Le 18 novembre 2001

Les rayons X

Plus de 60% de l'équipement radiologique au Canada est vétuste selon l'Association canadienne des radiologistes. Quel est l'impact de cette vétusté sur la santé des citoyens? Il y a deux principales conséquences. D'abord, le risque d'exposer la population à des doses élevés de radiation. Deuxièmement, les médecins peuvent poser de «faux diagnostiques», c'est-à-dire laisser passer des tumeurs ou des pathologies simplement parce que l'appareil radiologique ne donne pas une image claire et précise. Au Québec, les montants d'argent qui devaient être alloués pour redresser la situation tardent à venir. Voici un portrait de la crise en radiologie.

À l'été 2001, les radiologistes québécois et canadiens ont sonné l'alarme : l'équipement de radiologie est en mauvais état et met la santé de la population à risque. Selon les radiologistes, 63% des équipements de radiologie sont désuets. Mais exagèrent-ils? Chose certaine, leur conclusion est appuyée par le récent rapport du Vérificateur général du Québec, qui stipule «que l'ensemble ou l'état de l'équipement diagnostique au Québec représente un danger pour la population».

«La situation du parc d'équipement n'est pas catastrophique mais pas loin. En ce sens que la vétusté des équipements tant en terme de qualité technologique que d'accessibilité fait pitié. Ça fait vraiment pitié», - Dr Gaétan Barrette, radiologiste et président de l'Association des radiologistes du Québec.


Des radiations de trop…



«Si rien n'est fait, les conséquences sur les patients devient un acte criminel, c'est une négligence pure et simple. Non seulement pour les diagnostiques manqués mais également pour le niveau de radiation que les gens subissent sans raison valable», estime Normand Laberge, vice-président exécutif, à l'Association canadienne des radiologistes.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), on ne cache pas que la situation doit être améliorée : «Il faut s'assurer que les outils avec lesquels nos professionnels travaillent, en radiologie, mais aussi dans tous les secteurs de la santé, il faut que ça soit amélioré», indique le Dr Luc Deschênes, Directeur général Affaires médicales et universitaires, MSSS.



Nos appareils sont-ils à un tel point désuets?


Prenons le cas de la fluoroscopie. Selon les radiologistes, en cabinet privé, 70% des appareils de fluoroscopie sont désuets et dans les hôpitaux, 40%. Pourtant, c'est l'un des examens radiologiques qui irradient le plus le patient... De plus, on rapporte que l'ensemble des appareils désuets en cabinet ont plus de 17 ans. Résultat : un risque plus élevé de faux négatifs...

La fluoroscopie vs les clichés standards...

Comparativement aux clichés standards qui sont faits dans des positions fixes, la fluoroscopie a l'avantage de détecter des lésions dans tous les angles. Elle devient donc un atout important lorsque des lésions n'ont pas été détectées ou ratées lors de la prise des clichés standards.


Faux négatifs = faux bilans de santé…

Comme l'explique le Dr Gaétan Barrette, radiologiste et président de l'Association québécoise des radiologistes, la situation peut devenir très troublante lorsque, par exemple, les négatifs ne détectent aucune trace de cancer alors que celui-ci, est bien présent : «Votre cancer qui était peut être à un stade traitable et guérissable va progresser jusqu'au moment où vous allez avoir un deuxième examen et à ce moment-là, vous serez peut être rendu à un stade où votre risque de survie sera plus faible...»

Combien y a-t-il de faux négatifs par année à cause
des équipements désuets?


Aucune statistique n'existe à ce sujet…

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Les risques de la radiation

Lors d'un examen radiologique, le patient reçoit une dose contrôlée de rayons X. Or, en utilisant des appareils vétustes, les doses de radiations aux patients sont à la hausse...


Les différentes doses…



Une radiographie dentaire donne des doses négligeables.

Une radiographie des poumons expose également le patient à une dose très faible.

Une mammographie, par contre, doit irradier un tissu plus dense. La dose absorbée est donc dix fois supérieure à la radiographie pulmonaire.
Un «scan» complet du corps, c'est-à-dire une tomographie, donne 50 fois plus de radiations qu'une mammographie parce qu'il prend de nombreux clichés.



Les risques pour la santé...


Quand les rayons X pénètrent les tissus, ils entrent en collision avec les électrons du corps. Ces électrons se dispersent autour du tissus irradié et peuvent alors endommager les gènes des cellules environnantes. Sur une longue période, une exposition fréquente peut mener au développement du cancer. Pour contrer ces effets négatifs, les appareils récents diminuent la dose de radiation au patient tout en donnant une image de qualité. Une préoccupation importante puisque les doses de radiation ne disparaissent pas : elles s'accumulent.





* De façon surprenante, très peu d'études existent sur l'incidence du cancer dû à la radiologie médicale.

* Selon Santé Canada, 1500 décès par années seraient malgré tout attribuables aux rayons X.


Des systèmes vétustes qui augmentent les doses de rayons X...


Selon le Dr Barrette, « On triple facilement la dose aux patients, avec un appareil vétuste».
Mais à quel moment un appareil devient-il vétuste? Le ministère de la Santé évalue que les appareils ont une durée de vie utile de 18 ans, alors que l'Association canadienne des radiologistes affirme qu'ils sont désuets après seulement 10 ans. Pierre Goulet, physicien pour General Electric ( l'un des principaux fournisseurs d'équipement radiologique), estime quant à lui que la disponibilité des pièces pour un appareil n'est pas garantie 10 ans après la fin de sa production.



Un manque d'entretien...


Mais si l'âge des équipements pose problème, il y a également toute la question de l'entretien. Or au Québec, le réseau hospitalier n'a pas de programme systématique de contrôle et de maintenance de l'équipement en terme de radio protection : «À l'hôpital, là où se fait 75% des examens, l'hôpital n'est pas tenu officiellement de faire ça. Moi je suis ici depuis onze ans, et ça s'est jamais fait», affirme le Dr Barrette.


Malgré l'absence de réglementation sur l'entretien, le gouvernement (du Québec) estime qu'il est du devoir des hôpitaux de procéder à des inspections de leurs appareils : «Normalement, les hôpitaux sont supposés de faire ça. S'ils ne l'ont pas fait, c'est sûr que nous, on va s'en occuper (…) en faisant faire des inspections, si les hôpitaux ne peuvent pas prendre leurs responsabilités», affirme le Dr Luc Deschênes, Directeur général Affaires médicales et universitaires au MSSS.



... en plein contexte de surutilisation

Cette désuétude et ce manque d'entretien arrivent au moment ou la radiologie est de plus en plus utilisée en médecine, tant pour le dépistage, le diagnostique que pour le traitement des maladies. Juste en imagerie d'intervention, c'est-à-dire dans des domaines comme l'angioplastie, il y a eu une augmentation de 67% du nombre d'actes au cours de la dernière décennie!

«Nous avons une obligation de maintien de la sécurité. Et la seule façon de faire ça, c'est de remplacer les machines», précise le Dr Barrette.


Notre retard dans le numérique

L'avenir de la radiologie c'est le numérique. Là encore, le Québec accuse un important retard. Grâce au traitement de l'image par ordinateur, on parvient a réduire la dose tout en obtenant des images de meilleure qualité. Le gouvernement en promet mais les hôpitaux n'en possèdent pas encore.


Quels sont les avantages du numérique?

* Le numérique permet non seulement de voir clairement le contour de la peau et des tissus, mais de façon plus importante, il permet de faire des agrandissements pour mieux détecter la présence de micro calcification et de très petits cancers.

* On évite ainsi le rappel de bon nombre de patients, réduisant d'autant l'exposition à la radiation.

Annonce de 100 millions


Dans le but de régler la crise en radiologie, le ministre québécois de la Santé, Rémi Trudel, a annoncé en octobre 2001 l'injection de 100 millions de dollars sur trois ans. Cet argent provient d'un transfert de paiement du fédéral qui doit servir à remplacer de façon prioritaire des équipements jugés désuets par les radiologistes. Considérant l'urgence de la situation, l'Association des radiologistes du Québec.
aurait aimé que cet argent soit dépensée immédiatement.




En conclusion...

  • Plus de 6 millions de radiographies sont prises chaque année dans le système de santé québécois.
  • L'exposition de la population est considérable compte tenu que les effets des rayons X sont cumulatifs.
  • Dans le milieu de la radiographie, plusieurs parlent d'une carte qui donnerait le bilan des radiographies pour chaque patient.
  • Cette carte permettrait au médecin de mieux évaluer la pertinence d'irradier le patient.

Reste que pour le Dr Gaétan Barrette, la vétusté de l'équipement radiologique demeure totalement inacceptable : «Le gain qui vient de l'utilisation de ces machines, l'exécution de ces procédures-là, excèdent mais largement les dommages potentiels. Ces dommages-là, c'est tout à fait immoral de ne pas s'y adresser. C'est immoral».

 

 

Journaliste : Michel Rochon
Réalisatrice : Chantal Théorêt