Le 11 mars 2001

Cancer du sein : le défi de trouver toujours plus petit

La mammographie permet de trouver des cancers toujours plus petits. Mais cette technologie est-elle à elle seule responsable de la baisse de la mortalité chez certains groupes de femmes ? Une étude canadienne remet cette donnée en question.

Au Canada, les statistiques démontrent que le cancer du sein est la première cause de décès chez les femmes de 35 à 54 ans. En l'an 2000, 19 200 nouveaux cas ont été répertoriés. Quelque 5500 femmes vont en mourir. On estime qu'une femme sur neuf risque de développer un cancer du sein au cours de sa vie. Depuis une dizaine d'années, l'incidence du cancer du sein augmente grâce à la mammographie qui permet d'en détecter plus. Le taux de mortalité est demeuré stable pour l'ensemble des femmes et a légèrement baissé pour les 50 à 69 ans.

Dans dix ans, le vieillissement des enfants de l'après-guerre provoquera une augmentation des cas de cancer du sein. En effet, plus on vieillit, plus on risque de faire un cancer, et l'âge moyen du cancer du sein se situe à 64 ans. Si la mammographie permet de dépister des tumeurs beaucoup plus petites (elle peut identifier une tumeur de deux millimètres et même plus petit), l'examen physique et l'auto-examen, où l'on palpe le sein, permet de dépister des tumeurs qui font cinq millimètres et plus.

Depuis quelques années, des études ont démontré que chez les femmes de 50 à 59 ans, qui passaient une mammographie régulièrement, le taux de mortalité dû au cancer du sein était en baisse de 30% par rapport à celles qui n'étaient pas dépistées. C'est pourquoi des programmes gouvernementaux de dépistage par mammographie ont été mis sur pied un peu partout au pays et ailleurs.

Mais à l'automne 2000, une étude canadienne sur le dépistage du cancer du sein a jeté une douche froide sur cette belle performance de la mammographie. En effet, on conclut dans cette étude que chez les femmes de 50 à 59 ans, la mammographie n'est pas plus efficace dans la réduction des décès dus au cancer du sein qu'un bon examen physique et que l'auto-examen mensuel.

«Toutes les autres études favorables au dépistage ont comparé la mammographie seule ou avec l'examen physique à aucun dépistage, nous dit la Dre Cornelia Baines, co-auteure de l'étude . Il était ainsi plus facile de démontrer une différence dans les taux de mortalité dû au cancer du sein. Notre étude est unique. Elle n'était pas conçue pour démontrer que le dépistage réduisait la mortalité ; elle voulait démontrer quel était l'apport supplémentaire de la mammographie à l'examen clinique.»

L'étude a recruté près de 40 000 femmes âgées de 50 à 59 ans. Ces femmes ont été suivies pendant 13 ans. Durant cinq ans, la moitié d'entre elles ont subi un examen physique du sein annuellement. Le deuxième groupe passait l'examen physique doublé d'une mammographie. Toutes les femmes étaient entraînées à faire tous les mois l'auto-examen de leurs seins.

Après cinq ans de dépistage, l'examen physique a permis de trouver 148 cancers invasifs. La mammographie plus l'examen physique en ont détecté 267. Donc, près du double de cancers dépistés par la mammographie. Puis, le reste du temps, les femmes étaient laissées à elles-mêmes, leur état de santé étant toujours suivi de près. Au bout des 13 ans, l'écart tombe : 610 cancers invasifs dans le premier groupe et 622 dans le deuxième. Fait étonnant : on retrouve le même nombre de décès, par cancer du sein, dans les deux groupes soit 105 dans le premier groupe et 107 dans le deuxième. L'étude permet donc de conclure que chez les femmes âgées de 50 à 59 ans, la conjugaison de la mammographie à l'examen clinique et à l'auto-examen des seins n'a pas d'impact sur le taux de mortalité causé par le cancer du sein.

Le résultat a l'effet d'une bombe. Même chez les chercheurs de l'étude, ce sont des résultats auxquels l'on ne s'attendait pas !

« Je croyais vraiment que la mammographie serait un atout majeur, nous dit la Dre Cornelia Baines. On s'attendait à voir une baisse du taux de mortalité de 30% avec la mammographie. »

Pourtant, l'étude ne condamne pas la mammographie et encore moins le dépistage précoce. On peut même en déduire que les 40 000 femmes recrutées qui ont reçu une forme ou l'autre de dépistage ont un taux de mortalité dû au cancer du sein plus bas que celui de l'ensemble de la population.

Malgré cela, les critiques ont été dévastatrices. L'étude est critiquée sur plusieurs aspects : on questionne la répartition des femmes dans les différents groupes, et la « sur-qualité » des examens physiques pratiqués par les médecins. On met également en doute la qualité des mammographies et des appareils utilisés.

« Ils n'ont pas pu montrer que dans ces groupes de femmes (39 000) il y avait eu un bénéfice additionnel. C'est cela qui choque, surprend, déçoit, nous dit la Dre Marie-Dominique Beaulieu, épidémiologiste. Et quand on lit les auteurs, ils ont été surpris eux-mêmes. »

Nathalie Duchesne est radiologiste. Elle est une spécialiste de la mammographie. La Dre Duchesne s'intéresse aussi activement à la recherche qui se fait dans le domaine de l'imagerie. Le dépistage précoce est pour elle l'outil gagnant : « On arrive avec une étude qui dit : «non, non la mammographie de dépistage, c'est pas si bon que cela», nous dit Nathalie Duchesne. Ça ne remplace pas l'examen physique. On remet en question des choses qui ont déjà été éprouvées et aussi des programmes de dépistage où on essaie d'encourager les patientes à venir participer pour améliorer leurs chances de survie. C'est bien évident que ça trouble! »

Devant les nombreuses protestations, certains aspects de l'étude ont été révisés par l'Institut national du cancer du Canada. L'organisme a conclu qu'elle avait été faite selon les règles de l'art. L'étude était très exigeante en ce qui concerne l'examen physique autant celui effectué par le médecin que l'auto-examen fait par les femmes. Mais qu'est-ce qu'un bon examen du sein ? L'examen du sein doit durer au moins cinq à dix minutes et être effectué avec une grande minutie, tout d'abord debout, devant un miroir et ensuite allongé. Toutes les femmes n'ont pas la chance d'être suivies et entraînées de façon aussi parfaite.

La Dre Marie-Dominique Beaulieu doute que cette technique soit applicable dans la vraie vie : « Si on voulait commencer à faire ça, on aurait du recul, parce que c'est un investissement important en temps et en ressources humaines. À la rigueur, dans un contexte où l'on manque actuellement d'infirmières et de médecins, je ne suis pas sûr que l'on doit reculer ou commencer à aller dans ce sens-là. »

Par ailleurs, le résultat le plus troublant de l'étude est que la mammographie a permis de trouver des cancers invasifs deux ans plus tôt que ne l'a fait l'examen physique. Mais ce gain en temps n'a pas permis de sauver plus de vies! Faudrait-il alors questionner le credo de l'oncologie, qui est de trouver toujours plus petit?

« Il est tout à fait normal de croire que la détection précoce est bien plus efficace que la détection tardive, ajoute la Dre Cornelia Baines. Le problème c'est qu'on n'en retire pas les bénéfices attendus. »

Ce que l'étude suggère, c'est que même si la mammographie détecte une tumeur très petite. Dans certains cas, il est déjà trop tard. Par ailleurs, elle peut aussi amener une surdétection de cancers qui ne tueront pas.

« On devrait se questionner sur l'origine des gains additionnels, précise la Dre Beaulieu. Sont-ils dans le dépistage traditionnel ou dans l'imagerie traditionnelle ? Est-ce que les gains additionnels sont ailleurs ? C'est ça qu'il faut se demander. »

Mais alors, où chercher pour gagner du terrain? Depuis 20 ans, le Dr André Robidoux, oncologue et chirurgien, a pu apprécié les progrès engendrés par la mammographie dans le dépistage du cancer du sein. Pour lui, la notion de précocité doit être revue. Il faut reculer encore plus loin et chercher l'infiniment petit : « Ce que l'on définit comme précoce c'est ce qu'on voit sur une image de taille, ce qu'on peut déceler par la plus petite intervention qu'on peut faire nous avec une mammographie, on a trouvé quelque chose de très petit. Mais le processus cancéreux lui-même qui a amené la découverte de cette tumeur de quelques millimètres a commencé quand? Si ça représente la 25e division cellulaire d'un processus qui a commencé il y a cinq ou il y a six ans, la notion de précocité a bien changé... »

Une tumeur cancéreuse est d'abord une cellule qui va en s'accroissant. À deux millimètres, quand la mammographie permet de la voir, elle est déjà composée de millions de cellules cancéreuses. À dix millimètres, une tumeur est constituée de plus de un milliard de cellules. Une tumeur lente doublera tous les 360 jours! Une tumeur agressive doublera beaucoup plus rapidement soit, par exemple, tous les 30 jours.

Comment arriver à stopper le processus dès le début? C'est ce que tous les oncologues voudraient savoir. Le Dr David Plotkin fait partie de ceux-là. Après des années de pratique et un certain découragement à voir ses patientes mourir de cancer du sein, il cherche des explications. En 1996, il a écris un article très controversé, Good News and Bad news about Breast Cancer, dans la revue Atlantic Monthly. Quelles sont donc ces bonnes et ces mauvaises nouvelles?

« La mauvaise c'est qu'on surestime nos réussites en cancer du sein, nous dit le Dr David Plotkin. La bonne c'est qu'une majorité de femmes ont un cancer du sein qui n'est pas très menaçant. »

La majorité des cancers sont-ils moins menaçants? Depuis 20 ans, la mammographie a permis de découvrir un plus grand nombre de cancers, les fameux in-situ. Près de 30 % des cancers du sein diagnostiqués aujourd'hui sont des in-situ. Il y a 20 ans, on ne les voyait pas. Ils sont souvent petits, non invasifs et lents à évoluer. À juste titre, ils viennent gonfler les statistiques de l'augmentation du nombre de cancers du sein. Mais comme souvent la femme ne risque pas d'en mourir, ne pourraient-ils pas aussi venir gonfler les succès de la médecine?

« Si une femme a un cancer du sein qui évolue lentement, qu'elle est traitée, à un âge avancé, elle n'en mourra pas, ajoute le Dr David Plotkin. Mais ça n'est pas parce qu'elle a eu une si bonne chirurgie ou de la radiothérapie, c'est à cause de la biologie du cancer. »

En somme, un cancer à évolution lente, pourrait permettre à une femme de mourir d'une autre maladie bien avant de mourir de son cancer. Mais alors, pour ces femmes, le dépistage précoce pourrait-il être trop alarmiste? Est-ce qu'on détecte trop de in-situ pour rien, parce que ces in-situ seraient restés in-situ, n'auraient rien fait de particulier?

« Est-ce qu'on détecte trop de in-situ pour rien, parce que ces in-situ seraient restés in-situ, n'auraient rien fait de particulier? se demande la Dre Nathalie Duchesne. Est-ce qu'on ne crée pas une maladie ou encore on les détecte, on les fait opérer et la plupart de ceux-là seraient devenus des invasifs? C'est ce qu'on ne sait pas»

Toute la question est là. On sait encore trop peu de chose sur l'origine du cancer et sur cette grande inconnue : la métastase. C'est cette cellule cancéreuse qui s'échappe de la tumeur principale et qui va se loger ailleurs.

« La question-clé est de savoir quand apparaît la métastase, précise le Dr David Plotkin. Si on arrive à traiter le cancer avant qu'elle se manifeste, on a des chances de guérison. Mais si ça s'est déjà répandu, peu importe le traitement, c'est comme fermer la porte de l'étable alors que la vache est déjà sortie. »

Une autre piste est d'intervenir au stade de la maladie occulte, c'est-à-dire avant qu'aucun moyen de détection disponible maintenant ne puisse la trouver. C'est la solution du Dr Robidoux : « Il faut faire comprendre la notion du cancer du sein, que ça n'est pas nécessairement une image, que ça n'est pas nécessairement une bosse palpable; ça peut-être un processus qui a commencé avant, dont on ne connaît pas la cause et que l'on pourrait traiter dans une population susceptible de le faire avant que les manifestations soient présentes. »

Pour le Dr Plotkin, on pourrait déterminer cette population à risque en mettant au point un test semblable à celui du cancer de la prostate puisque c'est dans le sang que ça se passe. Il s'agit de doser la concentration d'une protéine dans le sang qui serait indicatrice de la présence d'un cancer du sein. Plus la concentration est élevée, plus on doit s'inquiéter.

Même si la technologie n'existe pas pour le cancer du sein, le Dr Plotkin pense que ça pourrait être une voie intéressante : « Le même genre de test pour le sein pourrait permettre un diagnostique de cancer, même plus tôt que la mammographie. »

Une fois cette population à risque déterminée, on la traiterait au tamoxifène. C'est un médicament anti-hormonal qui ralentit ou stoppe la prolifération des cellules cancéreuses. Il a fait ses preuves comme traitement chez des femmes atteintes d'un cancer du sein.

Le Dr. Robidoux va plus loin. Il croit que l'on devrait utiliser le tamoxifène comme outil de prévention chez des populations de femmes à risque ayant, par exemple, des antécédents familiaux de cancer du sein . Des études sont en cours à cet effet : « Dans une population donnée où il n'y a pas de cancer visible à une mammographie, il y a des preuves faites avec le tamoxifène par exemple que cette population avait 50 % moins de cancer du sein dans les cinq ans qui ont suivi l'administration du médicament. Je pense qu'on pourra poursuivre dans voie parce que c'est la voie de l'avenir. »

Mais attention! Le tamoxifène ne fait pas l'unanimité puisqu'on lui associe un faible risque accru de faire un cancer de l'utérus. Pour l'instant, un marqueur biologique pour le cancer du sein n'existe pas et le tamoxifène est contesté. Comment alors gagner cette bataille contre le temps avec les outils qui sont actuellement à notre disposition?

« Pour les dix prochaines années, la mammographie n'a certainement pas perdu sa place parce qu'on a pas encore trouvé d'autres façons de traiter le cancer que de le trouver à une phase très précoce, nous dit la Dre Duchesne. C'est la seule façon de diminuer la mortalité associée au cancer du sein. »

D'autres sont cependant moins optimistes : « Au mieux, on peut retarder la mort due au cancer du sein jusqu'à ce qu'une maladie cardiovasculaire nous emporte, conclut le Dr Plotkin. »

« Je peux dire à une femme qui a un cancer du sein qu'elle est en rémission complète, ajoute le Dr Robidoux. Quant à la guérison : ça ne reviendra jamais. Je sais très bien que si j'enlève une appendicite aiguë à une personne qui a l'appendicite c'est fini. Elle n'en entendra jamais parler de sa vie. Elle est guérie, parce que j'en connais la cause. On ne sait pas pourquoi les femmes font des cancers du sein. Sur une échelle de un à dix, le succès à combattre le cancer dépend beaucoup de la population. Je dirais que l'on se situe probablement aux alentours de deux, trois! »

Journaliste : Hélène Courchesne
Réalisatrice : Francine Charron
Adaptation pour Internet : Jean-Charles Panneton

 

Hyperliens pertinents :

Société canadienne du cancer
Recherche et statistiques sur le cancer du sein.

Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec
Programme québécois de dépistage du cancer du sein.

Santé Canada
Quelques informations sur le cancer du sein.

National Breast Cancer Coalition
Welcome to NBCC.
(En anglais seulement)