre sang. Il existe aussi des médicaments
stimulant la production de globules rouges, le plus
connu étant l'érythropoïétine
de synthèse ou EPO.
L'érythropoïétine
ou EPO est une hormone, une substance naturellement
produite par les reins, qui circule dans le système
sanguin. Parvenue dans les os longs, l'EPO stimule la
moelle osseuse pour qu'elle produise des globules rouges.
Il y a 20 ans, on a réussi
à synthétiser l'érythropoïétine.
En laboratoire, on a produit une molécule complètement
identique à celle produite par les reins. Commercialisée
sous le nom d'Eprex, c'est un médicament miracle.
Pour les patients atteints d'anémie très
sévère, comme certains malades du rein,
l'Eprex a été un soulagement, un véritable
coup de fouet qui fait remonter leur taux de globules
rouges et les sort de l'anémie.
Pour les athlètes de haut niveau,
l'Eprex est la tentation du diable. Détourné
de son but premier, ce produit dopant efficace circule
sous le manteau dans le milieu des sports de compétition.
Au début des années 90, une première
série de morts mystérieuses parmi les
cyclistes hollandais avait sonné l'alarme. Johannes
Drajier, notamment, était mort dans son sommeil,
d'un arrêt cardiaque inexpliqué. Sa veuve
avait trouvé des fioles d'EPO dans ses valises.
Pendant le Tour de France de 1998, un
scandale à l'EPO avait aussi éclaté.
Une vingtaine de cyclistes, ainsi que des entraîneurs
et des médecins, ont reconnu avoir utilisé
ce produit dopant.
Dans
le cas de l'EPO, les contrôles antidopage habituels,
comme ceux qui se font dans ce laboratoire de l'INR-Santé
à Montréal, par exemple, ont des limites.
L'érythropoïétine de synthèse
n'est pas indétectable dans l'urine, mais elle
disparaît très rapidement de l'organisme.
Au bout de quelques jours après une injection,
on n'en voit plus la trace, alors que les effets dopants,
eux, durent plusieurs semaines. Les tricheurs connaissent
bien ces limites. Si bien que dans la pratique, il n'y
a guère que les tests à l'improviste,
hors compétition, qui arrivent à les attraper.
Heureusement, les grandes fédérations
sportives ont récemment mis sur pied des programmes
de dépistage à l'improviste. Autre point
positif : pour la première fois, aux Jeux olympiques
d'Athènes, tous les athlètes des sports
d'endurance subiront des tests d'EPO, des tests sanguins
ainsi que des tests d'urine. Mais cela n'empêchera
sans doute pas des cas litigieux de se poser, comme
par le passé.
Quant au mystère du taux
d'hématocrite élevé de Geneviève
Jeanson, dont la valeur réelle n'a d'ailleurs
jamais été révélée
jusqu'à maintenant, dans l'état actuel
des choses, la science ne peut trancher la question.
Pour en savoir plus :
Les
archives de Radio-Canada
Dopage : l'obsession de la performance
Protéine
à la une
Pour en savoir plus sur l'érythropoïétine
Guide
des médicaments
Article sur l'utilisation médicinale de l'érythropoïétine
(EPO), connue aussi sous le nom d'Eprex
Site
de l'association Positifs, qui lutte contre le sida
en France
Article sur l'utilisation de l'EPO, notamment dans le
traitement du sida
|