Le 25 novembre 2001

L'ADN mitochondrial

Cheddar, une petite ville dans le sud-ouest de l'Angleterre. Elle est réputée pour son fromage, mais plus encore, pour une célébrité fossile, âgée de 9 000 ans : l'Homme de Cheddar. Et depuis quelques temps, la petite ville a également une nouvelle coqueluche des médias : Adrian Targett. Modeste enseignant du collège local, celui-ci n'avait rien demandé... Jusqu'au jour où des généticiens affirment qu'il est le descendant direct de l'Homme de Cheddar...

Qu'est-ce que l'ADN féminin?

Un des secrets de la différence entre les hommes et les femmes, c'est qu'elles ont un ADN qu'elles sont seules à transmettre. Un ADN exclusivement féminin. Il se trouve dans de petites structures rondes dans les cellules, flottant autour du noyau, qu'on appelle des mitochondries. Ce sont les centrales énergétiques de la cellule. L'ADN des mitochondries est bien particulier. ll n'est pas transmis par les deux parents, comme celui du noyau, mais seulement par les mères. Et tout cela découle d'un détail plutôt amusant, au moment de la conception. Lorsque le spermatozoïde pénètre dans l'ovule, il n'a plus besoin d'énergie et il laisse sa queue à l'extérieur, avec tout son ADN mitochondrial dedans. Si bien que l'œuf fécondé n'a plus qu' un seul type d'ADN mitochondrial : celui apporté par la mère dans l'ovule.


L'ADN féminin...




L'ADN des mitochondries a la forme bien connue d'une molécule en double hélice.

Mais celle-ci est très courte, elle ne fait que 16 000 bases.

Une bagatelle comparée aux 3 milliards de base de l'ADN du noyau.

Autre caractéristique: la molécule est transmise intacte de génération en génération.

La seule chose qui la modifie, ce sont les mutations naturelles qui interviennent environ aux 350 générations, à peu près tous les
6 000 ans.


À la recherche du passé...


En laboratoire, on peut séquencer l'ADN mitochondrial. Le principe est le suivant : si on sait qu'elle est l'ordre précis de toutes les bases A, C, T, G qui constitue ce segment d'ADN, on peut le comparer à d'autres segments. Plus il y a de mutations, plus on remonte dans le temps, plus l'ancêtre commun qui a légué cet ADN est loin dans le passé.


À Cheddar, on a extrait l'ADN mitochondrial d'une molaire du célèbre fossile. On a ensuite comparé avec l'ADN de volontaires, à partir d'un prélèvement de cellules à l'intérieur de leur joue. Surprise! Un échantillon, celui d'Adrian Targett, était quasi identique à celui du fossile. Il ne différait que par deux bases, deux mutations. Conclusion : l'un descend bien de l'autre par les lignées maternelles.



Tout le monde ne peut pas ajouter un Cro-Magnon célèbre à son arbre généalogique! Les ossements préhistoriques sont trop peu nombreux, et on n'arrive pas toujours à en extraire l'ADN. Par contre, on peut comparer l'ADN de personnes vivant dans différentes régions du monde. Les Africains ont accumulé le plus de mutations dans leurs mitochondries et ils ont la plus grande diversité génétique. Ils représentent donc les plus anciennes lignées de l'humanité.



L'Ève mitochondriale - notre mère à tous - aurait vécu en Afrique, il y a environ 150 000 ans. L'humanité est sortie d'Afrique. C'est bien ce que disent d'ailleurs les anthropologues, sur la base de leurs observations de terrain. Mais quand et comment cela s'est-il passé? Là, cela devient plus compliqué. Les scénarios sont multiples, la controverse règne!

Prenons l'exemple du peuplement de l'Europe par Homo Sapiens, Sapiens. Certains chercheurs prétendaient que l'essentiel de ce peuplement par l'homme moderne, a eu lieu il y a 60 000 ou 70 000 ans. Au paléolithique, c'étaient des chasseurs-cueilleurs. D'autres majoritaires, prétendaient que ce déploiement en Europe était arrivée beaucoup plus tard, il y a moins de 12 000 ans. Après les rigueurs du dernier Âge glaciaire, des agriculteurs nomades se seraient répandus à travers l'Europe.



Pour tirer les choses au clair, des chercheurs de l'Université d'Oxford en Grande-Bretagne, ont analysé l'ADN mitochondrial de 6 000 Européens de souche. Le généticien Bryan Sykes en est venu à conclure qu'ils descendent en grande majorité de clans maternels vieux de 17 000 à 45 000 ans. Il donne ainsi raison à la thèse de la colonisation par les chasseurs-cueilleurs au paléolithique.



Quel est votre ancêtre Cro-Magnon?

Bryan Sykes est allé plus loin. Dans un livre, vite devenu un best-seller, il a donné vie aux fondatrices de clans. Il leur a prêté une biographie, une époque, un lieu.

Les sept Ève...

Bryan Sykes a donné des noms aux sept Ève européennes :

Ursula, la grecque
Tara, l'italienne,
Velda l'espagnole, Katrine, Jasmine, Xenia et Helena...

Bryan Sykes a aussi fondé une société privée. Moyennant l'envoi de quelques cellules grattées dans votre joue et la somme de 300 dollars, il vous dira qu'elle est votre ancêtre Cro-Magnon. C'est un succès phénoménal, mais ce n'est plus de la science, c'est du commerce.

L'ADN des mitochondries demeures une théorie très sérieuse mais qui ne raconte pas tout. Et Sykes n'est pas le pape de cette nouvelle science. Il reste une chose, cet ADN est un fil qui nous relie d'une manière personnelle et intime à nos plus lointains ancêtres. Un fil, qui a des histoires à raconter!



Journaliste: Jean-Pierre Rogel
Réalisatrice: Marièle Choquette