Le 18 mars 2001

Le givre et les avions

Des chercheurs de l'Université McGill se penchent sur la bruine verglaçante, des gouttelettes de givre encore mal connues, qui sont difficiles à prévoir et qui peuvent causer bien des ennuis aux avions, petits et gros.

En hiver, lorsqu'il fait tempête, les techniciens des compagnies aériennes utilisent le glycol pour dégivrer les ailes de l'avion. Mais le givre peut aussi frapper en plein vol et là, il n'y a pas de glycol et ça peut être la catastrophe.

Le 16 décembre 1997, un Regional Jet d'Air Canada s'écrase à 23h48 à Fredericton au Nouveau-Brunswick. L'avion transportait 42 personnes. Neuf d'entre elles sont grièvement blessées. Les autres s'en sortent indemnes.

Le rapport d'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada conclut que « l'état du bord d'attaque des ailes ainsi que l'accumulation de givre sur les ailes survenue pendant que l'avion volait dans des conditions givrantes ont causé une dégradation des performances des ailes, c'est-à-dire que ces éléments ont empêché les ailes de fournir la portance nécessaire pour maintenir l'appareil en vol. »

C'est à cause d'accidents comme celui-ci qu'une équipe de l'Université McGill de concert avec des organismes de recherche canadiens, américains et européens ont décidé de se pencher sur le givre qui frappe dans les airs. Le but de l'étude est de mieux connaître les différentes formes de givrage et les conditions climatologiques dans lesquelles elles se forment. On veut ainsi mettre au point des instruments de détection pour améliorer les prévisions et aviser les pilotes à temps.

Frederic Fabry, professeur en météorologie fait partie de l'équipe de chercheurs . Les petits avions sont plus souvent touchés par le givre parce qu'ils volent à plus basse altitude, là où se trouvent les zones de givre. Mais les gros porteurs ne sont pas nécessairement à l'abri : « C'est à l'atterrissage, surtout s'il y a du mauvais temps et que l'avion est obligé de tourner autour de l'aéroport pendant une demi-heure, une heure. Il le fait généralement à basse altitude. C'est là qu'il peut rencontrer des nuages et se faire givrer. »

Les avions peuvent tolérer un givrage normal, c'est-à-dire de petites de gouttelettes de nuage de 30 microns de diamètre. Ce sont des nuages verglaçants. Très petites, ces gouttelettes suivent l'écoulement de l'air au-dessus de l'aile ou alors elles collent sur les rebords de l'aile à l'avant.

En général, les avions possèdent un mécanisme de sécurité pour éliminer ce givre : Il s'agit soit d'un rebord de caoutchouc sur l'aile que l'on gonfle pour faire éclater la glace Dans le cas de gros porteur, l'avion est équipé d'un système thermique sur le devant de l'aile qui fait fondre la glace.

Mais, il existe une autre forme de givre moins bien connue, beaucoup plus dangereuse. Il s'agit de la bruine verglaçante ou de la pluie verglaçante. Dans ce cas, les gouttelettes sont beaucoup plus grosses : entre 100 et 3000 microns. On les appelle des gouttelettes d'eau surfroidies. Elles peuvent demeurer dans l'air sous forme liquide à des températures allant jusqu'à -30 Celsisus. Pour geler, elles n'attendent qu'une surface plane comme une aile d'avion.

« Si l'avion descend sous une certaine vitesse critique, l'aile ne fonctionne plus et par conséquent l'avion commence à descendre, nous dit Frederic Fabry. S'il descend correctement, le pilote peut récupérer mais s'il descend de travers, il perd le contrôle et l'avion risque de s'écraser. »

C'est ce qui s'est passé, en octobre 1994, avec un American Eagle ATR-72 à Roselawn, en Indiana . Après avoir survolé l'aéroport pendant 32 minutes, une couche de bruine verglaçante s'est déposée sur les ailes : l'avion s'est littéralement pulvérisé, tuant les 68 passagers et membres d'équipage. Pourtant, cet avion comme, en général tous les autres, a été certifié comme étant apte à voler dans le givre. Mais voilà : les normes de certification ne tiennent pas compte des différents degrés de sévérité du givre : « Les avions ont été certifiés pour les nuages verglaçants, nous explique M. Fabry. Mais il y a aucune certification pour la bruine verglaçante et pour la pluie verglaçante. »

M. Fabry aimerait amasser suffisamment de données précises sur ce type de givrage pour amener les autorités à réviser les normes de certification des avions. De plus, il faudrait améliorer les équipements : « En ce moment, on travaille sur deux avenues de recherche : la première c'est comment on peut redessiner les avions pour qu'ils puissent faire face à la bruine, précise M. Fabry. Donc, c'est un aspect d'ingénierie d'aviation. : étendre les zones qui sont recouvertes, protégées par les ailes. »

L'autre objectif est d'arriver à prédire la formation de ces gouttelettes d'eau surfroidies pour en informer les pilotes à l'avance. En ce moment, il faut qu'un premier pilote traverse par hasard un nuage de givre, qu'il en informe le centre météorologique qui lui passera à son tour le message.

La recherche vise à mettre au point des systèmes de détection et d'alerte du givrage. L'information pourrait provenir d'appareils déjà existants. On songe aussi à des satellites, des radiomètres installés à l'aéroport et même sur l'avion . Ils permettraient d'informer les pilotes des conditions de givrage, au décollage et à l'atterrissage; car ce sont les moments où surviennent la plupart des accidents causés par toutes les formes de givre. Après tout, le givrage sur les avions est responsable, en moyenne, de 60 décès par année en Amérique du Nord.

Journaliste : Hélène Courchesne
Réalisatrice : Chantal Théôret
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton