Le 27 mai 2001

Le lait

On a toujours vanté les mérites du lait. Une source abondante, économique et facile à consommer de plusieurs minéraux, vitamines et protéines. Le lait est surtout une grande source de calcium essentielle pour la croissance et le maintien de notre ossature. Selon le Guide alimentaire canadien, on peut en consommer en grande quantité, jusqu'à quatre tasses par jour, sans effet secondaire. Le lait a longtemps été considéré comme un aliment « parfait ». Mais il est maintenant l'objet d'une controverse. Découverte vous présente cette récente remise en question des vertus du lait.

Neil Barnard ne boit plus de lait. Ce médecin de Washington est à l'origine de la plus récente controverse concernant la vache sacrée de notre alimentation. Le Dr Barnard est à la tête d'une organisation végétarienne qui regroupe plus de 5000 médecins et 100 000 membres.

« Quand on regarde le gras contenu dans le lait qui contribue à l'obésité et qui augmente le risque des maladies cardiaques, nous dit Dr Neil Barnard président du Physicians Committe for Responsible Medicine. Quand on regarde le sucre dans le lait, le lactose qui représente 55 % de toutes les calories du lait écrémé. Et quand on regarde la contribution du lait au cancer de la prostate et le fait qu'il n'est d'aucune aide contre l'ostéoporose, le verdict est clair : on n'a pas besoin du lait! »

Le Dr Barnard s'est attaqué à une grande campagne de publicité de l'industrie laitière américaine évaluée à plus de 180 millions de dollars. Des vedettes ont posé avec de généreuses moustaches vantant les mérites du lait. Il prétend que les plus récentes études scientifiques prouvent que la consommation de lait pose un risque pour le cancer de la prostate et ne prévient pas l'ostéoporose.

Pourtant, on a toujours prétendu qu'une consommation régulière de lait tout au long de la vie pouvait prévenir l'ostéoporose. L'ostéoporose, la fragilisation des os, est une maladie qui touche une femme sur cinq après la ménopause. Une condition qui est d'abord héréditaire. Entre l'âge de 50 et 55 ans, la baisse d'estrogène peut, au total, faire diminuer la masse osseuse de 30 % à 40 % conduisant à des fractures osseuses. Plusieurs facteurs peuvent influencer la sévérité de l'ostéoporose : le manque d'exercice, la diète, le tabac, l'alcool et même la prise de certains médicaments.

Donc, le rôle du lait est-il si déterminant?

Pas s'il faut en croire une vaste étude épidémiologique de l'Université Harvard. Les chercheurs ont suivi 77 000 infirmières, c'est-à-dire plus que l'ensemble des infirmières du Québec - pendant douze ans. Ils en arrivent à la conclusion que la consommation de lait n'a aucun incidence sur le risque de fractures.

Walter Willett est l'initiateur de cette importante étude. Depuis plusieurs années, son équipe remet en question le rôle soit disant préventif du calcium dans la diminution des fractures associées à l'ostéoporose : « Le calcium est absolument essentiel, explique le Dr Walter Willett de la Harvard School of Public Health. Il fait partie d'une diète saine et nous savons qu'il nous aide à développer notre ossature. Mais une question plus complexe et plus importante est de savoir combien de calcium nous avons vraiment besoin et sous quelle forme? La réponse est probablement que la majorité des gens obtiennent le calcium nécessaire dans leur diète. D'ajouter plus de produits laitiers ne réduit pas le risque de fractures. »

Consommer un surplus de calcium tout au long de la vie ne fait donc aucune différence pour la simple raison que l'on ne peut pas emmagasiner ce surplus dans nos os. On atteint notre masse osseuse optimale à 20 ans et tout ce que l'on peut faire c'est de la maintenir jusqu'à la ménopause. Après la perte osseuse de la ménopause, on suggère un plus grand apport de calcium pour maintenir ce qui reste de masse osseuse.

De quelle façon?

Il faudrait une très grande consommation de lait, équivalente à plus de cinq tasses par jour. La majorité des médecins recommandent donc des suppléments de calcium ou une hormonothérapie d'estrogène. Donc, le lait ne fait pas des miracles pour l'ostéoporose. Il semble avoir une influence sur une autre maladie qui touche les hommes.

L'Université Harvard a également produit une étude qui fait un lien entre la consommation de produits laitiers et le risque de développer le cancer de la prostate. Les chercheurs ont suivi près de 21 000 médecins pendant dix ans. Ceux qui consommaient deux portions et demi par jour avaient un risque 34 % plus élevé que ceux qui consommaient moins d'une demi portion par jour.

« Si ce n'était qu'une seule étude, on y porterait pas beaucoup d'attention, nous dit Walter Willett de la Harvard School of Public Health. Mais il y a plusieurs études qui ont démontré un risque accrue de cancer de la prostate lié à une grande consommation de lait. On croyait au début que c'était du à la présence de gras saturés dans le lait. Mais en y regardant de plus près, on a découvert que c'était le calcium qui était impliqué. »

Encore le calcium. L'hypothèse est que l'augmentation du calcium ferait diminuer le niveau de la forme active de la vitamine D dans le corps. Et c'est cette vitamine D active qui empêche le développement des cellules cancéreuses de la prostate.

« Il y a plusieurs études chez des animaux et en laboratoire qui démontrent que la forme active de la vitamine D bloque la croissance des cellules cancéreuses de la prostate, nous explique Walter Willett. Donc, un faible niveau de cette vitamine associée à une grande consommation de lait n'est peut-être pas une bonne idée. »

Et la vitamine D que l'on ajoute dans le lait ne devrait-elle pas compenser? Elle compense pour le manque de vitamine D dans les pays nordiques ou le soleil se fait rare. Mais cette forme synthétique n'arrive pas, en présence du calcium, à se transformer en forme active pour lutter contre le cancer. Une autre hypothèse expliquerait la baisse de vitamine D active. Il s'agirait de deux hormones, la testostérone et le facteur de croissance d'insuline, présentes dans le lait. Ces deux hormones seraient possiblement des promoteurs du cancer de la prostate.

En fait, la présence de ces hormones nous rappelle que nous sommes les seuls mammifères à se nourrir - tout au long de notre vie - du lait d'un autre mammifère. Il y a un autre effet du lait, mieux connu et depuis longtemps : l'intolérance au lactose.

Dans la campagne publicitaire visée par le Dr Barnard, le cinéaste Spike Lee se délecte d'un verre de lait. Mais la réalité est tout autre. Comme la quasi-totalité des personnes de race noire, il est intolérant. En fait, les trois quarts de l'humanité le sont : la presque totalité des Asiatiques, des Noirs, des Amérindiens et des Hispaniques n'ont pas l'enzyme nécessaire pour digérer le lactose. 15 % des personnes de race blanche le sont également. Un pourcentage souvent sous-estimé par les médecins.

L'intolérance au lactose se manifeste par des maux de ventres, de la flatulence et de la diarrhée. L'industrie laitière prétend que l'on peut vaincre cette intolérance en s'acharnant à boire du lait : « Je ne crois pas qu'il y ait de preuves solides que vous allez développer une meilleure tolérance au lactose si vous buvez plus de lait, précise Walter Willett. Il n'y a aucune raison que ceux qui souffrent d'intolérance au lactose se voient forcer à boire plus de lait. Il n'y a tout simplement pas d'évidence que c'est bénéfique de toute façon. »

Le lait contient également des gras saturés, du cholestérol et des sucres. Ces ingrédients contribuent au fardeau calorifique, à l'obésité et au risque de maladies cardiaques chez les gens à risque. « La réalité c'est que la plupart des gens habitant au Canada et aux États-Unis consomment déjà trop de calories, nous dit le Dr Walter Willett. En fait, l'obésité est le plus grand problème en nutrition. Et le fait de boire trois verres de lait par jour, que ce soit du lait écrémé ou faible en gras, contribue de façon significative au nombre totale de calories et à l'embonpoint. »

Parce que le lait est une source facile et économique de calcium, le guide alimentaire canadien recommande jusqu'à quatre portions de produits laitiers par jour pour un adulte. Mais en fait près d'une quarantaine d'aliments contiennent d'importantes quantités de calcium.

Une portion, soit une tasse de lait, par exemple, contient 300 mg de calcium. On retrouve la même quantité dans une tasse et demi d'épinard ou de brocoli, dans une petite portion de saumon, de sardine ou de thon ou bien dans une tasse de différentes noix comme les amandes ou les noix du Brésil.

À la lumière de toutes ces données, quel est le verdict pour le lait?

« Bien, je crois que le verdict n'est pas encore rendu pour le lait, nous dit le Dr Walter Willett. Le public devra être patient en attendant que nous accumulions toutes ces preuves. Nous avons certainement besoin de plus d'études à long terme avant d'avoir la réponse finale. Mais en attendant, je crois qu'il serait préférable d'être un peu prudent et de ne pas se sentir obligé de boire trois ou quatre portions de lait par jour. Par contre, je ne pense pas qu'il faille complètement éviter le lait. Par exemple, un peu dans vos céréales, ou avec votre café ou thé, ou un morceau de fromage à l'occasion ne causeraient pas de problèmes parce que les quantités seraient minimes. Mais l'idée que nous devons consommer de grandes quantités pour notre santé n'est absolument pas prouvé. En fait, je crois qu'il y a des drapeaux rouges qui nous suggèrent que cela pourrait nous faire un certain tort. »

Ce que l'on découvre vient confirmer les deux grands credo de l'alimentation : consommer chaque aliment en modération et varier sa diète…

Journaliste : Michel Rochon
Réalisatrice : Chantale Théôret
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton

Hyperliens pertinents :

Le guide alimentaire canadien
Site de Santé Canada.
(En français)

Harvard School of Public Health
Site du centre américain de recherche en alimentation et en santé publique.
(En anglais)

Physicians Committee For Responsible Medecine
(En anglais)

Congrès mondial sur l'ostéoporose 2000
Études présentées lors de ce congrès.
(En français)