Le 16 décembre 2001

La restauration d'une mine


En Abitibi, la ruée vers l'or dure depuis un siècle. Au fil des ans, des dizaines de filons se sont épuisés, les mines ont fermé mais il reste encore des montagnes de résidus un peu partout dans la région. En plus de défigurer le paysage, certaines d'entre elles sont lourdement contaminés.

Et la pollution?

Les compagnies s'en sont longtemps lavées les mains. C'est donc la nature qui a encaissé le coup : fossés, plages, ruissellement, etc.



Voici dans quel état on a laissé la mine de Siscoe après sa fermeture...


Ne cherchez pas les bâtiments de la compagnie : ils ont été rasés. Ni les propriétaires : ils ont disparus eux aussi... Tout ce qu'il reste, c'est cette longue plage de résidus fin, gris et pollué. Le terrain est tellement stérile que presque rien n'y pousse depuis 30 ans...








En face de Siscoe, de l'autre côté du lac De Montigny, c'est tout le contraire. Fermé depuis 1968, la mine de Sullivan a connu une véritable révolution verte. C'est une transformation toute récente. Pourtant, il y a à peine un an, Sullivan ressemblait étrangement à sa voisine : la même plage grise, les mêmes fossés, le même aspect désertique!





La petite histoire de Sullivan...

Durant 34 ans, on a extrait beaucoup d'or à Sullivan. Un million et demi d'once d'or. C'était un filon riche, qui a fait vivre des générations de travailleurs, et créé un village prospère.

Pour séparer l'or du minerai ramené à la surface, on a utilisé des quantités importante de mercure puis de cyanure. Deux produits très toxiques.

Une fois traité et sommairement nettoyé, le résidu était déversé au bord du lac De Montigny.
Progressivement, les déversements ont créé une immense plage contaminée qui fait aujourd'hui un kilomètre et demi de long...



Johanne Cyr coordonne la restauration de onze sites miniers abandonnés : «Le danger avec les résidus miniers, si on a des résidus sulfureux, on va générer du drainage minier acide, avec le drainage minier acide on retrouve des métaux lourds qui vont s'épandre un peu partout dans le milieu environnnant: on va les retrouver dans les lacs, dans les rivières dans les sédiments, on va contaminer la faune, la flore, c'est éventuellement les nappes d'eaux souterraines qui risquent d'être contaminées avec les métaux lourds. C'est un problème qu'il faut solutionner parce que c'est éventuellement la santé humaine qui est à l'extrémité de tout ce processus là».

Une partie des produits toxiques se trouve encore là, sous les résidus. Trois dépôts de mercure ont d'ailleurs été découverts en 1992. Les dépots ne se trouvent pas en surface. Mais pour éviter que l'érosion entraîne progressivement le mercure vers le lac, il fallait agir!


Comment empêcher les polluants de se répandre dans le lac ?


D'abord, on a recouvert le terrain d'une couche d'argile d'une vingtaine de centimètres.

Puis on a construit de grandes rigoles de pierre qui épousent le relief naturel du terrain et facilitent l'écoulement de l'eau.


Mais pour Pierre Bertrand, l'architecte de la restauration du site, le véritable défi consistait à consolider la berge. Pour cela, il a utilisé une technique ingénieuse, qui mêle la pierre et les végétaux :

«On introduit une membrane, qui permettait de garder de la matière organique à travers de la grosse roche (…) Alors sans cette membrane, tout le matériel organique serait lessivé à travers l'empierrement, ce qui rendrait impossible la repousse de végétaux. On a donc mis du terreau, et à travers le terreau on a entré ce qu'on appelle des «fagots» : des branches généralement de saules ou de cornouillers montées sous formes de «fagots» (...) des tiges linéaires qu'on introduit dans le sol et qui ont la capacité de bouturer très rapidement».




Installé il y a un an, les fagots sont maintenant bien enraciné. En principe, la roche devrait bientôt disparaître sous les nouvelles repousses. En plus d'avoir semé différentes variétés de graminés sur le terrain, on a planté de jeunes arbres à l'abri de ces longues barrières faites de vieilles branches: « (...) le matériel a été mis perpendiculairement aux vents dominants, alors ça permet de créer derrière, c'est comme une clôture : ça permet de créer une zone moins influencée par le vent, car il faut penser au froid d'hiver, au gel , à l'assèchement (...) », indique Pierre Bertrand. Ces longues barrières de branches ont d'ailleurs su vite attirer des visiteurs: «
Ça a permis à différentes espèces d'oiseaux d'utiliser immédiatement ces débris là pour se percher, (...) dès le départ, à la suite des aménagements », ajoute l'architecte.


L'objectif à long terme de Pierre Bertrand est simple : il veut retourner le site de Sullivan à son état naturel et ramener les animaux sauvages sur le terrain:

« Ce qu'on souhaite dans cent ans, c'est que vous puissiez ne pas reconnaître le site minier. Alors on peut imaginer des îlots boisés, arbustives, des herbiers aquatiques seront développés, et je pense que les stériles vont être masqués à tout jamais à ce moment là (...) Normalement, vous devriez vous perdre dans la nature!»


Sullivan est un succès. Mais pour un seul site restauré, des dizaines d'autres sont laissés à l'abandon ailleurs au Québec : «Il reste environ 80 sites qu'on considère abandonnés parce que les propriétaires sont soit complètement disparus ou non solvables. Sur ces sites, il y en 15 qui ont été jugés prioritaires. Il y a des problématiques de drainage miniers acides, ou des processus d'érosion très importants qui devront être restaurés à très court terme», souligne la chimiste Johanne Cyr.

Tout près de Val-d'Or, on travaille à restaurer East Sullivan, un parc de résidus géant... East Sullivan a une superficie de 228 hectares. Sur le plan environnemental, c'est un désastre. Abandonné au début des années 70, le site déverse d'énormes quantités de rejets acides dans la petite rivière Bourlamaque. Depuis 1989, on enterre le dépôt de East Sullivan sous une épaisse couche de résidus forestiers. Et c'est loin d'être terminé. À la longue, cette couche très étanche va imperméabiliser le terrain. Éventuellement, l'eau ne pourra plus atteindre les sédiments contaminés et les lessiver dans la rivière et la nappe phréatique. En attendant, un système de fossés transporte le trop plein de rejets acides vers un marais épurateur. On utilise également les boues de l'usine d'épuration de Val d'or pour sceller le terrain. Ces boues, très concentrées, font un excellent engrais naturel.

Pour éviter d'autres dégâts comme East Sullivan, la nouvelle loi sur les mines force maintenant les compagnies à gérer leurs déchets miniers et à traiter leurs eaux contaminées. Mais également à planifier la restauration du terrain le jour où la mine fermera. Mais pour tous les sites abandonnés avant la nouvelle loi, c'est encore nous, qui devront payer la note...



«On estime à 40 millions les montants d'argent qui seront nécessaires pour restaurer ces sites là. Le Gouvernement du Québec est prêt à faire la restauration mais pour financer les projets, il faut la collaboration de l'industrie et possiblement celle du gouvernement fédéral», estime Johanne Cyr.


Heureusement, on ne manque ni d'imagination, ni de volonté. À preuve, ce ruisseau qui traverse le parc de résidus de l'ancienne mine de Wood Cadillac, près de Malartic. Depuis une cinquantaine d'années, il transporte des tonnes de résidus contaminés à l'arsenic en aval, jusqu'au lac Preissac. Cet automne, on a entrepris de lui creuser un nouveau lit, qui contourne maintenant le site contaminé. C'est un ouvrage de trois kilomètres et demi de longueur, qui épouse parfaitement la géographie du terrain. Au printemps prochain, si tout va bien, le nouveau ruisseau transportera une eau propre vers le lac. On appelle ça du génie écologique. Et c'est toute la nature qui en profite!






Journaliste : Normand Grondin
Réalisateur: Pascal Gélinas