Le 16 septembre 2001

Exit, la pollution porcine ?

Le Québec produit sept millions de porcs par année. Attention! Un cochon, une tonne de lisier. Jusqu'à maintenant, la seule façon de s'en débarrasser, c'était l'épandage. 90% d'eau; le reste, c'est de la matière organique, pleine d'azote et de phosphore. Un excellent engrais! Mais il n'y a plus assez de terres agricoles, même dans toute la province, pour recevoir le fumier qu'on produit déjà! Mais plusieurs technologies alternatives voient le jour.

D'après le ministère de l'Environnement, les épandages sont excessifs. Ils fournissent en moyenne trois fois plus d'engrais que ce dont les cultures ont besoin. Trop de phosphore, qui s'accumule dans le sol et les alluvions. Trop d'azote qui suinte jusqu'aux cours d'eau. Une pollution diffuse, invisible.

La crise est surtout aiguë dans le bassin de la rivière Chaudière. Une région où les fermes porcines se suivent et se ressemblent. La pollution diffuse déverse dans la Chaudière l'équivalent de 450 000 tonnes de lisier par année. Au printemps dernier, tous les champs arboraient des réseaux d'ornières laissées par les épandeuses de lisier. L'odeur nous agressait jusque dans l'avion.

Une simple nuisance? Non ! L'odeur peut être dangereuse, selon le docteur Benoît Gingras, responsable du dossier des engrais animaux pour l'ensemble des départements de santé publique du Québec : « Les gens qui sont exposés à des odeurs provenant des élevages concentrés - et de façon fréquente - sont susceptibles de développer des problèmes de santé mentale, de détresse psychologique, de colère, etc. Et d'autre part, ce qui est relativement nouveau dans quelques études, possiblement des effets sur le système respiratoire. »

Pollution diffuse et odeurs. Deux problèmes que veulent régler certaines technologies qui deviennent disponibles.

Par exemple, au Centre d'excellence en production porcine de Saint-Anselme, dans la Beauce, on a d'abord éliminé l'ammoniac, un gaz nauséabond et irritant. C'est surtout lui qui dérange les voisins. Ce qu'on oublie, c'est qu'il cause aussi des problèmes respiratoires aux animaux. Leur trouvaille : retirer le lisier avant qu'il n'ait le temps de fermenter sous les lattes du plancher.

On traite ce lisier dans la petite usine d'épuration qui est intégrée au bâtiment. Une usine complètement automatisée qui s'inspire du traitement traditionnel des eaux d'égouts. Le purin frais est d'abord filtré dans un tamis. Cela permet d'extraire toutes les fibres que les animaux n'ont pas digérées. Mais l'important, c'est de nettoyer l'eau. Elle est dirigée vers un bassin où des bactéries vont concentrer le phosphore et une partie de l'azote dans une boue épaisse.

L'ammoniac et les autres composés azotés seront retirés dans un dernier module comme l'explique l'ingénieur Camille Dutil, de la firme de génie-conseil Envirogain : « L'eau percole à travers le filtre et les gaz sont aspirés à travers chacune des unités de traitement. » À la fin du traitement, les odeurs sont éliminées et l'eau peut servir à irriguer les terres ou être rejetée dans un cours d'eau.

Certains producteurs de porcs ont tellement de bêtes qu'ils doivent défricher des terres pour pouvoir épandre leur lisier. Cécilien Berthiaume, lui, a préféré traiter son lisier, avec l'aide du CRIQ, du Centre de recherche industrielle du Québec. Le système de Cécilien Berthiaume traite seulement le liquide qui surnage dans sa fosse à purin. Il le dirige vers deux immenses citernes remplies de tourbe et de copeaux de bois. La partie liquide du lisier coule dans un filtre et elle est digérée par des milliards de bactéries. Le problème, c'est qu'il reste toujours la boue au fond de sa fosse, 30% du volume. L'essentiel de la pollution.

Mais le but premier de ces deux technologies, c'est justement d'enlever l'eau pour faciliter le transport du lisier. Pouvoir épandre plus loin, vers les régions où il n'y a pas de surplus. Réduire la pollution qui suinte vers les cours d'eau. Réduire les odeurs.

Sauf qu'aujourd'hui, cela ne suffit plus à apaiser le public… Depuis l'épidémie qui a tué plusieurs personnes dans le village de Walkerton, en Ontario, le débat sur l'épandage a pris un virage. On a appris au procès que les bactéries E. coli de Walkerton provenaient du fumier rejeté par les élevages de la région. Elles avaient contaminé l'eau souterraine.

Depuis cette tragédie, c'est surtout l'eau potable qui préoccupe la population de la Beauce. Ici, plusieurs municipalités prennent leur eau tout près de la surface, à deux ou trois mètres de profondeur. À Saint-Charles, c'est une petite source qui jaillit à flanc de colline. Juste en haut de la colline, derrière le rideau d'arbres, des fermes. Des terres en culture. Dans la station de pompage, une seule mesure de sécurité : un baril de chlore à côté de la fenêtre et le cliquetis de son injecteur...

Saint-Charles, ce n'est pas un cas isolé. La région produit deux millions de cochons par année. Un cochon, une tonne de lisier ! Sur les 46 municipalités de la Beauce, 32 n'ont pas de traitement d'eau ! Québec devait réagir. Le ministre de l'Environnement du Québec, André Boisclair a décrété un moratoire dans toutes les municipalités en surplus de fumier : il y en a 165 ! Maintenant, l'industrie porcine est coincée. Elle doit trouver une alternative à l'épandage. Elle aussi cherche de l'eau potable.

Robert Corriveau a 5 000 cochons. Il est le seul producteur de porcs au Canada, qui ose boire de l'eau tirée de leurs excréments. Il purifie son lisier par osmose, une idée de Réal Lasnier, fondateur de l'entreprise Purin Pur, qui décrit les avantages de son invention : « Il n'y a aucune flore microbienne, ni aérobie, ni anaérobie. Le producteur de porcs n'est pas le type qui va s'attarder à analyser sa flore microbienne, à savoir : est-elle propice ? est-elle non propice ? Est-ce qu'il fait froid ? est-ce qu'il fait chaud? C'est un système mécanique, on n'a qu'à peser sur un bouton et le tout est parti. »

Le système est compact : à peine la taille d'une camionnette pour nettoyer le lisier des 5000 cochons de Robert Corriveau : 18 tonnes par jour. Cette fois, la partie liquide du lisier subit une ultra-filtration dans quatre cylindres, ce qui élimine toutes les particules en suspension. Ensuite, on passe à l'osmose dans d'autres cylindres. Cette fois, on enlève les microbes et tout ce qui est dissous dans l'eau. Il ne reste que de l'eau pure.

Pourtant, une fois encore, ce procédé traite uniquement la partie liquide. Qu'est-ce qu'on fait des solides, des boues qu'on a mises de côté ? Qu'est-ce qu'on fait surtout du phosphore qui y est concentré et dont l'épandage est particulièrement contrôlé ? Devant ce constat, 600 éleveurs ont réagi. Au printemps dernier, ils mettaient en chantier, en Beauce, la première usine régionale de traitement. Elle va recevoir les boues qui s'accumulent au fond des fosses. L' objectif : transformer ces boues en granules d'engrais solides. Vendre le phosphore qu'ils ne peuvent plus épandre.

À la tête du projet, encore Cécilien Berthiaume : «  On va rentrer toutes les sortes de fumier agricole, - c'est l'objectif de départ - puis ces fumiers agricoles on va les transformer, les sécher, et les granuler pour les commercialiser au Canada, au Québec et puis aux États-Unis. »

L'idée est tellement attrayante que nos entrepreneurs beaucerons ont eu de la concurrence avant même que l'usine ne soit terminée. Atrium, une entreprise de Farnham, a inventé un énorme séchoir au gaz naturel qui fabriquera aussi des engrais solides dans quelques mois. Mais il y a une grosse différence : le séchoir de Farnham recevra le lisier complet, ramassé directement dans les fosses des éleveurs. Pas seulement les boues au fond de la citerne ! « On visualise, nous, à peu près huit centres de traitement sur le Québec dans les 2-3 ans, prédit Pierre Joré, de la firme Atrium. Et on a déjà des contacts, principalement avec les États-Unis, le Brésil et la Belgique qui, malheureusement, à partir de 2005, n'aura plus le droit de faire d'épandage. Donc, ils ont un grosse grosse problématique et on semble avoir la solution pour pouvoir les aider à régler ce problème-là. »

Si ces promesses se réalisent, il y a maintenant une alternative à l'épandage et le gouvernement le savait quand il a imposé son moratoire. Aujourd'hui, les éleveurs doivent se tourner vers les nouvelles technologies. Et une fois levée l'hypothèque environnementale, on peut même imaginer un « miracle porcin » : il n'y aura plus de limite à la multiplication des cochons.

 

Journaliste : Gilles Provost
Réalisatrice : Marièle Choquette

Pour en savoir plus

Des détails sur ces technologies

.