Le 3 mars 2002

Le clonage de porcelets et la xénogreffe


En janvier, deux compagnies rivales ont annoncé la naissance de porcelets par clonage. Des cochonnets bien spéciaux puisque les scientifiques ont modifié leur ADN et ont réussi, pour la première fois, à mettre un gène hors circuit. Et puisque ce gène ne fonctionne plus, les organes porcins pourraient maintenant se prêter aux greffes chez l'humain.

En médecine, il manque dramatiquement d'organes pour les greffes. Seulement aux États-Unis et au Canada, plus de 80 000 personnes attendent une greffe. Et avec le vieillissement de la population, le problème va s'aggraver. De plus en plus de gens vont mourir faute d'organes de remplacement. C'est pourquoi les scientifiques se sont tournés vers d'autres espèces animales pour fournir les précieux organes. On parle alors de «xénogreffe».

De toutes les espèces, les scientifiques ont choisi le porc puisqu'il comporte plusieurs avantages. D'abord, on connaît bien cette espèce. On l'élève depuis très longtemps. Seulement au Québec, on en produit plus de 7 millions par année… on ne risque pas d'en manquer! Le porc est aussi un animal qui grossit rapidement et atteint sa maturité sexuelle à six mois. Leurs portées sont nombreuses, et enfin, leurs organes ont une taille humaine. Bref, le porc a tout ce qu'il faut pour devenir le meilleur ami de l'homme.

Mais il y a un gros problème. Avec la xénogreffe, on saute la barrière des espèces et le corps humain n'est pas dupe : il se rend facilement compte que le greffon vient d'une autre espèce et il le rejette violemment.

Chez le porc, le gène GGTA1, est responsable de la présence d'une molécule de sucre à la surface des cellules. En fait, tous les mammifères possèdent cette molécule distinctive, sauf le singe et l'homme. Lors d'une greffe, le système immunitaire humain reconnaît cette molécule comme étrangère et l'attaque brutalement. C'est ce qu'on appelle le rejet «hyperaigu». En moins de trente minutes, l'organe est détruit.

Pour éviter ce rejet, les chercheurs ont longtemps essayé de masquer cette molécule porcine avec des molécules humaines. Pour cela, ils ont créé des cochons transgéniques. Ils ont injecté un gène humain dans un ovule fécondé porcin. Les porcs ainsi produits possédaient à la surface de leurs cellules des molécules humaines qui masquaient les molécules porcines. Mais, lors d'une greffe, le système immunitaire humain risquait de découvrir tôt ou tard la supercherie… Il fallait trouver mieux.

C'est ce qu'ont réussi les deux équipes de chercheurs. Par des techniques très fines, ils ont introduit dans des cellules de porcs des morceaux d'ADN inactif fait spécialement pour prendre la place du gène coupable du rejet hyperaigu. Puis, avec ces cellules bricolées sur mesure, ils ont procédé par clonage. Ils ont inséré les cellules trafiquées dans des ovules sans noyau. C'est ainsi que sont nés les porcelets dont une copie du gène est désactivée.

Mais même avec des porcs «knock-out» dont les organes ne provoquent pas de rejet, la partie n'est pas gagnée. Il restera à contrer tous les autres types de rejets. Et surtout, il faudra régler le délicat problème des virus porcins qui se cachent dans les cellules. Actuellement, même si ces virus n'attaquent pas l'homme, ils sont la cause d'une grande peur. On craint, en effet, qu'une fois à l'intérieur d'un organisme humain, ces virus porcins se recombinent avec des virus humains et qu'ils se transforment en un nouveau virus très dangereux, aussi terrifiant que celui du sida.

Pour sauver des milliers d'humains en attente d'une greffe, pouvons-nous risquer de créer des virus qui en tueront des millions? C'est le scénario catastrophe qui explique pourquoi bien des scientifiques se questionnent sur la poursuite des recherches sur les xénogreffes et pourquoi beaucoup de pays comme le Canada interdisent pour le moment les xénogreffes chez l'humain.

Journaliste : Claude D'Astous
Réalisatrice : Hélène Naud
Adaptation pour Internet : Caroline Paulhus

 

Hyperliens

Les deux équipes qui ont cloné les porcelets «knock-out» :

WORLD’S FIRST ANNOUNCEMENT OF CLONED ‘KNOCK-OUT’ PIGS
Communiqué de presse de PPL Therapeutics

U.S. RESEARCHERS SUCCESSFULLY CLONE FIRST KNOCKOUT MINIATURE SWINE
Communiqué de presse de l'Université du Missouri

Quelques références sur la xénotransplantation :

Consultation publique sur la xénotransplantation
Association canadienne de santé publique

Scénario de discussion : xénotransplantation
Industrie Canada

Proposition d'une norme canadienne pour la xénotransplantation
Santé Canada