Le 10 mars 2002


La téléchirurgie



Strasbourg...

À Strasbourg, au nord de la France, une équipe médicale se prépare à réaliser une ablation de la vésicule biliaire. Une salle d'opération classique, de l'équipement de laparoscopie, tout semble parfaitement normal. La seule différence? Le chirurgien principal restera les deux bras croisés durant toute l'opération!

Le véritable responsable se trouve de l'autre côté de l'Atlantique, à New York, au centre hospitalier Mount Sinai. C'est le Dr Jacques Marescaux, l'un des grands spécialistes de la téléchirurgie. Dans quelques instants, il entreprendra une première mondiale...


Baptisé «Opération Lindbergh», l'intervention consiste à opérer une patiente qui se trouve à 7 500 km de distance de son médecin...


Entre les deux, il y a ce robot, une petite merveille de technologie, ainsi qu'une armée de techniciens et d'ingénieurs pour les épauler.




 




New York...



« J'étais extrêmement énervé. On savait qu'il y avait plus de 60 personnes qui étaient en train de s'occuper (...) pour que tout se passe bien. On s'est dit : c'est sûr qu'au dernier moment, il va se produire ce qu'on n'avait pas prévu depuis trois ans et ça sera un «flop». Mais au moment où je suis rentré dans cette grande salle (...) alors tout d'un coup, ça a été un calme absolu...»

-
le Dr Jacques Marescaux.



IRCAD : Le plus important centre de téléchirurgie au monde

L'IRCAD est le plus important centre de formation en téléchirurgie au monde. C'est Jacques Marescaux qui l'a mis sur pied en 1994. Jusqu'à ce jour, des milliers de médecins ont été formés aux plus récentes techniques en chirurgie robotisée. On y travaille également sur des programmes de réalité virtuelle très développés, permettant de s'entraîner sur une copie parfaite des organes d'un patient avant même que l'opération n'ait lieu... En quelques années seulement, cette jeune discipline a franchi des bonds de géant!



La première révolution...


On a assisté d'abord à une première révolution au cours des années quatre vingt avec l'arrivée de la laparoscopie. Grâce à ces longs instruments et à une caméra miniature, on peut désormais réduire de beaucoup les traumatismes post-opératoires et la période de convalescence d'un patient. Puis, c'est le mariage de la laparoscopie et de l'ordinateur...




La deuxième révolution...


« La deuxième révolution, c'est ce concept de chirurgie assistée par ordinateur ( …) Tout d'un coup, on s'apercevait qu'on opérait avec une caméra et puis seulement deux instruments qui remplaçaient la main gauche et la main droite et qu'on était dans une position très peu ergonomique et qu'il y avait sûrement des efforts à faire pour la sécurité du geste et une grande qualité du geste chirurgical. D'où est née la notion de chirurgie assistée par ordinateur, c'est-à-dire donner au chirurgien une intelligence amplifiée qui allait permettre de sécuriser et d'améliorer son geste chirurgical », - explique le
Dr Marescaux.


La troisième révolution...

« Vous voyez qu'entre les gestes du chirurgien, l'analyse de l'ordinateur et l'effecteur, il y a deux mètres, trois mètres qu'il y a cette distanciation. Et c'est parce qu'il y avait ce concept de distanciation qu'on s'est dit qu'on pouvait le faire avec des milliers de kilomètres. Et c'est là qu'est né le concept de l'opération Lindbergh, de faire le même geste en transatlantique...», précise le
Dr Marescaux.


L'utilisateur contrôle la pince et le scalpel à l'aide de commandes manuelles...

La vitesse d'exécution est réglée par cette pédale qui agit comme l'accélérateur d'une automobile...

La caméra miniature répond au son de la voix...

Et l'ordinateur fait tout le reste!




Un obstacle de taille : le décalage...

En septembre 2000, l'équipe du Dr Marescaux avait procédé à un essai simulé sur animal, un cochon. Cette chirurgie transatlantique unissait les villes de Strasbourg et de Paris:
«Avec ces 1 000 kilomètres, on s'est aperçu qu'il y avait une digitalisation de l'image, que le délai était trop important : on a mis plus de cinq heures pour faire ce geste d'ablation de la vésicule, alors que normalement, cela nécessite entre 20 et 30 minutes», - précise le Dr Marescaux.



On comprend alors que c'est la transmission de l'information à longue distance qui pose des difficultés. Le son et l'image se rendent trop lentement d'une ville à l'autre.



Entre New York et Strasbourg, le décalage est très important : il faut environ 400 millièmes de secondes pour que l'ordinateur transforme en mode numérique les commandes du chirurgien et les images en provenance de la salle d'opération! Et il faut ajouter à cela 80 millièmes de secondes pour leur faire traverser l'Atlantique à la vitesse de la lumière sur le réseau de fibres optiques.

Or, 480 millièmes de secondes, c'est beaucoup trop : l'opération Lindbergh n'est possible qu'en deçà de 300 millièmes de secondes!


« La performance, la prouesse des ingénieurs français de France Télécom, c'est d'avoir réussi à trouver des décodeurs et de les régler, de trouver des nouveaux algorithmes de codage et de compression qui permettent d'aller plus vite que ce qui était actuellement disponible sur le marché commercial », estime Alain Bernard, chef de projet, Opération Lindbergh France Telecom.


Le grand jour...


Finalement, le matin du 7 septembre, tout est en place. Jacques Marescaux, très calme, pose des gestes qu'il connaît sur le bout de ses doigts. Si l'opération Lindbergh est un succès, il aura fait la preuve que la téléchirurgie à longue distance est plus qu'une simple curiosité technologique...



Quarante-cinq minutes plus tard, tout est déjà terminé. Et tout s'est déroulé parfaitement. D'ici peu de temps, Jacques Marescaux croit que la technologie sera suffisamment éprouvée pour permettre une intervention complexe comme le pontage coronarien...

Mais êtes-vous prêts pour la chirurgie cardiaque à longue distance?




Journaliste : Normand Grondin
Réalisatrice : Marièle Choquette