Le 3 février 2002

Le patin de hockey

Le hockey, un sport rapide où le coup de patin fait toute la différence. À l'université Mc Gill, des chercheurs sont parmi les premiers à se pencher sur le fonctionnement du patin de hockey, à sonder ses forces et ses faiblesses. Le grand défi de cette étude? Comprendre l'anatomie du corps et comment tout cela fonctionne...


«Par exemple, le pied, et la jambe elle-même, les mouvements spécifiques sur ces deux plans. C'est une structure très mobile. Le pied peut se déformer, il peut tourner. Pour nous déplacer sur la glace, nous devons ajouter un outil spécial qui nous permettra de glisser et d'arrêter au besoin. Notre défi est donc de trouver comment ces deux structures peuvent s'épouser : ici une structure très rigide et là, une structure changeante, parfois rigide, parfois mobile. Mais comment les faire tenir ensemble?», avance David Pearsall.

Joël Bergeron, qui joue pour les Redmen de l'université McGill, a bien voulu participer à l'expérience.
D'abord, il faut éliminer le poil des jambes aux endroits où seront installées différents senseurs. Ceux-ci serviront à enregistrer les contractions musculaires. L'action de tous les muscles sera ainsi analysée.

Un autre type de senseurs captera les mouvements des articulations du genou. On mesurera aussi la mobilité de la cheville et de la hanche, à tout moment lors de la foulée de l'athlète.

 

Et ce n'est pas tout! Une semelle tapissée de senseurs sera taillée à la pointure du patin, pour être ensuite insérée dans la bottine. Ses nombreux capteurs permettront ainsi de connaître les pressions que le pied applique sur la base de la bottine. Avec tout cet attirail électronique, Joël est fin prêt!

Mais… il reste à préparer la pièce maîtresse de l'étude : le tapis roulant. Véritable glace roulante, ce tapis est constitué de languettes de polyéthylène sur lesquelles on vaporise du silicone. Sa vitesse de roulement peut atteindre les 32 km/h!

Joël Bergeron s'élance... Il patine avec son bâton de hockey afin de reproduire le plus fidèlement possible les mouvements du joueur. Cette glace roulante offre une étonnante similitude avec la vrai glace!
Une caméra suit tous les mouvements du patineur alors que les nombreux senseurs captent leurs précieuses données...


«Ce que le tapis roulant nous offre, c'est un environnement très bien contrôlé où on peut contrôler la lumière, la qualité de l'image et la distance de l'image. Toutes sortes de variables qui rendent la tâche plus facile pour effectuer les évaluations nécessaires», affirme René Turcotte. Bref, à l'aide du tapis roulant, on pourra plus facilement décomposer l'action de patiner et mieux comprendre les forces et les faiblesses du patin moderne.


Depuis cent ans, l'évolution du patin de hockey s'est faite selon un processus artisanal d'essais et d'erreurs, basé sur des intuitions. Lorsqu'on met les patins de deux époques, côte à côte, les changements sautent aux yeux: le prolongement arrière de la lame qui causait bien des blessures a disparu; la lame s'est allégée; fini le lourd support fait de tubulures métalliques, un plastique super léger l'a remplacé et; la courbure de la lame s'est arrondie afin de permettre au joueur des changements de direction et des arrêts plus rapides.

Explication vidéo


René Turcotte est un passionné de hockey. Avec les années, il a vécu plusieurs de ces modifications : «La principale différence, c'est dans la bottine elle-même aussi : on peut voir que les anciennes bottines étaient plus minces et beaucoup plus de flexibilité, disons, dans les patins. Alors que le patin d'aujourd'hui a une grosse rigidité sur les côtés, offrant ainsi beaucoup de support. Quand on joue au hockey, on a besoin de beaucoup de support, car on patine, on tourne rapidement, on fait des pivots, on arrête, on repart (…) Mais en même temps, on veut garder de la flexibilité pour avoir une certaine mobilité dans la cheville lorsqu'on effectue toutes ces manœuvres-là».

Même avec les patins modernes, patiner n'est pas un geste naturel! Certains mouvements que l'on utilise lors de la marche ou de la course sont impossibles.



«Un patin comme celui-ci, un patin efficace et très rigide, immobilise en fait la cheville. Donc pour obtenir cela, vous ne pouvez plus bouger ici. Parce que vous avez besoin de stabilité pour la lame en dessous, vous sacrifier toute l'énergie que vous pouvez normalement utilisée. Et vous avez aussi déplacé les forces qui s'appliquent vers le genou et la hanche. Donc, nous changeons la mécanique. D'un côté, c'est peut-être bon. Mais d'un autre, c'est mauvais. Par exemple, il y aura beaucoup plus de torsion appliquée au genou», affirme David Pearsall.

Le rêve des chercheurs de Mc Gill : réinventer le patin. Mais ils sont bien conscients qu'ils doivent d'abord comprendre le fonctionnement du patin d'aujourd'hui.

L'analyse des données permettra de découper la biomécanique du patinage et de bien comprendre le rapport entre les efforts musculaires et les pressions ultimes appliquées au patin. Des études de ce type ont déjà été menées sur le patin de vitesse. Le résultat : un patin révolutionnaire, «le patin clap».

«Le patinage vitesse, c'est vers l'avant et on tourne. Il y a donc deux habilités qui se passent. Or, le hockey, c'est quelque chose de beaucoup plus compliqué. On se sert du patin pour patiner, pour tourner, pour faire des pivots, pour arrêter, pour partir, pour essayer de gagner des rondelles. Et il faut se stabiliser pour se défendre contre nos rivaux dans les coins! (…) Alors nous devons faire attention, car l'innovation qu'on fait, ça doit répondre à plusieurs besoins», estime René Turcotte.

«Comment assembler la lame rigide et le pied de telle façon que nous puissions pousser comme le permet cette structure mobile? Car actuellement ce mouvement est impossible : soit que le pied glisse dans le patin ou encore, rien ne bouge. Si nous pouvions obtenir entre les deux une plus grande liberté afin de reproduire le mouvement naturel du pied et de la cheville, alors je crois que nous aurions plus de confort et aussi plus de performance, et de là une vitesse accrue», affirme David Pearsall.

C'est le grand défi : inventer un patin plus performant. David Pearsall et René Turcotte ne verront jamais leurs noms sur la coupe Stanley. Mais leurs études pourraient bien permettre à des athlètes d'y apposer le leur…

Journaliste : Claude D'Astous
Réalisatrice: Hélène Naud