Le 16 décembre 2001

Langues des signes



« Bonjour, je m'appelle Jeremy »

Comme dans toutes les familles, chez les Sarrazin-Zimmer. on se rassemble, on joue, on se raconte des histoires. Mais Jeremy et ses parents sont sourds profonds, alors ils s'expriment par signes. C'est un peu mystérieux. Est-ce que c'est du mime ? Est-ce que c'est un vrai langage ?

La Langue des signes du Québec : la LSQ

Une langue aussi riche et complexe que n'importe quelle langue orale. C'est une vraie langue. Elle est née spontanément d'un besoin fondamental de communication.
 


« Avant les gens pensaient que le cerveau avait besoin d'un langage oral, que les sons et le larynx, c'était l'essence du langage. Mais les recherches linguistiques récentes montrent que le cerveau se fiche complètement de savoir si c'est ça (elle signe) ou si c'est « papa » ou ça (elle signe). Les yeux conduisent aussi aux centres du langage, les mains servent aussi à l'expression du langage», - affirme Rachel Mayberry, psycholinguiste, à l'Université McGill.



Les langues des signes partagent plusieurs caractéristiques
avec les langues orales:

  • La structure des mots et des phrases est complexe.

  • On peut aussi former un nombre infini de mots à partir d'un nombre limité de signes. Les signes eux-mêmes sont complexes.

  • Leur sens vient non seulement de la forme de la main, mais aussi de l'endroit où elle est placée, de son mouvement, ou encore de l'expression du visage. On peut même chuchoter en faisant de tout petits signes.

Et même si certains signes ont l'air de mimer la réalité, la plupart sont totalement arbitraires!




  Les langues des signes sont loin d'être des systèmes de communication rudimentaires. Patrick Boudreault et Pamela Witcher travaillent à l'Université McGill dans un groupe de recherche en psycholinguistique. Les concepts qu'ils manient tous les jours sont abstraits et très complexes.

Pourtant, pendant longtemps, les langues des signes n'étaient pas considérées comme des vraies langues. La société avait honte de ses sourds. On les obligeait à parler ou à utiliser des langues artificielles comme le français signé, une traduction littérale du français en signes. C'est un moyen de communication lourd, inventé par les entendants, et qui n'a rien d'une langue naturelle. Par exemple, dire une phrase en français signé prend deux fois plus de temps qu'en Langue des signes québecoise (LSQ) : «Il semble bien que les langues naturelles obéissent à un principe d'économie qui fait qu'un message doit être livré dans un laps de temps pas trop long. Si le message s'étend sur une trop longue période, la compréhension diminue», Astrid Vercaingne-Ménard, linguiste à l'UQAM.


Les langues des signes utilisées à travers le monde sont toutes différentes les unes des autres. Il n'existe pas de langue des signes internationale.

Par exemple au Québec, il y a deux langues des signes : la LSQ, utilisée dans les milieux francophones, et la Langue des signes américaine, ou « ASL », utilisée dans les milieux anglophones.

Mais détrompez-vous : aucune de ces langues ne correspond au français ou à l'anglais, ce sont des langues distinctes.


Pour un enfant sourd, apprendre sa propre langue peut devenir un véritable défi. Pourtant c'est capital, puisque c'est tout son développement intellectuel futur qui est en jeu. En fait, le développement du cerveau est intimement lié à l'acquisition du langage. Apprendre à parler, c'est un peu comme apprendre à marcher, un long processus par étape, quelle que soit la langue. Tout est question de stimulation: «Si le bébé est exposé à des signes par ses parents, le développement de son langage est comme celui d'un bébé entendant normal : il va babiller avec ses mains avant de parler, il va dire ses premiers mots «maman» (elle signe), puis il va mettre deux mots ensemble «ma maman» ou «mon papa» (elle signe). Mais si l'enfant n'apprend pas à signer, on se retrouve dans une situation très particulière où l'enfant n'a pas de langage», affirme Rachel Mayberry.

C'est une question qui préoccupe les chercheurs comme Patrick Boudreault : «On remarque que dans la population sourde en général il y a des personnes qui parlent très bien en langue des signes et d'autres moins (...) Ceux qui ont eu des parents sourds sont meilleurs en langue des signes que ceux qui l'ont appris plus tard. Nous on s'est basés sur l'analyse grammaticale, et la conclusion à laquelle on est arrivés c'est qu'il est important d'apprendre la langue des signes tôt».

Le petit Jeremy a la chance de vivre dans un environnement familial très stimulant. Sa mère utilise la Langue des signes du Québec et son père la Langue des signes américaine. Jeremy apprend donc les deux langues en même temps. Mais tous les enfants sourds n'ont pas cette chance: « Seulement 10% des enfants sourds ont des parents sourds. La plupart ont des parents qui entendent et ne savent pas signer. Souvent ça prend du temps avant qu'ils découvrent que l'enfant est sourd. On va d'abord essayer de lui apprendre à parler, et c'est seulement quand on voit que l'enfant ne peut pas, qu'on va lui apprendre à signer. Beaucoup d'enfants sourds ne vont pas acquérir leur langue avant 6, 7 ou 8 ans. Mais un enfant entendant de 8 ans a déjà toute sa grammaire, il sait lire et écrire», précise Rachel Mayberry.



  • Pour un enfant sourd, être privé de langage pendant les premières années de sa vie a des répercussions dramatiques. Plus il apprend sa première langue tardivement, plus il aura de mal à la maîtriser parfaitement.

  • Alors imaginez ses difficultés pour apprendre une deuxième langue, le français par exemple, pour laquelle il n'a aucun repère auditif!

  • Au Québec, 80 % des 50 000 sourds profonds sont d'ailleurs analphabètes.


Dans une classe de l'école Gadbois, certains des enfants ont quelques restes auditifs, d'autres ont des implants cochléaires, d'autres enfin sont des sourds profonds. Ils maîtrisent donc la LSQ et le français écrit à des degrés très divers. Jeremy a été stimulé très tôt en langue des signes. Toutes les chances sont donc de son côté. Toute sa vie, il va pouvoir exprimer ses besoins et comprendre ceux des autres. En un mot, communiquer. Il n'aura aucun handicap au plan de la communication.







Journaliste stagiaire:
Anne Fleischman
Réalisatrice: Hélène Naud