Le 29 avril 2001

Diabète : la fin des seringues?

Une percée canadienne dans le traitement du diabète. C'est la réussite d'une équipe de cinq chercheurs de l'Université de l'Alberta et de leurs patients souffrant du diabète le plus sévère. Des transplantations de cellules du pancréas ont remplacé les injections d'insuline. Voici l'histoire d'une équipe canadienne qui espère marquer la science 80 ans après la découverte de l'insuline et qui redonne un nouvel espoir à des millions de diabétiques.

Guérir le diabète avec une dernière injection. Les personnes diabétiques le souhaitent. Les chercheurs en rêvent.

« Trente ans à y penser, trente ans à dire que ça fonctionne, nous dit le Dr Ray Rajotte, directeur de l'Institut de recherche en chirurgie médicale de l'Université de l'Alberta. Les livres d'histoire parleront d'une percée majeure dans le traitement du diabète. »

En 1989, l'équipe du Dr Rajotte réussit une greffe étonnante. Il s'agit d'une première au Canada et d'une deuxième au monde. Des cellules du pancréas sont implantées dans le foie humain. Pourquoi cette greffe dans un corps étranger? Le problème des patients diabétiques de type 1, c'est qu'ils n'ont plus du tout de cellules productrices d'insuline. Chose déconcertante, leur système immunitaire les détruit dès l'enfance. Aucune chance de réussir une greffe dans le pancréas. Par contre, ces cellules du pancréas s'enracinent facilement aux tissus du foie. Dans cet organe étranger, elles recommencent très rapidement à produire de l'insuline.

À l'époque, le traitement expérimental requiert des médicaments anti-rejet puissants. Le Dr Rajotte se tourne vers les pires cas. Ceux dont la maladie est tellement avancée qu'ils leur faut une greffe de reins. Ils doivent par le fait même prendre les fameux médicaments anti-rejet considérés comme dangereux.

« Nous avons démontré que ça fonctionnait même chez les patients les plus malades, explique le Dr Rajotte. »

Après les premières transplantations de 1989, les patients ont recommencé à produire de l'insuline. Mais trop peu. Le Dr Rajotte double la dose alors en ajoutant aux cellules fraîchement prélevées de cellules congelées. Les chercheurs obtiennent ainsi de meilleurs résultats. La Canadienne Marge Heayne a vécu sans injection pendant deux ans et demi. Le meilleur résultat au monde. Malheureusement, Mme Heayne doit retourner aux injections. Les cellules transplantées finissent par mourir. Les chercheurs ne savent pas pourquoi.

« De 1989 à 1998, le taux de succès à travers le monde n'était que de 8 %, nous dit le Dr Rajotte. Nous étions tous déçus. »

À partir de 1993, l'intérêt tombe. Pendant cinq ans, le centre de l'Université de l'Alberta, l'un des leaders, ne fait plus aucune greffe. Le programme piétine. La plupart des centres mondiaux de transplantation de cellules ferment leurs laboratoires.

« Vous aurez probablement plus d'échecs que de réussites, mais il ne faut pas se laisser abattre. Tôt ou tard, 5 % des initiatives se transforment en succès. Il faut persister. »

En 1998, le Dr Rajotte persévère et relance la recherche. Son génie est aussi de bien s'entourer. Il rapatrie des États-Unis deux anciens étudiants du département, partis pour se perfectionner. Deux amis ambitieux : le Dr Jonathan Lakey, spécialiste de l'isolement et de l'extraction des cellules, et le chirurgien spécialiste des médicaments anti-rejet, le Dr James Shapiro. Ce dernier deviendra le directeur des tests cliniques. Un choix qui va considérablement transformer la méthode de travail.

« Nous avons décidé de lui offrir le poste de directeur pour qu'il reste à Edmonton et parce que nous reconnaissions que son talent ferait avancer le programme, explique le Dr Rajotte. »

« Je leur ai dit que j'accepterais le poste de directeur, seulement si j'avais carte blanche pour changer le protocole comme le Dr Lakey et moi l'envisagions, précise le Dr Shapiro. »

« J'étais prêt tout comme les autres à essayer de nouvelles idées différentes, avoue le Dr Rajotte. Pourquoi pas? Auparavant, ce n'était pas parfait. »

Les Drs Shapiro et Lakey se rendent alors en Allemagne. Ils analysent les dossiers de 400 patients à travers le monde qui ont subi une transplantation des cellules du pancréas. Ils constatent que les échecs sont causés en grande partie par les médicaments anti-rejet à base de stéréoïdes. Des médicaments, utilisés pour préserver les reins, qui accélèrent cependant la destruction des cellules productrices d'insuline.

« Il semblait y avoir une tendance, précise le Dr Shapiro. Les médicaments et le nombre de cellules étaient incorrects. Certaines protéines semblaient même nuire aux fonctions de la greffe. »

D'abord, le Dr Shapiro conçoit sur mesure un nouveau cocktail de médicaments. Ensuite, il n'utilisera plus les cellules congelées. Dorénavant, les cellules provenant d'un don d'organe seront immédiatement prélevées et greffées. Finalement, le choix des patients est remis en question.

Le Dr Edmond Ryan traite en clinique les personnes atteintes du diabète le plus sévère. Il est impatient d'offrir un traitement efficace. Il insiste pour sélectionner des patients moins malades, mais dont la vie est tout de même rendue extrêmement pénible par de nombreux comas. Un premier patient, Bryon Best, se présente plus tôt que prévu.

« Nous avions un patient avec un grave problème d'hypoglycémie, nous dit le Dr Ryan. Une vraie chance d'avoir à la fois l'équipe, un pancréas et un patient. »

Le grand problème éthique du Dr Ryan est de s'assurer que le patient comprend bien que le traitement comporte des dangers. Comme pour toute greffe, il faut des médicaments anti-rejet. Le nouveau coktail du Dr Shapiro soulève des inquiétudes. Trois médicaments très puissants, dont deux, ne sont pas encore homologués en Amérique du Nord. Des médicaments à prendre à vie.

« Ce n'est pas un remède mais un pas en avant, explique le Dr Ryan. Les patients ne prennent plus d'insuline mais des médicaments qui affaiblissent leur système imunitaire. Ils échangent leurs injections contre des médicaments qui affaiblissent leur système immunitaire. »

Ce troc a un coût élevé. D'abord, l'affaiblissement à vie du système immunitaire et le risque de développer un cancer lymphatique. Le premier patient accepte d'être cobaye parce qu'il n'a plus rien à perdre : « Avant ma vie était un enfer, nous dit M. Best. »


« Nous avons obtenu la permission du comité d'éthique, ajoute le Dr Ryan. La patient a signé. Il comprenait qu'il participait à la recherche et nous ne savions pas si ça fonctionnerait.»

Le Dr Lakey doit être prêt à tout moment, jour et nuit, à isoler les minuscules cellules du pancréas. Le temps presse pour assurer la survie des cellules. Son travail est long et minutieux. Six à huit heures en laboratoire pour obtenir l'équivalent d'une cuillère à thé de cellules productrices d'insuline. Des cellules agglutinées, appelées îlots de Languerhans. Des cellules qui sont détachées des tissus du pancréas.

« Il y a si peu d'îlots dans le pancréas que nous avons dû développer de nouvelles techniques, nous dit le Dr Lakey. C'est loin d'être fini car pour soigner chaque patient nous avons besoin de deux donneurs. »

La transplantation est en apparence très simple et ne dure que 15 minutes. Quelques dernières injections mais cette fois avec des cellules productrices d'insuline. Les cellules du pancréas passent par la veine principale du foie et y sont fixées.

Pendant un an, l'équipe répète son expérience sur huit patients. Huit patients qui acceptent d'être cobayes. Chacun subit deux transplantations. Après chaque greffe, les médecins et leurs patients vivent avec la même incertitude. On ne sait pas si les greffes vont durer et pour combien de temps. Le 6 juin 2000, les chercheurs albertains annoncent leur réussite. Tous les patients ont rangé leurs seringues. Plus d'injection et plus de coma.

« Je reçois des courriels, chaque jour, du monde entier, des photographies d'enfants de trois, dix ans, chez qui le diabète vient d'être diagnostiqué. Et ils me demandent si leurs enfants peuvent recevoir ce traitement. »

Mais pour l'instant, il n'est pas question de traiter les enfants avec ces médicaments expérimentaux. Le risque est trop grand d'affaiblir leur système immunitaire, de les rendre vulnérables à toutes les maladies et peut-être même au développement d'un cancer.

Pourtant, cette thérapie crée l'un des plus grands espoirs chez les personnes atteintes du diabète le plus grave. L'ancienne administration Clinton a même investi cinq millions de dollars pour reproduire la réussite canadienne sur 40 patients dans dix centres nord-américains et européens. La découverte sera scientifiquement reconnue seulement si elle est répétée avce succès. On le saura vers 2002.

Mais entre-temps, le laboratoire d'Edmonton cherche à mieux comprendre le fonctionnement des cellules pancréatiques.

« Si nous savons exactement ce que nous injectons, nous pourrons déterminer ce qui fonctionne ou pas, nous dit le Dr Rajotte. Cela va nous aider à progresser. »

Et surtout, le traitement doit être plus accessible. Puisque les dons d'organes sont rares, les scientifiques sont en quête d'une nouvelle source de cellules productrices d'insuline chez les animaux.

« Pour réussir, nous devons trouver une nouvelle source de tissu et transplanter sans médicament, explique le Dr Rajotte.

« Cela serait extraordinaire car nous pourrions traiter les enfants, ajoute le Dr Shapiro. Pour nous, de traiter un enfant, chez qui le diabète veint d'être diagnostiqué serait l'accomplissement d'un rêve.»

Le besoin est réel et pressant. D'ici 25 ans, le nombre de personnes diabétiques dans le monde devrait doubler.

Journaliste : Marie-Reine Roy
Réalisatrice : Denis Chamberland
SRC Winnipeg
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton