Le 27 mai 2001

Neptune et Uranus attaquent !

Chaque jour des milliers de météorites viennent brûler dans l'atmosphère terrestre. Certaines ne se consument pas totalement et s'écrasent sur le sol en faisant des cratères parfois énormes.

Ce fut le cas il y a 65 millions d'années. Résultat : la fin des dinosaures. Il y a 245 millions d'années, un autre impact effroyable venait pratiquement effacer la vie à la surface de la Terre.

Mais tout cela n'est rien en regard du formidable cataclysme cosmique qui s'est produit il y a 3,9 milliards d'années et qui a ravagé notre planète pendant 100 millions d'années.

Selon une hypothèse audacieuse, ce cataclysme a été causé par la naissance des planètes Neptune et Uranus. Cela remet en cause ce qu'on croyait jusqu'à maintenant, c'est-à-dire que toutes les planètes du système solaire se sont formées en même temps.

Luke Dones, chercheur au Space Studies Department du Southwest Research Institute au Colorado, est l'un des auteurs de cette théorie : « En gros, notre théorie, c'est que Uranus et Neptune se sont formées plus tard que les autres planètes. Et que leur formation a déclenché une pluie de comètes qui ont traversé tout le système solaire et qui ont causé plusieurs des gros cratères que l'on voit sur la Lune. »

Les énormes cratères lunaires ont toujours fasciné les chercheurs. Pendant le programme Apollo, des astronautes américains s'y étaient d'ailleurs posés. Ils avaient alors ramassé quelques centaines de kilogrammes de roches pour ensuite les rapporter sur Terre. L'analyse de ces roches a donné un résultat stupéfiant. Aucune n'est plus vieille que 3,9 milliards d'années, alors la formation même de la Lune est pourtant estimée à plus 4,5 milliards d'années. Une différence inexplicable de 600 à 700 millions d'années…

D'autres chercheurs ont observé le même décalage, mais à partir des météorites lunaires qui frappent chaque année la Terre. Ces roches en provenance de la Lune n'ont, elles aussi, jamais plus de 3,9 milliards d'années. « Ces météorites proviennent de partout sur la Lune. C'est la preuve qu'il s'est donc passé un événement d'une envergure cosmique », souligne Luke Dones.

Les spécialistes s'entendent : un cataclysme d'une ampleur inégalée s'est manifesté à l'échelle du système solaire il y a 3,9 milliards d'années. Un cataclysme tel qu'il a littéralement enseveli la Lune sous un manteau de roche. Certains scientifiques pensent que ce cataclysme aurait pu être causé par la collision de deux gigantesques astéroïdes.

Quant à Luke Dones, il conteste l'existence d'astéroïdes aussi gros à cette période de l'histoire du système solaire : « Pour cela, il aurait fallu que se brisent deux immenses astéroïdes tard dans l'histoire du système solaire. Or, les objets ont tendance à se déplacer plus rapidement au centre du système solaire que dans les régions externes. Il aurait donc été difficile pour une telle masse de demeurer intacte jusqu'au moment où les impacts sur la Lune se sont produits. »

Pour expliquer l'intense pluie de débris célestes qui est venue s'écraser sur la Lune, il ne reste donc plus que la formation tardive de grosses planètes comme Uranus et Neptune. Selon Luke Dones, voici comme les choses se seraient passées. À l'époque, le système solaire comprenait déjà les petites planètes de l'intérieur comme Mercure, Vénus, la Terre et Mars, de même que les colossales planètes gazeuses que sont Jupiter et Saturne. Au-delà, une ceinture de débris cosmiques parfois gros comme des montagnes formait un immense nuage. Les plus gros débris auraient commencé à se fusionner, sous la force de la gravitation. C'est ce qu'on appelle l'accrétion, le processus par lequel une planète commence à se former.

À mesure qu'Uranus et Neptune accumulaient la matière autour d'elles, elles déstabilisaient la fine mécanique céleste de toute la région. « Si cette région est constituée de petits débris, généralement stables, ils ne quitteront par leur trajectoire. Mais si vous avez quelque chose de très massif, 5 ou 10 fois la masse de la Terre par exemple, vous avez alors un élément perturbateur qui pourrait déstabiliser complètement l'orbite de ces petits débris et les pousser vers les planètes intérieures et leurs lunes », explique Luke Dones.

Happés par le tourbillon gigantesque que sont des planètes en formation, la majeure partie des débris cosmiques ont été expulsés vers l'extérieur pour devenir ce qu'on appelle aujourd'hui la ceinture de Kuyper. C'est de là que proviennent les comètes, comme celle de Halley, qui viennent parfois nous visiter. L'autre partie de ces débris a été précipitée vers le Soleil. Pendant 100 millions d'années, ils ont martelé sans relâche toutes les planètes de l'intérieur, y compris la Terre, bien qu'elle n'en ait gardé aucune trace.

« Comme la Terre est très active géologiquement, il reste très peu de croûte terrestre datant de cette époque. Selon notre théorie, nous estimons à une douzaine les impacts majeurs sur la Lune. Et comme la Terre est beaucoup plus grosse que la Lune, il faudrait compter 200 impacts majeurs sur notre planète. La difficulté est de trouver aujourd'hui des traces de ces impacts », précise Luke Dones.

La preuve définitive de cette belle théorie ne sera faite que dans plusieurs années, lorsque des sondes cosmiques rapporteront de Mercure, de Vénus, de Mars ou même des lunes de Jupiter, des roches qui seront âgées, elles aussi, de 3,9 milliards d'années. La démonstration sera alors faite que l'entrée d'Uranus et Neptune dans la communauté des planètes libres de notre système solaire aura été tardive et fracassante.

Journaliste : Mario Masson
Réalisatrice : Jeannita Richard
Adaptation pour Internet : Isabelle Montpetit


Pour en savoir plus :

Luke Dones
Site du chercheur Luke Dones, incluant ses publications scientifiques

Solar system exploration - Neptune
Solar system exploration - Uranus
Données sur Neptune, Uranus et leurs satellites

Neptune
Uranus
Ces deux site contiennent de nombreuses photos prises par la sonde Voyager 2