Le 22 avril 2001

Attention, requins protégés!

Le requin taureau est l'un des plus gros requins présents dans presque toutes les mers du globe. On le rencontre également dans les eaux côtières canadiennes. À l'Aquarium de la Nouvelle-Orléans, des chercheurs tentent une première mondiale : la reproduction en captivité de cette espèce. Car il est grand temps, disent-ils, de protéger cette espèce injustement détestée, pêchée et sur-pêchée, qui est même menacée de disparition dans certaines régions du monde. Tout cela à cause d'un seul prédateur : l'homme.

Les requins ont un corps fuselé et une mâchoire impressionnante. Selon certains, ce nom viendrait du latin requiem - une référence à la mort rapide qu'ils provoquent lorsqu'ils s'attaquent aux humains. Ils vivent surtout la nuit, dans toutes les mers du globe, croisant lentement, à la recherche de proies. On en compte 350 espèces, dont celle du requin taureau.

L'Aquarium de Nouvelle-Orléans en élève une vingtaine, dans un gigantesque bocal. Un bocal où l'on imite les cycles de lumière de leur habitat naturel. La température et la salinité de l'eau sont aussi soigneusement ajustées, selon les saisons. Si on accorde autant de soin à leur environnement, c'est que l'on veut qu'ils se reproduisent. Les requins taureau vivent bien en captivité, mais aucun ne s'y est jamais reproduit.

Mais pourquoi donc tant d'efforts pour un animal universellement craint ou détesté?

« Tout d'abord, ce sont des animaux formidables! S'ils ont acquis une mauvaise réputation, c'est surtout à cause de nous, à force de désinformation et de mauvais films, et ce n'est pas justifié, nous dit John Hewitt, biologiste à l'Aquarium des Amériques en Nouvelle-Orléans. Dans l'environnement, ils jouent un rôle très utile. En se nourissant des poissons faibles, malades ou blessés, ils opèrent une sélection naturelle. Ils gardent les océans et les stocks de poisson en santé, ce qui est important pour l'équilibre de l'environnement. Les éliminer ou réduire fortement leur nombre pourrait avoir de sérieuses conséquences, qui seraient ressenties partout sur la planète. »

Ce qui menace le plus le requin taureau, c'est la pêche côtière. Comme il habite dans les eaux peu profondes, il est souvent pris dans les filets des chalutiers, en même temps que des espèces commerciales. Au Canada, on en trouve au large de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, mais il ne semble pas trop menacé. Aux États-Unis, la situation est différente. Il a été surpêché, et depuis peu, on l'a classé comme une espèce totalement protégée.

« Malheureusement, les requins taureau, comme beaucoup d'espèces de requins dans le monde, ont été victimes des humains, nous explique John Hewitt. Ce sont des prédateurs situés au somment de la chaîne alimentaire, ils se reproduisent lentement, et pour eux, faire face à une pression créée par les humains est très difficile. Nous les pêchons commercialement, et ils sont très populaires au menu des restaurants. Ils sont aussi capturés par hasard dans les filets, ou simplement tués pour le plaisir, parce que les gens en ont peur. »

À l'Aquarium de la Nouvelle-Orléans, si on soigne l'habitat des requins, on leur offre aussi une diète équilibrée. Les requins taureau ne mangent que deux fois par semaine, uniquement du thon de première qualité, comme dans les meilleurs restaurants. Parfois, on ajoute une bonne dose de vitamines.

Mais malgré tout cela, le succès en matière de reproduction tarde à venir. Pour le moment, pas de bébé requin en vue.

« Nous allons adopter une approche plus agressive, nous dit John. Hewitt. Par des injections à des femelles bien conditionnées, nous pensons les induire à ovuler ce printemps, ce qui serait leur période normale de reproduction. Elles vont alors secréter des phéromones qui déclencheront l'accouplement chez les mâles, et nous serons alors sur la bonne voie. »

Et si cela ne fonctionne pas, les chercheurs prendront les grands moyens : « Si les mâles n'adoptent pas le comportement reproducteur que nous cherchons, alors nous sortirons un dernier tour de notre sac à malice, précise John Hewitt. Cela consiste à récolter les œufs de la femelle, le sperme des mâles, et littéralement créer un bébé-requin en éprouvette, que nous implanterons ensuite dans l'utérus d'une femelle. »

Les requins ne sont pas prolifiques. Tous les deux ans - dans le meilleur des cas - la femelle met bas deux petits. Récemment, les chercheurs de l'Aquarium des Amériques auraient observé un début d'étreinte amoureuse entre requins. Ils sont donc confiants.

Par leur projet de reproduction en captivité, ils veulent fournir des spécimens à d'autres musées de la mer ou centres de recherche. Mais il veulent surtout sensibiliser le public au sort méconnu de ce grand poisson. Protéger les requins, pourquoi pas? Après tout, ce sont nous, les humains qui les menaçons!

Journaliste : Jean-Pierre Rogel
Réalisatrice : Hélène Naud
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton