Le 6 mai 2001

Le Mont Saint-Hilaire

Le Mont Saint-Hilaire est l'un des joyaux des Montérégiennes, unique pour sa biodiversité. On lui a d'ailleurs décerné le titre prestigieux de Réserve de la Biosphère, à cause de ses espèces végétales rares et de sa forêt ancienne. C'est aujourd'hui l'Université McGill qui en est propriétaire et à ce titre, elle en prend grand soin. Même la carrière qui ronge une partie de ses flancs nous a permis de mettre à jour des trésors uniques au monde.

La plaine du Saint-Laurent est agréablement « décorée » de collines appelées les Montérégiennes. On pense aux monts Saint-Bruno, Yamaska, Orford et Saint-Grégoire. Le mot Montérégiennes vient de Mont-Royal, la plus connue des ces collines. Elles sont pour la plupart entourées de terres agricoles, de vergers et d'érablières. Toutes sont accessibles au public soit pour des sports ou pour de la randonnée pédestre. Plusieurs d'entre elles ont reçu le titre de refuge d'espèces végétales menacées.

L'une d'entre elles est bien spéciale : le Mont Saint-Hilaire. La montagne est toute ronde, âgée de 124 millions d'années. Un jour, on l'a baptisée Mont Saint-Hilaire. Et l'on retrouve au beau milieu de ses flancs, déposé comme dans un écrin, le petit lac Hertel. Ils sont plusieurs à avoir chanté les vertus et les beautés du Mont Saint-Hilaire.

Le plus célèbre est sans aucun doute le frère Marie Victorin, auteur de Flore Laurentienne : « Lorsque vient le printemps, les flancs du Saint-Hilaire se couvrent littéralement de ces magnifiques fleurs bien spéciales au Canada ... Ne parlons pas des trilles aux larges fleurs, et surtout notre superbe lobélie cardinale, la plus belle des plantes indigènes du Canada. »

Situé dans la plaine des basses terres du Saint-Laurent, à 40 kilomètres de Montréal, le Mont Saint-Hilaire est la plus imposante des Montérégiennes. Mais elle se distingue aussi de ses consoeurs par une autre caractéristique : un titre, celui de Réserve de la Biosphère. C'est l'UNESCO qui le lui décerna en 1978 pour célébrer la grande biodiversité et la rareté de plusieurs de ses espèces. Le Mont Saint-Hilaire vient ainsi joindre les rangs de quelques 300 autres réserves dans le monde dont huit au Canada.

Mais avec les honneurs viennent aussi des obligations bien précises : « Une fonction de conservation de la biodiversité, et des paysages, une fonction de développement durable et une fonction de support à l'éducation et à la recherche. Donc, ce que cela représente pour le Mont Saint-Hilaire, c'est d'arriver à faire fonctionner ces trois pôles. » Grande mission pour une petite montagne! Mais elle est aidé en cela par un tuteur de marque, l'Université McGill. Et ce tuteur a un visage, celui du professeur Martin Lechowicz : « Les activités récréatives, la recherche et l'enseignement se situent de ce côté. Et cette partie est réservée aux animaux et aux plantes. »

À première vue, la forêt du Mont Saint-Hilaire n'est pas bien différente d'un petit boisé : « Il y a plusieurs arbres qui étaient de tous petits arbres quand Champlain a passé sur le Richelieu, nous dit M. Kees Vanderheyden. Et c'est vraiment la forêt originale. C'est vraiment la seule montagne des Montérégiennes qui est parfaitement intacte comme au temps de Champlain. Du côté du Mont Saint-Bruno, il y a eu beaucoup de coupe de bois, énormément, on a reboisé mais on n'a pu la même biodiversité que l'on a ici. »

Des monts comme Saint-Bruno ou encore Yamaska ont leurs flancs partagés entre des centaines de propriétaires. Ce qui a fait la chance du Mont Saint-Hilaire tout au long de ces siècles, c'est de n'avoir eu qu'un seul maître à la fois, un maître soucieux de l'environnement . La montagne était le joyau de la seigneurie de Rouville appartenant à la famille Campbell au XIXe siècle. Puis, elle est passée aux mains du brigadier Andrew Gault au début du siècle dernier. Gault laissera la montagne en héritage à l'Université McGill en 1958 à la condition bien précise que l'on respecte son écosystème.

Et c'est exactement la mission que s'est donné le professeur Lechowicz : « Ce qui fait la spécificité de cet endroit, c'est la richesse de ses espèces. On y trouve au moins 600 espèces de plantes. Or, dans la région montréalaise, il y en a 1800 au total. Donc, un tiers de la flore de notre région se retrouve sur cette montagne, à la portée de la main… »

Une trentaine des 64 espèces de fougères recensées au Québec ont élu domicile ici. À travers les 600 espèces de fleurs, l'œil averti va sûrement reconnaître l'asclépiade géante, ou encore l'orchidée, la galearis remarquable, l'élégante sanguinaire et bien sûr, l'ancolie du Canada. Au Mont Saint-Hilaire, un brin d'herbe n'est pas seulement un brin d'herbe! La biodiversité ne saute pas toujours aux yeux : tout est dans le détail. On a littéralement cartographié les herbes et leur répartition! C'est avec cet œil « botanique » affûté que des étudiantes s'apprêtent à passer au peigne fin un hectare de végétation. Toute la montagne sera ainsi scrutée afin de faire l'inventaire de sa faune et sa flore, hectare par hectare.

Déjà, on est en mesure de montrer du doigt des intruses, des plantes européennes. Car la montagne n'a pas réussi à garder sa virginité : « Nous avons des visiteurs qui viennent et c'est bien; mais ils traînent avec leurs souliers des graines de plantes européennes qui poussent dans leur jardin ou sur la route. Comme la forêt est dégagée et que c'est plus ensoleillé dans les sentiers, ces graines prennent racine et se répandent dans la forêt. »

Sur l'autre versant de la montagne, la compagnie Poudrette exploite cette carrière depuis plus de 40 ans. Curieusement, elle attire aussi des dizaines et des dizaines de curieux; ils viennent de partout. Ce sont des collectionneurs de minéraux. Laszlo Horwart et sa femme viennent ici depuis 30 ans. Ils ont amassé une collection impressionnante de plus de 10 000 spécimens. Comme tous les collectionneurs, c'est la beauté et l'originalité des cristaux qui les attirent. Ils ont comme noms : carletonite, polylithionite et quartz fumé. « Ici, dans une si petite superficie, on en retrouve 330 ou 340 espèces, nous dit M. Hénault. Imaginez, c'est beaucoup; cela représente environ 10 % du nombre total de minéraux trouvés dans le monde entier. »

C'est à l'origine même du Mont Saint-Hilaire qu'il faut remonter pour comprendre la formation de ces minéraux. C'était il y a 124 millions d'années. Et contrairement à la rumeur, le Mont Saint-Hilaire n'est pas un volcan éteint. Pourtant, tout comme les autres Montérégiennes, il est le résultat de la montée de roches en fusion. Ce magma en ébullition s'est infiltré dans les fractures de l'écorce terrestre. En se rapprochant de la surface, il s'est refroidi et s'est solidifié pour former ce qu'on appelle une masse de roches intrusives. Avec le temps, l'érosion des roches sédimentaires a permis de donner naissance au Mont Saint-Hilaire et à ses sœurs, les Montérégiennes. À l'aide des gaz emprisonnés dans ces roches, de magnifiques cristaux se sont formés. Les experts s'entendent pour dire qu'au moins 16 spécimens de minéraux sont uniques au Mont Saint-Hilaire. C'est le cas de la sérendite par exemple.

Malgré tout, le passant est toujours surpris et attristé de voir cette blessure ronger le flanc de la montagne. Ceux qui exploitent la carrière ont maintenant atteint la limite du domaine de l'Université McGill. Ils vont plutôt continuer de creuser en profondeur.

Le Mont Saint-Hilaire n'est pas à l'épreuve du morcellement pour autant. La montagne est littéralement assiégée par le développement urbain. Mais, les citoyens veillent au grain. Certains se sont récemment battus pour interdire un développement domiciliaire qui menaçait un résident bien spécial. Le Mont Saint-Hilaire héberge un des rares nids de reproduction du faucon pèlerin au Québec. Les couples y viennent régulièrement depuis plus de 15 ans et on veut garder ces locataires encore longtemps….

Défi de taille que celui du Mont Saint-Hilaire. Justifier son titre de Réserve de la Biosphère tout en respectant les intérêts des résidents, des visiteurs et des exploitants exige beaucoup de doigté. Car tout le monde veut son petit bout de montagne, même les visiteurs occasionnels.

Journaliste : Hélène Courchesne
Réalisatrice : Francine Charron
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton