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REPORTAGE  —  30 novembre 2003

 
Tente hypoxique et EPO

Le 11 octobre dernier, la Québécoise Geneviève Jeanson était exclue des championnats mondiaux de cyclisme en raison d'un taux de globules rouges trop élevé. Trois semaines plus tard, un orthopédiste montréalais, le docteur Maurice Duquette, plaidait coupable devant le Collège des médecins pour avoir prescrit de manière inappropriée de l'EPO de synthèse, un médicament utilisé par certains athlètes pour améliorer leurs performances.

Journaliste : Jean-Pierre Rogel
Réalisateur : Pierre Tonietto
 
Écoutez l'émission Place publique au sujet de l'EPO avec Madeleine Roy et son invité, Jean-Pierre Rogel, journaliste à Découverte et co-auteur de ce reportage.

Geneviève Jeanson a admis avoir été une patiente du Dr Duquette, mais elle clame son innocence, affirmant n'avoir jamais pris d'EPO. La jeune femme attribue son taux élevé de globules rouges à une méthode d'entraînement autorisée, la tente hypoxique. Mais quels sont véritablement les effets de la tente hypoxique et peut-on les distinguer de ceux de l'EPO?

Les athlètes s'entraînent tous pour monter sur le podium. Leur but : gagner. Pour augmenter les chances de victoire, plusieurs moyens s'offrent à eux dont certains sont permis et d'autres non. La tente hypoxique est un de ces moyens. Il s'agit d'une tente à peu près normale, reliée à un compresseur. Cette installation sert à diminuer à l'intérieur de la tente, la concentration d'oxygène dans l'air. Un tel système crée le même effet que de respirer en altitude. Il survient alors un phénomène d'adaptation : l'organisme compense le manque d'oxygène en produisant plus de globules rouges. Or, ceux-ci sont les transporteurs de l'oxygène aux muscles.
L'équation est simple : plus de globules rouges apportent plus de puissance et de résistance à l'effort. Pour un athlète de haut niveau, la tente hypoxique est un moyen parfaitement légal d'améliorer ses performances. Nombreux sont les champions qui y recourent. L'Américain Lance Armstrong, cinq fois vainqueur du Tour de France, en est un adepte. Le patineur canadien, Jeremy Wotherspoon, aussi. La cycliste, Geneviève Jeanson, reconnaît utiliser une tente hypoxique 300 jours par année, et ce, depuis 1998.

Selon des études scientifiques, pour ressentir les premiers effets positifs de la tente hypoxique, il faut y passer huit heures par jour pendant un minimum de quatre semaines. Le plus simple est donc d'y dormir. Une des conséquences physiologiques d'une telle utilisation, est l'augmentation de ce qu'on appelle l'hématocrite, c'est-à-dire le volume occupé par les globules rouges dans le sang.

Le taux moyen d'hématocrite d'un adulte en santé varie entre 40 et 44%. Les athlètes d'élite, vu l'intensité de leur entraînement, peuvent faire grimper ce taux de 2 ou 3 %. En vivant en altitude ou en utilisant une tente hypoxique, ils peuvent encore améliorer ce taux de quelques points de pourcentage. Mais aucune étude scientifique ne permet de préciser ce pourcentage supplémentaire. Mais il y a certainement des limites à ne pas franchir. Plus l'hématocrite s'élève, plus le sang s'épaissit et les risques de thrombose ou d'accident cardiovasculaire augmentent rapidement. En clair, on peut mourir d'un trop haut taux d'hématocrite.

C'est donc pour des raisons de santé qu'on interdit à des athlètes ayant un hématocrite trop élevé de prendre part à des compétitions. Pour les femmes, la limite est de 47% et de 50% pour les hommes. Un dépassement de la limite chez un athlète peut être dû à un entraînement en tente hypoxique ou à un dopage du sang par une méthode interdite. Mais en soi, le fait que Geneviève Jeanson ait dépassé la limite autorisée ne prouve absolument pas qu'elle ait eu recours à une méthode interdite.

La difficulté réside dans l'identification de la source de l'augmentation de l'hématocrite. Outre la méthode autorisée de la tente hypoxique, il en existe d'autres qui permettent d'arriver aux mêmes effets, mais qui sont interdites, notamment le dopage sanguin par transfusion partielle d'une partie de son propre sang. Il existe aussi des médicaments stimulant la production de globules rouges, le plus connu étant l'érythropoïétine de synthèse ou EPO.

L'érythropoïétine ou EPO est une hormone, une substance naturellement produite par les reins, qui circule dans le système sanguin. Parvenue dans les os longs, l'EPO stimule la moelle osseuse pour qu'elle produise des globules rouges.

Il y a 20 ans, on a réussi à synthétiser l'érythropoïétine. En laboratoire, on a produit une molécule complètement identique à celle produite par les reins. Commercialisée sous le nom d'Eprex, c'est un médicament miracle. Pour les patients atteints d'anémie très sévère, comme certains malades du rein, l'Eprex a été un soulagement, un véritable coup de fouet qui fait remonter leur taux de globules rouges et les sort de l'anémie.

Pour les athlètes de haut niveau, l'Eprex est la tentation du diable. Détourné de son but premier, ce produit dopant efficace circule sous le manteau dans le milieu des sports de compétition. Au début des années 90, une première série de morts mystérieuses parmi les cyclistes hollandais avait sonné l'alarme. Johannes Drajier, notamment, était mort dans son sommeil, d'un arrêt cardiaque inexpliqué. Sa veuve avait trouvé des fioles d'EPO dans ses valises.

Pendant le Tour de France de 1998, un scandale à l'EPO avait aussi éclaté. Une vingtaine de cyclistes, ainsi que des entraîneurs et des médecins, ont reconnu avoir utilisé ce produit dopant.

Dans le cas de l'EPO, les contrôles antidopage habituels, comme ceux qui se font dans ce laboratoire de l'INR-Santé à Montréal, par exemple, ont des limites. L'érythropoïétine de synthèse n'est pas indétectable dans l'urine, mais elle disparaît très rapidement de l'organisme. Au bout de quelques jours après une injection, on n'en voit plus la trace, alors que les effets dopants, eux, durent plusieurs semaines. Les tricheurs connaissent bien ces limites. Si bien que dans la pratique, il n'y a guère que les tests à l'improviste, hors compétition, qui arrivent à les attraper.

Heureusement, les grandes fédérations sportives ont récemment mis sur pied des programmes de dépistage à l'improviste. Autre point positif : pour la première fois, aux Jeux olympiques d'Athènes, tous les athlètes des sports d'endurance subiront des tests d'EPO, des tests sanguins ainsi que des tests d'urine. Mais cela n'empêchera sans doute pas des cas litigieux de se poser, comme par le passé.

Quant au mystère du taux d'hématocrite élevé de Geneviève Jeanson, dont la valeur réelle n'a d'ailleurs jamais été révélée jusqu'à maintenant, dans l'état actuel des choses, la science ne peut trancher la question.

 

Pour en savoir plus :

Les archives de Radio-Canada


Dopage : l'obsession de la performance

Protéine à la une
Pour en savoir plus sur l'érythropoïétine

Guide des médicaments
Article sur l'utilisation médicinale de l'érythropoïétine (EPO), connue aussi sous le nom d'Eprex

Site de l'association Positifs, qui lutte contre le sida en France
Article sur l'utilisation de l'EPO, notamment dans le traitement du sida

 


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