Le 6 mai 2001

Le nouveau chasmosaure

La découverte de nouvelles espèces emprunte souvent des voies inusitées. Surtout quand elles ont vécu il y a des millions d'années. C'est le cas d'une nouvelle espèce de dinosaure à corne, le chasmosaure, dont le squelette complet a été découvert dans les Badlands de l'Alberta en 1958. Mais à l'époque, les paléontologues ignoraient qu'ils venaient de trouver un nouveau type de dinosaure. Quarante ans plus tard, des chercheurs ont décidé d'examiner ce squelette. On voulait vérifier le mode d'articulation des membres antérieurs au squelette principal. Mais, à cause d'une erreur au moment de l'ouveture du sarcophage protégeant le fossile, les chercheurs ont été détournés de leur projet et se sont rendus compte qu'ils avaient affaire à un membre inconnu de la famille. Aujourd'hui, les amateurs peuvent admirer ce beau chasmosaure, sa collerette, ses cornes et son bec semblable à celui d'un perroquet, au Musée canadien de la nature, à Ottawa.

Les Badlands, près de la rivière Red Deer, en Alberta, ont été fréquentés il y a des millions d'années par plus de soixante espèces de dinosaures. En 1958, des chercheurs font une trouvaille exceptionnelle : un fossile complet. De toute évidence, il s'agit d'un dinosaure à corne, probablement l'une des trois espèces de chasmosaures déjà connues des spécialistes.

Comme il n'est pas question de le dégager sur place, on lui a construit un sarcophage en plâtre. Cette façon de faire facilite le transport vers le laboratoire. La précieuse cargaison a donc été déposée parmi la vaste collection du Musée canadien de la nature à Ottawa. Oubliée de tous, elle y est restée plus de trente ans. Puis, au début des années 1990, les chercheurs s'intéressent enfin à ce spécimen. On croit alors que ce sarcophage va fournir la réponse à une question controversée qui préoccupe les paléontologues. Comment les membres antérieurs de la grande famille des dinosaures à corne, appelés céraptopsiens, s'articulent-ils à partir du squelette principal? Plusieurs doutent que la représentation habituelle soit la bonne. L'articulation, semblable à celle d'un lézard, serait trop arquée.

On se met donc à l'ouvrage pour dégager ces ossements de leur matrice rocheuse. D'après les notes des archéologues, le chasmosaure a été trouvé couché, ses quatre pattes repliées sous lui. En principe, ce sont des conditions idéales pour résoudre l'énigme. Mais la réponse n'est pas du tout celle que l'on attendait.

« C'est assez incroyable! Nous avons voulu ouvrir le sarcophage pour examiner les membres mais nous avons ouvert du mauvais côté, du côté du crâne, et là, nous avons découvert que c'était une nouvelle espèce, nous dit Clayton Kennedy du Musée canadien de la nature. Nous avons tous été extrêmement surpris de trouver une nouvelle espèce de cératopsiens, surtout après tant d'années passées sur les tablettes. »

En fait, la crâne et la collerette dégagés dès le début ont fourni les éléments-clés pour l'identification d'une nouvelle espèce. La collerette du chasmosaure est formée d'une large plaque osseuse située derrière la tête. Cette plaque n'est pas entière; elle est percée de deux orifices recouverts de peau, ce qui en allège le poids. Ces éléments étaient suffisants pour tenter une première esquisse de la tête de l'animal. La représentation va se préciser au fur et à mesure de la progression des fouilles. Sa taille se compare à celle d'un rhinocéros. La texture de la peau s'inspire d'une empreinte réelle trouvée dans la pierre.

Les chasmosaures et les tricératops font partie du bestiaire des dinosaures à corne. Avec cette nouvelle espèce, la famille s'agrandit. Ces reptiles ont un trait en commun : une impressionnate collerette. À quoi peut-elle bien servir? Plusieurs hypothèses ont été émises. Protection contre les ennemis, régulation de la température interne ou encore élément de séduction.

« Il y a beaucoup de variations entre les collerettes, chez les cératopsiens, alors qu'au contraire, leurs machoires, leurs becs et leurs façons de manger sont à peu près similaires, nous dit Clayton Kennedy. Cela nous porte à croire que le rôle des collerettes est plutôt décoratif qu'utilitaire. »

Lorsque l'on regarde la tête de notre nouveau chasmosaure, un détail saute aux yeux. L'espèce est dotée d'un bec recourbé qui évoque celui d'un perroquet. En réalité, ce bec crochu est assez fréquent chez les dinosaures herbivores. Ce bec leur permet de trouver leur nourriture dans le sol, mais aussi de s'attaquer à des fruits aussi coriaces qu'une noix de coco.

Depuis peu, au Musée canadien de la nature, le public peut donc admirer le chasmosaure grandeur nature, qui a vécu il y a 72 millions d'années en Alberta. Les paléontologues ont percé le secret de l'articulation de ses membres antérieurs. Elle est plus verticale, c'est-à-dire moins arquée que celle du lézard.

En contemplant cet animal, on pourra rêver à toutes les autres espèces inconnues qui dorment encore dans les sarcophages des musées, et qui attendent, elles aussi, de sortir de l'anonymat.

 


Journaliste : Solange Gagnon
Réalisateur : Pascal Gélinas
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton

Hyperlien pertinent :

Musée canadien de la nature
Site officiel du musée.
(En français)