Le 16 septembre 2001

Rats, hommes et... hypertension


On trouve des rats uniques au monde à l'animalerie du Centre de recherche du CHUM à l'Hôtel-Dieu de Montréal. Une souche de rats sélectionnés depuis 35 ans par croisements successifs. Ils souffrent tous d'hypertension artérielle. Ces rats peuvent nous enseigner bien des choses, notamment nous aider à trouver les gènes responsables de l'hypertension.

Le docteur Pavel Hamet est le maître d'œuvre de ce vaste projet : « Un des avantages des rongeurs, c'est qu'ils sont petits, ils vivent moins longtemps. Tout leur système fonctionne plus vite. Ils ont donc une vie en accéléré. Chez l'humain, c'est plus long avant de voir des complications. »

Le génome du rat ressemble beaucoup à celui de l'humain. Si on trouve chez le rat un gène de susceptibilité à l'hypertension, il y a de fortes chances que le même gène se retrouve chez l'humain et qu'il y joue le même rôle. Ces rats ont un autre avantage : chez eux, comme chez les humains, l'action de plusieurs gènes intervient pour mener à l'hypertension. Car l'hypertension est une maladie complexe, influencée par plusieurs gènes qui interagissent avec l'environnement.

Lorsqu'on parle d'environnement, on considère tout ce qui n'est pas génétique et qui influence le degré d'hypertension : l'alimentation, le mode de vie, le stress. Un exemple des effets de l'environnement : un rat est placé dans un tube de verre où il ne peut pas se retourner. Il subit un stress qui se traduit aussitôt par une élévation de la tension artérielle.

Certains rats sont très sensibles au stress et y répondent par une hypertension sévère. D'autres rats hypertendus n'ont pas la même fragilité. Cette différence se retrouve dans leurs gènes. Mais lesquels? C'est sur les chromosomes du rat que le docteur Pavel Hamet et son équipe recherchent les gènes de susceptibilité à l'hypertension.

La plus récente trouvaille n'est pas liée au stress mais à l'obésité. C'est une mutation du gène TNF-alpha, sur le chromosome 10. La séquence des lettres de l'ADN du gène anormal est légèrement modifiée. On y retrouve 22 fois la séquence AC, alors que sur le gène normal, elle n'est présente que 15 fois.

En fait, la mutation, c'est-à-dire le changement dans les lettres de l'ADN, n'a pas été trouvée directement sur le gène mais sur un promoteur du gène, un bout d'ADN qui commande au gène de s'exprimer. Car les gènes occupent seulement deux pour cent du génome. Parfois, ce ne sont pas eux qui sont fautifs. Ce sont d'autres morceaux du génome qui influent sur l'action des gènes, comme les promoteurs. On commence à peine à comprendre cette grande mécanique.

La mutation du gène TNF-alpha expliquerait tant chez les humains que chez les rats pourquoi le gène TNF-alpha est moins actif, plus paresseux, ce qui créerait une prédisposition à la fois à l'obésité et à l'hypertension.

Il suffirait qu'un médicament compense le manque d'activité du gène pour traiter à la fois l'hypertension et l'obésité. Encore une fois, le rat est un précieux allié. « Les médicaments sont les mêmes. Les médicaments qui agissent chez l'humain ont été inventés chez le rat. C'est le même système hormonal, c'est la même vasoconstriction, ce sont les mêmes déterminants de la tension artérielle qu'on retrouve chez le rat et chez l'humain », souligne le docteur Pavel Hamet.

Comme 650 autres personnes hypertendues, Thérèse Dubois et son frère Réjean ont accepté de contribuer aux recherches du docteur Pavel Hamet. Les Dubois se tiennent en forme, font beaucoup d'exercice. Ils ne fument pas, n'ont pas de problème de poids et leur alimentation est très santé. Ils n'ont aucun des vices associés à l'hypertension et pourtant ils en souffrent. Il y a chez eux des gènes qui les prédisposent à l'hypertension.

Les Dubois sont originaires du Saguenay-Lac-Saint-Jean, comme les autres participants de l'étude du docteur Pavel Hamet. Les gens venant de cette région ne souffrent pas plus d'hypertension que d'autres. Mais comme leur bagage génétique se ressemble davantage il est plus facile d'y détecter des différences. C'est un atout important.

Autre atout pour la recherche génétique : les grandes familles. Chez les Dubois, il y a 9 enfants. Six ont passé les tests qui permettent de mieux comprendre comment l'hypertension s'exprime chez chacun d'eux. On veut identifier les différences entre les individus. « Seulement 30 pour cent des humains sont susceptibles au sel. La majorité des humains n'augmentent pas leur pression avec le sel. Est-ce qu'on devrait enlever le sel à l'humanité entière au risque d'en rendre quelques-uns uns fatigués parce que leur pression est trop basse ? Ou est-ce qu'on devrait détecter ceux parmi nous qui sont susceptibles à l'excès de sel ne donner un régime qu'à ces gens-là ? », s'interroge le docteur Pavel Hamet.

En tout, chez chaque personne testée, plus de 250 données seront prises pour être comparées à 400 marqueurs génétiques. Un trésor d'informations. Quant aux échantillons de sang, ils seront conservés précieusement. Un jour, ils livreront de nombreux secrets.

Car chaque personne est différente... « L'humain n'est pas la moyenne de 5000 personnes dans un essai clinique. Pour le moment la médecine nous traite comme ça. On fait un essai clinique, si ça marche sur 5000 personnes, on applique ça sur l'humanité entière. On n'est pas respectueux de notre diversité, de notre individualité. Moi, je prévois que tant la diète que les médicaments seront individualisés. On s'en va vers une médecine qui va être cousue pour vous, pour votre groupe, pour votre famille », prévoit le docteur Pavel Hamet.

Journaliste : Claude D'Astous
Réalisateur : Yves Lévesque



Pour en savoir plus

L'hypertension : à prendre plus qu'avec un grain de sel
Reportage de l'émission de radio Les années-lumière, 4 février 2001

Société canadienne de l'hypertension artérielle
(en anglais)