Le 27 mai 2001

L'hyperventilation

Entre 6 et 10 % de la population respirent trop. Ces gens éliminent plus de gaz carbonique que n'en produit leur organisme. C'est l'hyperventilation. L'individu voit double, est étourdi et il a la sensation de perdre conscience. Le pneumologue André Cartier a trouvé une solution toute simple au problème : enseigner la respiration. Ceux qui respirent trop, respirent mal. Ils ont une respiration thoracique plutôt qu'abdominale. Il suffit de leur apprendre à respirer « par le ventre » pour que leurs problèmes s'envolent.

Johanne Chalifour a toujours mené une vie très active sans problème de santé. Puis, peu à peu, les problèmes ont commencé. Premier symptôme : l'envie irrésistible de bâiller. « C'était vraiment obsédant. Je bâillais tout le temps, tout le temps, tout le temps. Et je prenais aussi de très, très grandes respirations comme tous les gens qui font de l'hyperventilation. Mais moi c'était surtout le bâillement. »

Mme Chalifour ressentait aussi un point au cœur. Une douleur constante à laquelle elle s'était habituée. Et en plus, il y avait des étourdissements, des vertiges et même des engourdissements. « Moi, j'avais seulement les doigts qui venaient tout engourdis. On ne les sent plus du tout, du tout. Il faut bouger, il faut faire vraiment des mouvements pour que cela revienne. On ne sent plus du tout les doigts. Des étourdissements très régulièrement j'étais très étourdie, dans la brume aussi, on se sent un petit peu parti, peut-être un peu comme les gens qui prennent des médicaments. »

Malgré tous ces problèmes, Mme Chalifour poursuivait ses activités, jour après jour, comme si de rien n'était : «Sauf que je finissais mes journées avec l'impression que j'avais 20 ans de plus. C'était assez pénible. » Et puis un jour, elle en a eu assez d'endurer tous ces malaises qui ne cessaient de s'amplifier. Il fallait faire quelques chose. Mme Chalifour s'est retrouvée en pneumologie à l'Hôpital du Sacré-Cœur à Montréal. On a mesuré sa capacité pulmonaire afin de vérifier si elle ne souffrait pas d'asthme.

Le pneumologue André Cartier, armé des résultats des analyses et sachant les symptômes de Mme Chalifour, n'a pas hésité à poser son diagnostic : syndrome d'hyperventilation. L'anxiété et le stress alliés à de mauvaises habitudes respiratoires aboutissent souvent à ce diagnostic. « Le problème n'est pas au niveau des poumons qui fonctionnent de façon normale, nous dit le Dr André Cartier. D'ailleurs, c'est ce qui se passe, vous les faites fonctionner un petit peu trop. Quand vous faites un effort physique, quand vous faites des soupirs, quand vous bâillez, qu'est-ce qui se passe? En fait, c'est le gaz carbonique qui chute et quand le gaz carbonique chute, ça explique tous les symptômes que vous avez. »

Lorsque l'on respire, on inspire pour faire le plein d'oxygène et on expire pour éliminer le gaz carbonique que produit l'organisme. Mme Chalifour a développé de mauvaises habitudes respiratoires : elle respire trop. Elle élimine plus de gaz carbonique, le CO2, que son corps n'en produit. Cela crée un déséquilibre. Une certaine quantité de CO2 doit être présente dans le sang. Lorsque le gaz carbonique diminue trop, lorsqu'il tombe sous le seuil critique, cela provoque la contraction des artères. Les artères étant plus petites, le sang circule moins bien et a de la difficulté à fournir les organes.

Le résultat ne se fait pas attendre : la livraison d'oxygène au cerveau peut être réduite de 50 %. Les étourdissements, la sensation de flotter dans les nuages, apparaissent. Engourdissement des mains, des pieds, point au cœur, spasmes musculaires, maux de tête. Une kyrielle de symptômes apparaissent. Or, il n'est pas toujours facile de mettre le doigt sur le problème.

Le Dr André Cartier est un pionnier au Québec dans le traitement du syndrome d'hyperventilation. Souvent, ses patients ont vu plusieurs spécialistes avant d'aboutir à son bureau : « C'est le syndrome des gros dossiers parce que ces patients voient plusieurs médecins. Ils voient le neurologue, le gastro-entérologue parce qu'ils ont de la flatulence, de la douleur abdominale, un colon irritable, ils ont toujours l'impression d'avoir une boule dans la gorge. Ils voient le pneumologue parce qu'ils sont essoufflés, ils ont des douleurs thoraciques. Ils voient le cardiologue parce qu'ils ont des douleurs thoraciques. Alors ces gens voient une foule de spécialistes qui ne règlent jamais leur problème parce qu'ils ne voient aucune pathologie. Il n'y a personne qui pense à faire le diagnostic. C'est essentiellement, je pense une mauvaise habitude de respiration, les gens respirent mal. »

La solution : la rééducation respiratoire. La majorité des gens qui souffrent d'hyperventilation chronique ont une respiration thoracique. Lorsqu'ils respirent, leur poitrine se gonfle en haussant les épaules. C'est une respiration contre-nature qui demande beaucoup d'effort. Voici la bonne façon de respirer : on inspire par le nez. Le diaphragme se contracte et descend. En s'abaissant, il permet aux poumons de gagner en volume. L'air pénètre profondément dans les poumons. En même temps, le diaphragme pousse sur les viscères et fait gonfler le ventre. Puis, lors de l'expiration par la bouche, le diaphragme se relâche et remonte. Les poumons se vident. C'est un mouvement naturel, nécessitant peu d'énergie. Mais gonfler le ventre n'est pas toujours approprié. Il existe une véritable tyrannie du ventre plat qui favorise la respiration thoracique au détriment de la respiration abdominale.

Les diktats de la mode et la hantise de la minceur à tout prix bannissent les ventres qui se gonflent. Tous ceux qui succombent aux impératifs du ventre plat et adoptent une respiration thoracique risquent beaucoup plus de faire un jour de l'hyperventilation chronique. « Surtout les femmes quand elles arrivent ici, elles nous disent : Mais il faut respirer par le ventre? Mais on a jamais respiré par le ventre, nous dit Irène Skyllas, inhalothérapeute. Très souvent les femmes vont dire : On n'a jamais respiré par le ventre. Quand on vient au monde, on respire par le ventre. »

Il faut aussi apprendre à respirer moins vite. Environ 10 à 12 respirations par minute. Les hyperventilateurs roulent beaucoup plus rapidement, jusqu'à 40 respirations par minute. Ils doivent apprendre à faire des pauses, à ralentir le rythme. « Il faut que les gens comprennent que leur problème ne sera pas peut-être pas réglé en deux mois, mais pas en deux minutes, nous explique le Dr Cartier. Ce sont eux qui doivent faire les efforts. Ils doivent eux-mêmes corriger leur respiration. On ne leur donne pas une pilule miracle. On leur montre ce qui se passe, ce qui est tout de travers et on leur dit, c'est à vous à travailler pour corriger cela. »

À la maison, Mme Chalifour fait ses exercices. Respirer par le nez, utiliser le diaphragme, gonfler le ventre, faire des pauses. Ce n'est pas toujours facile de changer ses habitudes respiratoires.

« J'ai tellement ressenti le bien-être tout de suite que j'ai vraiment mis l'accent sur ça, nous dit Mme Chalifour. Moi, j'ai vraiment, vraiment fait un effort parce que je savais que cela allait me faire respirer par le nez et non la bouche, et c'est probablement pour ça que la douleur de la poitrine a disparu assez rapidement, parce que c'est ça qui faisait que j'avais la grande douleur le fait que je respirais par la poitrine au lieu de l'abdomen. Alors j'ai tout de suite vu la différence. Ça n'a pas coupé à 100 % mais j'ai ressenti une amélioration progressive. »

Aux grands maux, il ne faut pas toujours de grands remèdes. Le simple fait de bien respirer peut faire toute la différence.

Journaliste : Claude D'Astous
Réalisatrice : Yves Lévesque
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton